Mairie des Lilas (93), 19h. Oliver Peel, la quarantaine bien tassée, déambule au rayon alcool d’un supermarché, deux packs de seize dans les bras et trois baguettes sous le coude. « Les chips ! J’ai oublié les chips », s’exclame nerveusement le cousin lointain de John Peel en se précipitant dans le rayon d’à côté. Ce soir, il organise son 75e concert d’appartement. Et il est déjà en retard. « C’est toujours comme ça. Un peu le bordel. C’est rock’n‘roll… »
Il appelle ça des « Oliver Peel Sessions », en référence à l’animateur culte de la BBC. Le principe est simple : il booke des artistes, trouve un appart et invite une cinquantaine de personnes. Oliver a commencé à organiser ses concerts informels en décembre 2007, un peu par hasard : « un ami voulait inviter un groupe qu’il adorait à jouer pour son anniversaire. On a squatté mon salon. » Il réitère l’expérience un an plus tard, pour les mêmes raisons. En 2009, il finit par se lancer sérieusement et à organiser ses propres concerts.
Concerts particuliers
Essoufflé par la marche rapide avec ses bières sous le bras, il arrive à l’appart. Mal rasé, la dégaine un peu gauche, il passe le portail, puis la porte, pour débarquer sa marchandise sur le comptoir de la cuisine. Une quinzaine de personnes sont déjà là. Oliver les salue chaleureusement, puis place les bières dans le frigo, comme s’il était chez lui. Ça n’est pourtant pas le cas :
« Les 41 premières sessions, je les ai faites chez moi. Mais j’ai déménagé et mon salon est devenu trop petit. »
« Les 41 premières sessions, je les ai faites chez moi. » / Crédits : Ines Belgacem
Depuis, Oliver squatte là où on veut bien lui prêter un lieu gratuitement. Ce soir, c’est Hervé qui reçoit. Il a répondu à une annonce qu’Oliver avait publiée sur son Facebook. « C’est royal, j’ai un concert dans mon salon. » Monteur pour une chaîne de télé, il profite de son temps libre pour organiser des événements culturels chez lui, comme des expositions photos. « J’aime faire vivre cet endroit. Et autant profiter du grand salon et de la terrasse. »
Pour l’organisateur, c’était une aubaine. Pas toujours facile de trouver un lieu pour accueillir autant de monde. Il faut un espace suffisamment grand pour installer le matériel des artistes et assez isolé pour accepter un nombre de décibels plus élevé que la moyenne.
8 à 10 euros la place
Les 16Pac, groupe « semi- pro », sont déjà installés. Vers 21 heures, Emma, la chanteuse, entame son tour de chant. Avec ses trois amis musiciens, ils se sont improvisés une scène autour de laquelle sont maintenant réunis une soixantaine de spectateurs, tous attentifs. « Les gens sont très respectueux et à l’écoute. On n’a pas l’habitude », avoue Emma, qui se produit le plus souvent dans le métro ou des bars. Ils ont accepté de jouer ce jeudi soir pour tester de nouvelles choses. A 22 heures, c’est duo folk Holden qui enchaîne, vieux routiers de l’underground rock – le groupe existe depuis 1998 et a enregistré 6 albums.
Le tourneur informel rémunère ses artistes. Avec un modeste pécule – « Je peux difficilement donner plus de 200 euros. » Avant, il faisait tourner un chapeau et comptait sur la générosité du public. Mais pour accueillir des groupes sympas, il s’est rendu compte qu’il lui fallait des moyens. Aujourd’hui, la place pour ses concerts d’appartement coûte entre 8 et 10 euros. Il assure que personnellement il n’y gagne rien.
« Moi mon métier, c’est traducteur. Je vis de ça, pas de mes concerts. Et puis voir mes artistes préférés en concert privé ça me suffit comme rémunération. »
Après un coup d’œil sur son verre de vin à moitié vide, il ajoute :
« En fait je perds même de l’argent avec les bouteilles que je ramène. »
Hervé, le proprio de l’appart’ / Crédits : Ines Belgacem
De nouveaux arrivants entrent sur la pointe des pieds. Parmi eux, Marcel en sueur dans sa veste de costard. L’informaticien débarque tout juste de la Défense, la sacoche de son ordinateur dans une main, un pack de bière dans l’autre. Dans l’appartement, deux marmots dansent : ici, c’est ambiance familiale garantie. Postée derrière le comptoir en bois de la cuisine, Isabelle, étudiante en master de droit culturel et assistante d’Oliver ce soir kiffe : « C’est comme une soirée chez des copains en fait. »
« C’est pour des groupes comme vous que j’organise mes sessions », lance Olivier devant toute l’assemblée, avant de demander au groupe Holden de jouer son morceau préféré. S’il n’est pas encore professionnel dans le milieu de la musique, il confesse caresser ce rêve : « J’aimerais bien faire tourneur par exemple. Les contacts sont là, l’expérience aussi. Je vais me lancer bientôt. »
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