Pour les personnes nées dans les années 90, ce jour mémorable où le temps s’est arrêté toute une nuit – voire un peu plus – n’a qu’une résonance lointaine, nimbée par le bruit sourd des cris et des sifflets d’une nation en liesse. Le 12 juillet 1998, devant 20,6 millions de téléspectateurs et des foules agglutinées jusqu’aux trottoirs des bars, suspendues aux écrans et gesticulant depuis plus de quatre-vingt-dix minutes, la France gagnait la Coupe du Monde de football.
Ô instant suprême, ô moment exquis, où la camaraderie sans contingence se propageait comme une coulée de bière pour toucher jusqu’au cœur, jusqu’à l’âme, chaque individu insouciant pour un temps, transcendé par la joie et bondissant dans une grande fratrie en hurlant avec Gloria Gaynor « I Will Survive », dans un anglais approximatif mais sincère. Une nation, dirait le politique ; un peuple, clamerait le philosophe ; ou tout simplement la foule, répondrait le sociologue pour être pénible. La fête, quoi.
De ces moments intenses il reste des sensations, des saveurs, des sons, comme la clameur des bistros ou la persistance des klaxons dans les rues, auxquels on associe par des connexions plus ou moins logiques ou inconscientes des souvenirs. Pour les raviver il suffira d’une image : le numéro 10, le crâne glabre de Barthez, la photo d’un stade bondé… Ou plus simplement la vue, sur une casquette cornée ou un t-shirt usé, d’un petit coq bleu et rouge, le sourire au bec et le ballon à la main : le bien nommé Footix.
Zoo Depuis l’édition de 1966 et Willie le lion d’Angleterre, chaque Coupe du monde de foot a sa mascotte. C’est un privilège accordé au pays d’accueil que de se doter d’un emblème éphémère, certes en lien étroit avec le sujet de la manifestation, mais de surcroît capable d’incarner les valeurs qui lui sont chères, un échantillon de sa culture, les couleurs de son drapeau, un trait de caractère de son peuple, etc., afin qu’en un coup d’œil sa localisation soit identifiée.
L’exercice n’est pas forcément simple. Car si certains États disposent dans leur trousse à symboles d’un large échantillon d’artefacts de toutes sortes et de toutes espèces, d’autres sont moins bien affublés ; particulièrement quand les animaux semblent avoir la côte dans ce genre d’événement : Willie le lion (1966), Striker le chien américain (1994), Goleo le lion allemand (2006), Zakumi le petit léopard sud-africain (2010) et le tatou Fuleco du rendez-vous brésilien de cette année. Alors pour la France, ça n’a pas été trop dur.
La mascotte de Footix telle que nous la connaissons – ou l’avons connue – a été imaginée en 1995 par Dragon Rouge et a pris forme sous les traits de crayons du dessinateur Fabrice Pialot, avec lequel l’agence collaborait régulièrement pour la création de personnages. « On a fait immédiatement le choix du coq », raconte Christian de Bergh, directeur général de Dragon Rouge, en charge à l’époque de l’identité visuelle. « Pour nous, il n’y avait pas d’autres alternatives compte tenu que c’était la France qui organisait la coupe et que ça se passait en France. On ne voyait pas d’autre animal légitime. Alors on a voulu faire un coq sympa, positif et souriant, qui apparaissait parfois avec son fils, pour apporter la dimension éducative et de partage du foot. C’est la magie du dessin qui a fait le reste et notre proposition a été retenue ».
Copyright Côté graphique, le brief du Comité français d’organisation de la Coupe du monde 98 (CFO) était plutôt simple et les contours du personnage furent fixés assez vite. En revanche, lorsqu’il est question d’inventer un personnage à dimension et visibilité planétaire, la part la plus importante du travail se joue sur le plan du Droit.
« Le gros sujet derrière la création, poursuit le communicant, a été tout le volet juridique, c’est-à-dire de se poser la question de savoir si le dessin était assez distinctif, s’il pouvait être protégé au titre de marque et dans les différents pays. Bref, beaucoup de questions de propriété intellectuelle pour lesquelles on a dû aller vérifier, dans chaque pays, s’il n’y avait pas déjà un coq ressemblant au nôtre… Alors que pour la créa, tout a été calé assez vite : on avait quasiment le dessin définitif dès la première présentation. On n’avait pas présenté de crayonné ou de rough mais déjà des dessins finalisés. Il s’agissait ensuite d’établir plusieurs positions officielles du personnage en mouvement. »
C’est donc tout naturellement aux couleurs de la France, crampons aux pattes et l’index (l’index ?) levé que le gallinacé au nom gaulois faisait son apparition le 18 mai 1996, dans Les Années Tubes sur TF1. Présenté par Jean-Pierre Foucault, accompagné sur le plateau de Michel Platini et Claude Simonet (le co-président du CFO), Footix fut dévoilé pour la première fois à la télévision.
Polemix Comme à l’accoutumée dans ce genre d’entreprise, les critiques les moins flatteurs ne tardèrent pas à utiliser la tribune. Et puisque l’invective retentit toujours plus fort que le compliment, la pauvre mascotte fut passablement malmenée. Mais avec le temps, il devient difficile de se souvenir si la levée de bouclier s’était faite si rageuse à l’origine ; parce que la seule chose qui reste en mémoire, c’est la victoire, à laquelle Footix a été légitimement associé.
« Quand on lance ce type de projet, explique Christian de Bergh, et particulièrement en France, il y a toujours une petite partie de la population qui râle : “Pourquoi on a fait un coq ? C’est quoi ce nom ? C’est pas réussi !”. Avant 98, il ne s’est pas passé grand chose ; puis ça a été un succès, notamment commercial et en marchandising. Parce que la France a gagné. Au début il y a eu peut-être 2% des gens qui se sont exprimés pour dire « c’est moche », puis 98% qui l’ont finalement acheté, pour garder une trace de ce moment. Footix reste dans les mémoires du CFO un super produit de marchandising. »
Footix ne laisse passer aucune critique…
On a dû aller vérifier, dans chaque pays, s’il n’y avait pas déjà un coq ressemblant au nôtre
Quand on lance ce type de projet, il y a toujours une petite partie de la population qui râle
Dico D’abord mascotte de la Coupe, transcendée ensuite par la victoire française, le petit coq allait encore subir une ultime sublimation en entrant dans le langage courant. Peu de temps après le succès des Bleus, son patronyme devint un nom commun : un « footix » désigne les supporters auto-proclamés du jour au lendemain, les fans de la dernière heure, qui ne connaissent pas grand chose au foot mais ne ratent pas une occasion de lâcher avec véhémence des commentaires de surface, et soutiennent toujours l’équipe qui a le plus de chance de gagner… Une belle définition qui a encore cours de nos jours.
Alors finalement, pour une mascotte dont la durée de vie devait se limiter à la durée d’un événement sportif, c’est pas si mal. Et c’est peut-être pour cette raison que l’on croise encore de temps en temps, seize années plus tard, des gens portant le couvre-chef avec le petit coq, surtout en pleine Coupe du Monde. I Will Survive ?
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