La préfecture de police de Paris veut expulser un migrant vers la Corée du Nord. Dans un document daté du 29 août que StreetPress a pu se procurer, l’administration explique qu’au regard de la loi, si M. Choe (1) « né à Pyongyang » n’a pas quitté le territoire français dans un délai de 30 jours, il « pourra être reconduit d’office à la frontière à destination du pays dont il a la nationalité ». La Corée du Nord donc. Dur.
Une procédure automatique
Selon nos informations, M. Choe n’était pas encore trentenaire quand il a débarqué en France en 2013. Sans parler un mot de français, il se lance dans le parcours du combattant qui mène à la régularisation. Première étape : se faire domicilier et donc obtenir une adresse postale, auprès de France Terre d’Asile, pour ensuite faire une demande d’asile à l’Ofpra (l’Office français de protection des réfugiés et apatrides).
Sauf que ça prend du temps et M. Choe ne comprend pas vraiment les démarches à suivre. L’Ofpra le convoque par un courrier, dont il ne prend pas connaissance. Il loupe donc le rendez-vous et la machine s’emballe. Mai 2014, l’Office rejette automatiquement sa demande d’asile et la préfecture, sans se poser de question, rédige dans la foulée une obligation de quitter le territoire français (OQTF) demandant son renvoi vers la Corée du Nord.
L'obligation de quitter le territoire français rédigée par la préf' à l'encontre de M. Choe / Crédits : Streetpress
Le document vaut son pesant de cacahuètes : sur deux pages, la préfecture insiste sur le fait que du point de vue juridique, rien ne s’oppose à cette expulsion. Elle explique même que l’intéressé « n’établit pas être exposé à des traitements contraires à la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme en cas de retour dans son pays d’origine ». Pourtant la pref’ n’a jamais pu rencontrer M. Choe. Emballé, c’est pesé, si on l’attrape il faut le renvoyer en Corée du Nord. StreetPress a tenté d’interroger les autorités, mais nos demandes sont restées sans réponse.
En centre de rétention
Fin novembre, M. Choe, toujours sans pap’ donc, se fait pincer par la police du Finistère. Sauf qu’il est cette fois en possession d’un passeport… mongol ! C’est la préfecture du 29 qui prend le relais et décide de le placer en centre de rétention. Dans le document notifiant ce placement, que StreetPress a également pu se procurer, la préf’ reconnaît tout à la fois la nationalité nord-coréenne et la nationalité mongole. M. Choe parle bien coréen, puisque toute la procédure s’est effectuée avec un traducteur parlant cette langue.
Le passeport mongol arrange bien leurs affaires. Pour organiser l’expulsion d’un ressortissant, il faut avoir des relations diplomatiques avec le pays d’origine du clandestin. Or la France ne reconnait pas officiellement la République Populaire de Corée… Il y a donc un hic. L’expulsion est lancée avant d’être interrompue par le juge des libertés et de la détention qui a décidé de la remise en liberté de M. Choe, pour un vice de forme technique sur une autre question. Il a, au cours de sa rétention, fait une nouvelle demande d’asile.
Renvois vers des dictatures
Jointe par StreetPress, la Cimade, qui vient en aide aux migrants placés en centre de rétention, dénonce une procédure quasi automatique et absurde :
« La Corée du Nord, c’est vraiment inhabituel, mais les préfectures émettent souvent des OQTF pour des ressortissants de dictatures comme le Soudan, l’Erythrée ou la Syrie, sans se poser de question. »
Comme nous l’explique la Cimade, ces ressortissants ne sont « heureusement » presque jamais expulsés vers ces pays (un Soudanais a tout de même été renvoyé vers son pays d’origine cet été) :
« Mais alors pourquoi les placer en centre de rétention ? »
Le projet de loi de réforme du droit d’Asile arrive à l’Assemblée ce mardi 9 décembre .
La loi est censée raccourcir les délais d’examen de dossiers. Elle prévoit également de réorganiser l’hébergement, en organisant notamment une répartition sur le territoire, plus équilibrée. Il est aussi question de supprimer les allocations aux étrangers refusant un hébergement proposé par le pouvoir public. L’un des points noirs de cette loi, dénoncé par les ONG— .
1. Un nom d’emprunt, ce dernier souhaite garder l’anonymat.
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