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    23/04/2014

    Un chercheur étudie les tags de 2 millions de vidéos pornos

    Un nain, une milf et une beurette sont dans une vidéo...

    Par Nima Kargar

    Le cumshot est-il soluble dans la recherche en sciences sociales ? Quel lien entre notre passé colonial et le tag «beurette» dans nos vidéos pornos ? Le sociologue Antoine Mazières a passé ses journées sur Xhamster pour vous expliquer tout ça.

    « Pourquoi est-ce que, dans le porno, le tag le plus associé à “British” c’est “stockings” (“bas”, “collants”) ? » Après avoir analysé pendant six mois des millions de mots-clés de vidéos porno, le chercheur Antoine Mazières (INRA-SenS; LIAFA, Université Paris Diderot) se pose toujours la question.

    C’est que le dada de notre chercheur de 31 ans, c’est le « big data » – en gros : les chiffres en quantité. Antoine Mazières, un barbu aux cheveux châtains, a décroché un master de socio et travaille en ce moment à sa thèse sur le réseau social de codeurs GitHub. Il s’est lancé dans l’analyse de l’intégralité des tags des deux millions de vidéos porno des agrégateurs Xhamster et Xvideos. Avec 4 collègues, il a traité les données associées aux mots-clés qui décrivent chacune des vidéos X sur ces deux robinets à films porno (aka « tubes »). Une extension du domaine de la culbute couronnée par la publication d’un article dans la toute nouvelle revue Porn studies, présenté lors d’un « Porncamp » au Numa le 11 avril. L’occasion de parler gros chiffres, stéréotypes, beurettes et midgets (« migdets » ça veut dire nains).

    Tiens, un chercheur en sciences sociales qui s’intéresse au porno !

    Bah oui, parce que presque tout le monde en regarde ! Le X fait partie des références des gens, de leurs représentations. Et c’est aussi beaucoup d’argent.

    Et donc tu t’es levé un matin, en te disant, « tiens je passerais bien mes journées sur Xvideos.com » ?

    Euh… Je me suis levé un matin et me suis dit : tiens, c’est marrant, dans les tuyaux de l’internet il doit y avoir 25% de porno, 25% de finance, et puis tout le reste. Et alors que la finance se paie les meilleures études quantitatives, je n’ai rien trouvé sur le porno. J’ai contacté les principales plateformes du X, qui m’ont gentiment envoyé balader, alors j’ai décidé d’avancer par moi-même. Quelques semaines plus tard, j’avais mon crawler – un petit robot à qui tu dis d’aller sur Xvideos, de suivre tous les tags, de choper toutes les vidéos pour chaque tag, et pour chaque vidéo, de recenser tous les mots-clés… Et il en fait 100 à la fois !

    Ce qui te donne un très gros tableur, pour analyser tous ces tags…

    Carrément ! Sur Xhamster, t’as 92 tags différents, que les uploaders doivent cocher. Mais sur Xvideos, t’en as plus de 70.000 ! Parce que les uploaders les définissent eux-mêmes. Alors croise ça avec le nombre de vidéos…


    Antoine Mazières, chercheur à l’INRA-SenS et au LIAFA de l’Université Paris Diderot

    Et qu’est-ce qui est le plus écœurant : trop de Excel ou trop de porno ?

    Je t’avoue que j’ai désactivé toutes les images et les pop-ups dans la demi-heure ! J’ai quand même passé plusieurs journées sur des sites porno à étudier leur structure avant de pouvoir les crawler… Et quand t’as un résultat que tu ne comprends pas, tu dois retourner sur le site voir ce qui ne va pas. Ou alors, le grand classique : pendant que mon crawler était en route, Xhamster a refait l’interface de son site. Donc évidemment, j’ai du tout recommencer…

    L’autre chose, c’est que tu en parles toute la journée ! GitHub, le réseau social des codeurs sur lequel je fais ma thèse, ça emmerde les gens. Mais le porno, tu peux en parler à n’importe qui. Mes parents, mes grands-parents, ma tata… Tout le monde était intéressé !

    Alors, raconte-nous, qu’est-ce que tu as trouvé ?

    Il s’agissait avant tout de montrer qu’une analyse quantitative pouvait être pertinente dans l’étude du porno. Mais ça n’empêche pas d’avoir des résultats parlants. Par exemple, prends « midget » (« nain », un tag avec pas mal de succès), et « funny ». « Midget » n’est pas fréquemment associé à « blowjob », par contre il est sur-associé à « funny » – de l’ordre de 10 fois ! Donc on ne met pas des nains dans les vidéos pornos pour leurs prouesses techniques ou parce qu’ils font des blowjobs, mais parce qu’ils sont perçus comme drôles…

    Les croisements avec les nationalités sont aussi intéressants. Exemple, le tag le plus associé à « French », c’est « Arab ». Pourquoi ? Mon co-auteur Mathieu Trachman, qui a travaillé sur le fantasme de la « beurette » n’était pas étonné une seconde. Mais pour moi ce genre de rapprochements entre passé colonial et fantasmes sexuels était complètement nouveau. Ou pourquoi est-ce que le premier tag pour « British », c’est « stockings » ? Là je t’avoue que je n’en sais rien…

    J’ai désactivé toutes les images et les pop-ups dans la demi-heure !

    « Midget » n’est pas fréquemment associé à « blowjob », par contre il est sur-associé à « funny »

    A côté de l’étude, on a aussi pu, grâce aux données accumulées, créer le Porngram, une sorte de Google Trends du porno. Tu peux voir la fréquence de mots-clés dans le temps, donc les modes, ce que viennent chercher les gens. Tu vois par exemple en 2011 une explosion du revenge porn, le porno de la revanche : des gens qui étaient en couple et qui mettent une vidéo de leur couple après s’être séparés…

    Et ça pourrait intéresser l’industrie du porn ?

    On est toujours en contact avec PornHub, parce que travailler de manière scientifique sur les données peut leur apporter beaucoup. Les data, ça a une valeur énorme. Pour la petite histoire, PornHub a pu montrer sur son blog, PornHub Insights, que la consommation variait avec Thanksgiving, avec le fait de gagner ou de perdre le Superbowl, avec la température dehors…


    Data – Grosse hype pour les sista’… Cliquez sur l’image pour tester tous les tags imaginables !

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