« Tu connais la fenouillette ? » Maxime Potfer, chef-barman de l’Expérimental Cocktail Club a les yeux qui brillent à la simple évocation de cette liqueur fabriquée par un couple de petits vieux de Brive La Gaillarde. A priori, avec sa grosse barbe de bûcheron, Maxime tient plus du hipster que de Jean-Pierre Coffe. Et pourtant. Maxime est un barman du clan des mixologues. Y’en a marre de servir de la merde à des gens qui s’en foutent, pourrait bien être leur devise.
(img) Maxime à l’Expé (Simona Belotti/Expé Group)
Les bars à cocktails qui poussent dans la capitale – une quarantaine ces dernières années – sont leurs terrains de jeux. Et la concurrence est rude pour convaincre le public de payer son verre 13€. D’autant qu’ils ne sont qu’une petite trentaine de mixologues d’un niveau suffisant pour créer une carte de cocktails originale… pour une quarantaine de lieux spécialisés.
Si peu nombreux qu’ils fonctionnent comme un petit milieu ressemblant à celui des sportifs professionnels. Leur métier très physique aux horaires impossibles les contraint à une carrière courte. Formation, performance, mercato et … retraite.
Les clubs
Pour l’instant, le public plébiscite l’ambiance « sneakers friendly », le cadre agréable, la qualité des alcools et l’aspect bon-enfant de ces nouveaux bars. A tel point qu’après le succès de l’Expérimental Cocktail Club ouvert en 2007 – l’Expé pour les habitués – les « boys » de « l’Expérimental group », 3 trentenaires sortis d’écoles de commerce, ont ouvert des bars à New York ou Ibiza. Dans le sillage de cette succes-story, d’autres entrepreneurs se sont lancés sur le secteur.
Mais il ne suffit pas d’ouvrir un bar. Il faut créer les cocktails, trouver un positionnement et une identité pour se faire sa place au soleil. Et les mixologues sont au cœur de cette bataille commerciale. Trentenaires au look travaillé, hommes ou femmes, ils sont les stars du cocktail français. Et s’ils ne sont pas plus d’une trentaine sur la capitale, ils font et défont les réputations. Et Maxime Potfer de prophétiser :
« Pour l’instant, ça reste bon enfant, on est potes, y’a un côté famille et du respect mais dans les années à venir, avec le nombre d’ouvertures, y’aura du cannibalisme et des fermetures. »
Les centres de formation
Il n’y a pas de chemin tout tracé pour se retrouver derrière un bar à cocktails. Mais il existe le petit business de Romain Chassang, directeur de Drinking Better depuis 2005. Lui, propose des formations à la mixologie. Et le local façon loft ne désemplit pas d’aspirants barmen. Élèves en école d’hôtellerie ou particuliers, ils sont une dizaine par session. Ils y apprennent les secrets de fabrication de la Grey Goose Vodka ou du Gin Citadelle, la manipulation des shakers ou la façon de se présenter à un client.
Des aspirants barmen à Drinking Better, le petit business de Romain Chassang / Crédits : Thibaud Delavigne
Mais de formations, jusque récemment, il n’en existait pas. Nicolas Blanchard, 33 ans, barman à la Conserverie depuis 1 an, s’est formé sur le tas. A Manchester en Angleterre d’abord. Il commence à la plonge. Puis passe au service. Et enfin derrière le bar d’un pub. Avant d’être recruté à l’ouverture d’un bar à cocktails de la ville. Michael Landart, le patron du Maria Loca, barbe en pointe et l’air détendu, est un ancien saisonnier amoureux de l’Amérique du Sud. Sa formation, il se l’est faite à l’expérience. Du Luxembourg à Londres en passant par l’Australie. Maxime Potfer, de l’Expé sort d’une école d’hôtellerie et se destinait à gérer un hôtel. Mais après un passage au Plaza Athénée, trop bling-bling à son goût, il découvre les bars à cocktails. D’abord comme client, puis en lecteur assidu de la littérature spécialisée.
« On est des geeks du bar » répètent les mixologues. Ne les lancez pas sur le sujet du vieillissement du whisky ou de la distillation du gin, ils sont intarissables. Leur relation au produit est passionnelle : « Je peux me bourrer à la liqueur d’artichauts » plaisante Nicolas de la Conserverie.
Les qataris
Il existe pourtant une voie académique pour atteindre l’excellence. C’est le diplôme de MOF (meilleur ouvrier de France). Stephane Ginouvès est le chef barman du… Fouquet’s et titulaire du titre 2011. Quarantenaire dégarni mais bronzé (il rentre de Saint Barth), au cordeau dans son costume arborant les bandes tricolores signifiant son titre, il me reçoit dans le cadre du très chic palace des Champs. Et pour lui, être un bon barman, ça ne s’improvise pas. Il faut connaître les fondamentaux. La tradition. Bosser dur. Après un service militaire passé à tenir le bar des sous-officiers et quelques expériences dans sa Loraine natale, Stéphane embauche pour le groupe Disney à Marne La Vallée.
(img) La carte des cocktails que propose Stéphane au Fouquet’s
Avec 7 hôtels, plus de 4.000 chambres et le statut d’attraction privée la plus visitée de France, la bande à Mickey est un passage quasi obligé pour ceux qui bossent dans l’hôtellerie. Et aucune marque d’alcool ne s’amuserait à organiser un concours de cocktails sans inviter un barman bossant pour cet énorme client. Stéphane est de toutes les compétitions. Il en remporte beaucoup… jusqu’à ce titre de Meilleur ouvrier de France qui le propulse derrière le bar du Fouquet’s.
Le Fouquet’s, c’est le bar à cocktails classique. Une clientèle ultra-privilégiée, des cocktails à 30€ et un chef barman qui doute de la survie commerciale de ces nouveaux arrivants :
« Je me demande si avec cette nouvelle mode des bars à cocktails, ils ont vraiment écouté le client. »
Lui l’assure, quand on lui commande un mojito : il le sert.
Avant de me laisser, Stéphane dépose devant moi sa dernière création. Un mélange de Grey Goose Vodka et de… caviar. Mes voisins de table sont lancés dans une vive discussion sur la meilleure façon d’investir dans l’immobilier à Miami. Entre Stéphane Ginouvés et les autres mixologues, il y a une différence culturelle profonde. La nouvelle génération de barman n’a qu’une envie : éviter les ambiances trop guindées, les costards et les discussions sur la meilleure façon de dépenser un demi-million d’euros…
Le mercato
Chaque année, aux alentours du mois de septembre, le petit milieu des barmen parisiens observe et commente la période des transferts. « Y’a beaucoup de mouvements d’un bar à l’autre » nous confirme Michael du Maria Loca. Les mixologues vont et viennent au gré des ouvertures et des relations qu’ils ont avec leurs boss… Cet été, le changement de staff à l’Expé était dans sur toutes les lèvres. Gladys, chef barmaid, part monter son affaire. Finalement, c’est Maxime Potfer, le dernier arrivé, qui surprend tout le monde et la remplace. Dans un sourire, il commente :
« Un sacré avancement et une grosse pression. »
Du côté de la Conserverie, le gros coup s’est fait en 2013. Après le départ en mauvais termes du chef barman, c’est Romain Krot, un ancien de l’Expé et du Little Red Door qui reprend les rênes. Evidemment, ces recrutements ne passent pas par Pôle Emploi. Car les 1er clients des bars à cocktails… sont les barmen eux-mêmes. Ils passent du temps dans les établissements des autres, ils goûtent les cocktails, discutent, commentent et récupèrent des infos sur les ouvertures à venir et les postes à pourvoir.
Romain Chassang prépare un Mexican Mule à StreetPress. Il est 10h du mat'. / Crédits : Thibaud Delavigne
Mais le milieu n’est pas totalement fermé. « Si tu es bon, on te veut » nous assure Nicolas Blanchard de La Conserverie. Il n’est pas rare qu’un jeune étudiant embauché en extra de serveur finisse par choper le virus pour se retrouver derrière le bar. Après quelques mois de boulot acharné à vivre la nuit, certes. Mais c’est possible. Car les barmen formés à la mixologie et prêts à accepter une vie de chauve-souris, 6 nuits sur 7, ça ne court pas les rues.
La champion’s league
Se former, certes. Etre recruté, c’est possible. Mais pour entrer et rester dans le cercle, l’établissement dans lequel a signé le barman doit briller. Les nombreuses ouvertures de ces dernières années vont de pair avec une concurrence accrue. Pour attirer un public prêt à payer 13€ son verre, les bars se font conceptuels. Ambiance « frenchy » pour l’un, « sous-marin » pour l’autre ou encore « Tiki » – comprendre polynésien. Quitte parfois à tirer vers le marketing pur et dur. Pour éviter de tomber dans le panneau et de réduire leur démarche à une vague bobo éphémère, les barmen de l’élite veulent croire à l’éducation du public. Nicolas de la Conserverie explique :
« Quand tu as bu de bons whiskys, retourner aux flasques d’épicerie de nuit, c’est chaud… »
Jouer la carte de l’accueil et de l’authenticité mais aussi et surtout participer aux concours organisés par les marques d’alcool. L’exposition médiatique qu’ils procurent, offre une bonne pub au barman et son enseigne. En septembre par exemple, Roman Krot, chef barman de la Conserverie remportait le prestigieux Martini Contest 2014. Un titre qui l’a installé sur les devants de la scène parisienne.
Vidéo Crédits : Nicolas Barek (Box productions)
Michael Landart du Maria Loca, après avoir gagné la finale France 2013 du concours Diplomatico, a créé le 1er cours en ligne de mixologie. Une autre façon de se positionner et de capter le public. Autre avantage : pour monter son affaire, un barman titré trouvera plus facilement des investisseurs prêts à lui faire confiance.
Ce qui va faire le succès d’un barman, c’est aussi son capital sympathie. « Le bar se transforme en scène de théâtre » explique Romain Chassang. Et le barman en acteur. Sourire, efficacité, fringues, communication, il faut se vendre au client. « C’est la différence avec un artiste, pour nous, la partie commerciale prendra toujours le dessus » détaille Nicolas Blanchard de la Conserverie. Car faire les meilleurs cocktails du monde, c’est bien. Mais un bon barman sait aussi les vendre.
La retraite
La carrière d’un barman est courte, moins de 10 ans. Le rythme de travail est épuisant. Les barmen travaillent la nuit, dorment la journée et bossent souvent 10h par jour. Les responsabilités sont importantes, il faut créer une carte, gérer des équipes, la relation clientèle, le tout en atteignant ses objectifs commerciaux. Michael Landart du Maria Loca l’annonce :
« Je suis sur la fin de ma carrière de barman. Physiquement, je suis éclaté. »
Et même Maxime Potfer, le plus jeune de la bande n’envisage pas de tenir à ce rythme plus de 5-6 ans. « Je veux une vie à un moment » se marre-t-il. Car le prix à payer pour faire partie de cette élite qui vit de sa passion, c’est de ne plus voir ses potes normaux. Sortir boire un verre un vendredi soir à 19h, ils ont oublié. « Quand le mec d’EDF se pointe à 9h du mat, je dors depuis 3h » relève Maxime. On pourrait croire que les salaires valent le coup mais à cette évocation, c’est toujours la même réaction : ils assurent faire ça pour la gloire. Tous gagnent entre 2000 et 3000 €/mois :
« Mais si tu compares aux 4 à 5000€ que peuvent gagner les serveurs en brasserie, tu comprends que ce n’est pas si fou. »
« Merde, elle est où la bouteille de Bombay ? » / Crédits : Simona Belloti/Expé Group
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