« Le vin français, c’est synonyme de luxe », lance Nicolas Cai, une fois sa conversation téléphonique en mandarin terminée et la commande vers Shanghai confirmée. A 23 ans, ce Français d’origine chinoise vient d’ouvrir La Cave à Nico, au cœur de Belleville, l’un des fiefs de la communauté chinoise à Paris. Fraîchement diplômé en comptabilité et passionné de vin rouge, le jeune patron pense avoir trouvé la formule idéale pour développer le business familial et satisfaire les demandes de la communauté :
« Les Chinois à Paris sont de plus en plus riches. Ils cherchent à se cultiver et s’intéressent de plus près aux vins français. »
Sur le haut de l’enseigne, des caractères chinois qui brillent sur un fond noir attirent l’œil. Du sol au haut plafond, des caisses en bois ornent les murs de La Cave à Nico. Large et spacieuse, la boutique propose plusieurs dizaines de grandes marques bordelaises, classées par prix et année.
La cave à vins de Nicolas Cai, 23 ans, est en plein coeur de l’un des fiefs de la communauté chinoise à Paris. / Crédits : Michela Cuccagna
A Paris, Nico n’est pas le seul Chinois à se lancer dans l’aventure. Ces deux dernières années, plus d’une dizaine de cavistes asiatiques ont fait leur apparition dans la capitale. Commerçants chevronnés ou jeunes fils à papa, ils misent sur des prix cassés et proposent des grands crus à une clientèle asiatique attirée par l’image du luxe associée aux vins français. Surtout, ils tirent leur épingle du jeu en jouant les grossistes pour l’exportation vers la Chine.
Restaurants, mariages et exportation
Sourire jovial, cheveux plaqués en arrière et pull Kenzo à motif tigre, Nicolas Cai nous fait visiter sa cave et détaille la genèse du business :
« Mon père est un homme influent en Chine, il est dans le commerce de textile depuis 30 ans et s’est fait un nom dans le milieu d’affaires chinois. »
Originaire de Wenzhou, au sud de la Chine, la famille tient aussi des restaurants japonais à Paris et une cave à vin à Shanghai. Ouverte en septembre 2014, La Cave à Nico accueille une dizaine de clients par jour et encaisse des tickets de 600 euros en moyenne par personne. Mais les recettes peuvent grimper rapidement, comme l’explique le boss du lieu :
« A la soirée d’ouverture, nous avons fait un chiffre d’affaires de 10.000 euros, pour à peine 15 tickets. Ce qui m’intéresse, c’est de vendre du volume. »
Les chiffres sont conséquents. Car La Cave à Nico fait son biff’ en vendant principalement en gros.
« Mes clients achètent en grande quantité – une dizaine de caisses par personne – pour des mariages, des réceptions ou pour leurs restaurants. Mais ce qui est important, c’est l’exportation : je viens de recevoir une commande à 100.000 euros vers la Chine. »
Gérard Depardieu dans biz’
Quelques rues plus bas, des businessmen en costard-cravate, jeunes couples asiatiques ou commerçants du quartier, se pressent dans la cave Vin et Luxe, ouverte depuis un an sur la rue Réaumur, dans le 3e arrondissement de Paris. C’est sur ce même fantasme du luxe à la française qu’ont joué les gérants du lieu – Zhang Changfeng et son associé, un certain Gérard Depardieu. Derrière sa caisse, Claude la trentenaire et employée de la boîte, retrace l’histoire du spot :
(img) Gege en mode vigneron
« Le patron a eu l’idée d’ouvrir la cave pour promouvoir les vins du Château de Tigne, lancés par son très bon ami, Gérard Depardieu. Nous avons été les premiers à proposer ses vins à Paris. »
Parmi les caisses en bois gravées, les bouteilles exposées ou encore les photos de Gégé et Vladimir Poutine, les clients examinent les produits en promotion et échangent en mandarin avec leur caviste, Claude :
« Le 3e est un arrondissement très commerçant : nos principaux clients sont les Chinois du quartier. Mais c’est toujours la guerre des prix avec nos concurrents, il y a au moins quatre autres cavistes chinois dans le coin. »
Malgré l’emplacement privilégié dans la boutique, les vins de Gérard Depardieu peinent à attirer la clientèle asiatique. M. Dong, commerçant du quartier, passe s’acheter une petite bouteille de rouge en fin de journée :
« On préfère surtout le Bordeaux et le Bourgogne. Je privilégie cette cave notamment pour ses prix. »
Cours d’œnologie en mandarin
Pour Léa He, journaliste basée à Paris, cet emballement des clients chinois pour les grandes productions françaises s’explique par un phénomène de mode et des spécificités culturelles. En sirotant son cappuccino dans un café parisien, la jeune Chinoise détaille :
« Les Chinois n’ont pas une culture du vin, c’est juste devenu à la mode d’en consommer. On se focalise beaucoup sur les marques et moins sur la qualité. »
« Les Chinois n’ont pas une culture du vin, on se focalise beaucoup sur les marques et moins sur la qualité. » / Crédits : Michela Cuccagna
Les cavistes chinois s’adaptent à cette clientèle de néophytes. Dans la boutique, les châteaux margaux côtoient les châteaux lafite. A l’exception du vin produit par Gégé, presque aucune bouteille de petit producteur n’apparaît sur les étals. Et presque chaque semaine, ils organisent dans leurs locaux des dégustations et des cours d’œnologie en mandarin. Les horaires d’ouverture sont eux aussi aménagés pour convenir à ces clients qui travaillent beaucoup : la boutique de Nicolas Cai est ouverte sept jours sur sept et ne ferme jamais avant 20 heures. Revers de la médaille, il ne devrait pas trop profiter des ventes liées aux fêtes de fin d’année :
« Les Chinois à Paris travaillent beaucoup. Ils n’ont pas le temps de s’amuser. »
Bling-bling VS vin bio
Le challenge des cavistes asiatiques serait maintenant d’arriver à toucher les clients français. Un vrai défi, selon Léa He, car les Français seraient de « fins connaisseurs des vins, qui n’ont pas besoin d’acheter des marques connues ou de payer pour l’étiquette ». Avis partagé par Anel Masson, 28 ans, responsable de La Cave d’argent, à proximité de Belleville. Pendant qu’il sélectionne des bouteilles de vin bio croate, autrichien ou géorgien, pour la dégustation de ce vendredi soir, Anel – qui n’est pas Chinois – raconte l’ambiance quotidienne dans le monde des cavistes à Belleville. En coupant des fines tranches de fromage fermier, il revient sur la relation avec ses confrères asiatiques :
« Nous ne sommes pas en concurrence avec les cavistes chinois, eux ils vendent uniquement du bordeaux. Cela ne peut être que bon pour notre économie, nous n’avons pas la même vision des choses. On ne fait pas le même métier en fin de compte. »
Pourquoi sont-ils moins chers ?
Si les clients français sont moins friands de grandes marques et d’étiquettes bling bling, les sommeliers chinois gardent un as dans leur manche : les prix. Ils sont en moyenne entre 15 et 20 pour cent moins chers que les autres cavistes parisiens. Comment font-ils ? Nicolas Cai, le jeune patron de Belleville, nous livre son secret, tout en étudiant ses dernières commandes reçues par fax.
« Ce qui me permet réellement de jongler avec les prix, c’est l’exportation. »
Pour le moment, il se refuse à donner le chiffre d’affaires global de la boîte, ouverte il y a quelques mois seulement. Le boss assure que l’exportation représente plus de 50 pour cent de l’activité. La vente en gros permet au jeune gérant de réduire son taux de marge et de proposer des prix compétitifs à sa clientèle. De plus, les importants volumes de ventes permettent au caviste de négocier des prix d’achat « très compétitifs » avec les producteurs. Nicolas avoue ne pas avoir cherché à tisser des relations étroites avec ses fournisseurs :
« Je suis fidèle aux prix, c’est tout ce qui m’intéresse. »
Nico, le boss assure que l’exportation représente plus de 50 pour cent de l’activité. / Crédits : Michela Cuccagna
Made in France
Le marché asiatique ne connaît pas la crise et l’obsession du luxe hante le cercle des nouveaux riches chinois. Le pays comptait fin 2013, plus de 2,4 millions de millionnaires en dollars. Et l’effet de mode a logiquement conduit à une forte augmentation des prix du vin français en Chine. Une bouteille de lafite y coûte jusqu’à dix fois plus cher qu’à Paris. Léa He, en France depuis cinq ans, revient sur l’engouement de ses compatriotes pour le made in France :
« La marque Lafite est un symbole du haut statut social. Ça coûte très cher, mais en Chine on s’en fiche un peu de l’argent. Quand je suis rentrée l’année dernière, mes parents avaient stocké deux caisses de Bordeaux rouge. Ils avaient peur de ne plus en trouver. »
La Chine est aujourd’hui un pays ouvert pour ce qui est du commerce international. A part les taxes douanières – qui peuvent atteindre jusqu’à 50 pour cent du prix pour l’alcool et les produits de luxe – aucune mesure du gouvernement n’est censée décourager les entrepreneurs étrangers. Encore faut-il se débrouiller pour obtenir toutes les autorisations nécessaires et trouver sa place sur l’immense marché. Faute d’un carnet d’adresses complet, la tâche s’avère compliquée. Du haut de ses 23 ans, Nicolas Cai en est bien conscient :
« Il est très difficile de trouver des clients là-bas. L’influence de mon père est capitale. En Chine, c’est celui qui a le plus d’amis qui gagne. »
Les Franco-Chinois sont donc avantagés, même si depuis quelques années d’autres arrivent à se faire une place en jouant la carte du sérieux. Tous les ans, on consommerait en Chine dix fois le nombre de bouteilles Lafite fabriquées en France. Suite aux histoires de contrefaçon impliquant des cavistes et importateurs chinois, les producteurs et négociateurs bordelais – jugés plus honnêtes – sont arrivés ces dernières années à percer sur le marché asiatique et se tisser une clientèle.
« La marque Lafite est un symbole du haut statut social. Ça coûte très cher, mais en Chine on s’en fiche un peu de l’argent. » / Crédits : Michela Cuccagna
Mais le marché chinois semble réservé aux exportateurs de grands crus. Dans sa coquette boutique, Trois fois vin, située rue Notre-Dame-de Nazareth dans le 3ème arrondissement, Marie-Dominique Bradfort concocte ses boxes – des coffrets vin proposés aux internautes avides de découvrir les petites productions des vignerons français. Experte en œnologie, cette spécialiste de l’exportation travaille depuis 15 ans avec des marchés divers, des États-Unis au Japon en passant par l’Europe du Nord. Sur le marché chinois, elle n’est pas encore partie s’installer :
« A ce stade, ils ne sont pas tout à fait réceptifs à des petites productions d’artisans, un peu méconnues. Mais cela viendra certainement. Les Chinois sont curieux, ils produisent beaucoup eux-mêmes, ça aide dans leur connaissance du vin. »
Et du vin chinois ?
Plus que jamais, la Chine attire les importateurs français ainsi que les vignerons bordelais, qui investissent dans des terrains pour des cultures de vigne sur place. Dans la cave située rue Réaumur, Claude renseigne en anglais Philip, un grand Australien aux cheveux longs et au teint bronzé, habitué des lieux. Notre hôte chez Vin et Luxe nous livre son avis sur le vin produit dans son pays d’origine :
« Le vin chinois, c’est pas terrible. Le climat chez nous n’y est pas favorable. Ce n’est pas en apportant le cépage français en Chine qu’on va produire du bon vin. En France, on produit le meilleur vin au monde parce qu’ici on a le meilleur terroir. »
Le propriétaire de la cave, pas peu fier, pose avec Hollande, Sarkozy et Carla, sous Poutine et Depardieu copains comme cochons / Crédits : Michela Cuccagna
La journaliste Léa He note elle aussi le manque d’enthousiasme des consommateurs chinois pour leur vin national. Les nouveaux riches n’ont qu’une envie – se montrer – et cela ne passe guère par l’achat de produits made in China. La jeune JRI explique :
« Même nous, en Chine, quand on achète une marque chinoise, on se dit que c’est pas du luxe. »
Du côté de Belleville, Nicolas Cai confie s’apprêter à ouvrir une deuxième cave dans l’année. Pour l’emplacement, il privilégie la commune d’Aubervilliers, au nord de Paris, « parce qu’on y retrouve de nombreux grossistes chinois », mais n’exclut pas un site touristique de la capitale. Les touristes asiatiques à Paris restent des clients non négligeables, car certains d’entre eux sont également des commerçants en Chine et donc des possibles futurs collaborateurs. Le jeune entrepreneur songe également à accroître le bon business de l’exportation vers la Chine.
Même objectif affiché du côté des cavistes dans le 3e arrondissement, qui envisagent à leur tour de se lancer cette année dans l’exportation du bordeaux vers la Chine. Comme l’avoue Claude, d’un air un peu dépité :
« On est obligés, l’avenir c’est là-bas… »
Certains touristes asiatiques à Paris sont également des commerçants en Chine et donc des possibles futurs collaborateurs. / Crédits : Michela Cuccagna
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