« On ne voulait plus voir cette prostitution low-cost. Nous on habite là, c’était tous les jours devant chez nous. » A Toulouse, les membres du comité de quartier du Boulevard de Suisse font péter le champagne. Grâce aux arrêtés anti-prostitution pris par la nouveau maire UMP le 7 juillet dernier, ils peuvent promener leur chien à la tombée du soir, sans risquer de tomber nez-à-nez avec les prostituées en pleine action.
Souvenez-vous, le 4 avril dernier, le Parti Socialiste prenait une rouste aux élections municipales. Toulouse, dirigée depuis 6 ans par Pierre Cohen retombait dans l’escarcelle de Jean-Luc Moudenc, candidat de l’UMP et ancien maire par intérim de 2004 à 2008.
Depuis son élection, c’est une guéguerre que le nouveau maire de la ville mène aux indésirables. Au menu : arrêtés municipaux, doublement des effectifs de la police et estocades contre les kebabs là où ils sont jugés trop nombreux. De quoi donner à Toulouse des airs de nouvelle ville-modèle pour l’UMP.
Récit d’un nettoyage en 4 étapes.
1 Virer les prostituées des quartiers résidentiels …
C’est la première cible de Jean-Luc Moudenc : les prostituées qui tapinent sur les trottoirs du centre ou de certains quartiers résidentiels. Comme les arrêtés similaires utilisés à Lyon ou Albi, les prostituées prises en flagrant délit de passe risquent désormais une amende de 38 euros. Olivier Arsac, le nouvel adjoint sécurité chargé du dossier, a la banane :
« Pour le moment, on est très contents. On a beaucoup verbalisé et on a presque éradiqué le problème. Elles partent. »
La zone de l’arrêté concerne le quartier de la gare, longe le Canal du Midi et s’étend jusqu’ au quartier des Minimes et du boulevard de Suisse, plus excentrés. Depuis plusieurs années, des habitants de ces quartiers se plaignaient des nuisances induites par cette prostitution « sauvage ». En 2011, le comité de quartier du boulevard de Suisse avait même organisé des manifestations nocturnes pour virer ces voisines. Avant d’obtenir qu’une patrouille de police circule chaque nuit dans ces rues où se mélangent HLM et pavillons.
Mais attention ! Gérard Coulon, riverain et président du comité de quartier du boulevard de Suisse, fait dans la nuance :
« Nous, on n’est pas contre la “prostitution à papa” qui se pratique dans des locaux. »
Aujourd’hui, la mairie espère provoquer « un effet splash » – soit disperser les filles vers la périphérie. Et ça marche : beaucoup de prostituées qui travaillaient dans les zones concernées ont déménagé sous les ponts de la rocade. A ce jour, 135 amendes ont été distribuées (dont 8 à la même personne). La police municipale fait en plus du zèle : prostituées et associations évoquent des contrôles d’identité accrus et non justifiés quand les prostituées ne sont pas en train de travailler.
Que demande le peuple ? / Crédits : SG Flickr Creative Commons
…mais surtout les prostituées étrangères
Toutes les prostituées ne sont pourtant pas logées à la même enseigne. Ce sont bien les migrantes qui sont prioritairement visées. « Les arrêtés, c’est pour les étrangères, les Africaines et les filles de l’Est qui baissent les tarifs et qui ne respectent rien ! » balance une quadragénaire péroxydée qui fait le tapin dans le quartier Belfort. Le quartier, zone historique de la prostitution, est contourné par l’arrêté du maire. C’est là que travaillent les « anciennes », en énorme majorité des françaises qui habitent sur place. Marie, cadre locale du Strass, le Syndicat des travailleurs du sexe, s’indigne :
« Les zones concernées sont comme par hasard là où les comités de quartiers sont très forts. Je suis allée à une de leurs réunions, c’est “les putes, les Roms, pas de ça chez nous”. »
Beaucoup de prostituées, pas forcément francophones, n’ont même pas été informées au préalable de l’entrée en vigueur de l’arrêté. « On va juste rendre les conditions de travail plus violentes pour les personnes déjà les plus fragiles », souligne Jean-Luc Arnaud, président de l’association abolitionniste l’Amicale du Nid. « M. Arsac ne cherche pas à savoir si ces personnes sont victimes de la traite ou pas, il veut juste que les riverains soient contents. »
2 Se débarrasser des SDF accompagnés de chiens…
A la rue depuis 5 ans, ce jeune SDF de 22 ans est venu en camion rendre visite à sa fille / Crédits : Sarah Bosquet
2e cible de Jean-Luc Moudenc : les « punks à chiens ». Comme d’autres villes du Sud, Toulouse est une destination privilégiée par les jeunes galériens qui descendent pour faire la saison, la manche et la fête. Un petit groupe stationné devant la gare dérangeait particulièrement des commerçants du quartier. En 2011, ils n’avaient pas hésité à embaucher quatre vigiles, via une société privée, pour chasser ces jeunes SDF de la rue Bayard, l’artère descendant de la gare. A en croire Paul-Emmanuel Jonquet-Séguala, président de l’association du quartier Bayard-Matabiau et … étudiant à Assas à Paris, le Lidl du coin a des faux-airs de Donestk :
« Le soir, il faut parfois passer entre les jets de projectiles. Tous les jours, on se retrouve avec des meutes de chiens, des hurlements.»
En mai, l’équipe Moudenc s’est empressée de promettre à ces riverains des caméras de vidéosurveillance. Mais aux grands maux, les grands remèdes : pour éviter « l’appel d’air » de « punks à chiens », Moudenc a déjà validé une promesse de campagne : l’arrêt de la vaccination gratuite des chiens de SDF. Jusqu’à son élection, la mesure ne concernait qu’une vingtaine d’animaux par an, pris en charge au centre social du Ramier par des étudiants de l’école vétérinaire. Coût annuel : à peine supérieur à 1.000 euros.
Joint par Streetpress, un adjoint justifie la mesure symbolique :
« Pourquoi vacciner ces chiens plutôt que ceux des personnes âgées ? »
Là encore, dans les rues de Toulouse, beaucoup de SDF, jeunes ou non, n’étaient même pas au courant qu’ils pouvaient faire vacciner leur compagnon gratos.
…avant de s’attaquer à tous les SDF
Maya, ex-artiste aujourd'hui à la rue / Crédits : SG Flickr Creative Commons
La mairie a aussi dans ces cartons un projet d’arrêté anti-mendicité qui pourrait concerner tous les SDF. Olivier Arsac, l’adjoint à la la sécurité, précise :
« Ce n’est pas exclu, même si ce n’est pas une priorité dans l’immédiat. »
De fait, pour verbaliser et déplacer les marginaux, la police municipale peut déjà utiliser un arrêté local qui interdit la consommation d’alcool dans l’hypercentre et sur les berges de la Garonne. Depuis 2003, il existe aussi tout un arsenal législatif pour réprimer la mendicité dite agressive.
« Les arrêtés anti-mendicité, c’est un classique des maires conservateurs », pointe Lionel Crusoé, avocat en droit public. « Ce sont des mesures de gesticulation politique, qui sont souvent annulées par le juge administratif. » Après une expérimentation dans certaines zones touristiques en 2011, la ville de Paris a par exemple renoncé à renouveler ces arrêtés. Début juillet, le tribunal administratif de Lille a annulé un texte similaire pris à Hénin-Beaumont par le maire Front National Steeve Briois.
Le symbole chatouille pourtant Jean-Luc Moudenc depuis 2006, l’année où Edouard Rihouay, un jeune étudiant toulousain, se fait balancer par-dessus le Pont Neuf par deux SDF. Moudenc transforme ce dramatique fait divers en outil de communication et entre en croisade contre la mendicité « agressive ». Seb, militant depuis dix ans au sein du collectif Sdf 31, se souvient :
« Moudenc avait pété un câble et lancé la répression systématique des SDF. Il y a eu une augmentation flagrante des contrôles, des verbalisations. La mendicité était considérée comme agressive à partir du moment où on demandait. ».
Aujourd’hui, les contrôles de police ont repris comme le raconte Pierre* (prénom modifié). A la rue depuis 5 ans, ce jeune SDF de 22 ans est venu en camion rendre visite à sa fille :
« Avant, je me promenais avec mes chiens détachés sans problèmes. Mais il y a deux mois, alors que je venais de sortir de la gare, les flics m’en ont embarqué un direct à la fourrière. Mais les amendes, je me torche avec. »
Côté politique, l’élu s’est aussi un peu cherché : inscrit sur une liste de soutien à Chevènement en 2001 (aux côtés d’anciens communistes), il prend ensuite sa carte à Debout la République, le parti souverainiste et nationaliste de Nicolas Dupont-Aignan… Et devient secrétaire départemental de la section Haute Garonne.
Pendant la campagne, DLR 31 accole même sa liste à celle de Mouvement pour la France, le parti de Philippe de Villiers, avec un slogan clair : « De l’ordre à Toulouse ! »
3 Déplacer le marché des précaires du centre-ville…
Un quartier est étroitement surveillé : Arnaud Bernard. Ici, le gros coup de com’ de Moudenc, c’est la fermeture de l’Inquet, le « marché des précaires ». Installé chaque dimanche sur la place, le marché délivrait une carte de vendeur à 120 personnes sélectionnées sur critères sociaux – en majorité des plus de 50 ans sans revenus, qui arrondissent leurs fins de mois avec des objets issus de la collecte.
A deux pas du Capitole, Arnaud Bernard, ses deux places entourées de bars et ses ruelles étroites, est aujourd’hui le seul quartier populaire de l’hypercentre. Un bastion historique de l’immigration, de la vie militante et festive de la ville, où cohabitent étudiants et vendeurs de cigarettes à la sauvette.
Jean Arroucau, un des travailleurs sociaux à l‘origine du projet, détaille :
« Ce marché a été créé en 2010 pour justement lutter contre la vente à la sauvette et accompagner des gens dans une démarche d’insertion ».
Depuis deux ans, la vente à la sauvette, c’est le prétexte officiel de présence policière accrue sur la place. Le maire a d’ailleurs ré-armé la police. Mais la nouvelle mairie a fait sans surprise le choix de la répression plutôt que de la prévention. A propos de l’éviction du marché de l’Inquet, Jean-Jacques Bolzan, le nouvel adjoint au commerce, se justifie :
« Les gens qui ont des problèmes, ce n’est pas la peine de les mettre au milieu des problèmes du quartier »
L’élu, qui pendant la campagne n’avait pas hésité à caricaturer ce vide-grenier du pauvre en « marché de voleurs », d’évoquer les plaintes des riverains. La fronde a été menée par l’association des commerçants du quartier. « C’est une bénédiction que ce marché fiche le camp » lance un caviste, installé depuis deux ans à l’angle de la place. « C’était un nid à trafic, à trucs tombés du camion. Si on fait un peu de nettoyage, c’est une excellente chose. »
Le marché de l'Inquet / Crédits : Marché l'Inquet
…et freiner le développement de kebabs
Autre cible à Arnaud Bernard : « les commerces communautaires ». Comprendre les kebabs ou les boucheries hallal. Pour lutter contre les nouvelles installations, le nouveau maire poursuit la politique de son prédécesseur en préemptant des locaux commerciaux dans le quartier. Nom de l’opération : « Commerce avenir ».
(img) “Ce sont des mesures de gesticulation politique”
« On essaye d’amener de la diversité commerciale pour éviter le communautarisme. Par exemple, en novembre, une épicerie bio va ouvrir dans la rue qui part de la place » se réjouit Jean-Jacques Bolzan, l’adjoint au commerce. Déjà ouvert dans les deux ruelles du quartier où mairie socialiste a lancé l’opération : une agence de conseil, un magasin de vélo, une maison de quartier et un café culturel. Des commerces qui attirent bobos et touristes mais qui sont aussi réclamés par certains habitants « d’Arnaud B ». Waheb, président du comité de quartier et gérant du bar Ali Bernard :
« On veut les mêmes commerces qu’au centre-ville, on est favorable à la diversification, on veut nous aussi éviter le communautarisme. Depuis plus de vingt ans on demande l’attention des pouvoirs publics et l’amélioration du quartier. »
Mais le bistrotier regrette que le maire UMP n’écoute que certains commerçants et « divise le quartier pour mieux régner ».
4 Exit la salle de prière d’Arnaud Bernard
La transformation du quartier style Moudenc, c’est aussi la fermeture de la petite salle de prière d’Arnaud Bernard, installée dans un ancien local commercial depuis moins de deux ans. Quand le socialiste Pierre Cohen s’était contenté de réclamer sa mise aux normes, la nouvelle mairie décide directement de clore la mosquée début juillet.
Olivier Arsac, le M. Sécurité de la ville se justifie :
« On me disait qu’elle avait été ouverte par des intégristes, certains riverains la trouvait trop bruyante. De toutes manières, elle n’était pas aux normes, et l’association occupait le lieu illégalement ».
L’association possède le bail, mais le syndic dénonce une utilisation du lieu non-conforme à son règlement. Les fidèles ont préféré déménager la salle deux rues plus loin pour calmer les tensions.
Edit : à la demande de la journaliste qui a rédigé l’article nous avons mis des guillemets autour de l’expression « punks à chiens » et supprimé certaines occurrences.
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