Budapest – Mi-2013, à Budapest, StreetPress avait rencontré Attila, un sdf de 53 ans. On s’était posé au dessus du bar Dürer Kert, en face du grand parc de la ville, on avait parlé de sa vie, et aussi de la loi qui prévoit d’envoyer en prison les sans-abris qui dorment dans la rue.
Et puis l’interview avait traîné dans notre dictaphone, jusqu’à ce qu’on nous rappelle qu’à Budapest, c’était toujours la merde pour les SDF. Et que c’était même devenu pire depuis qu’on était partis.
Pire ? Car lorsque le Fidesz, le parti de droite populiste de Viktor Orbán, prend le pouvoir en 2010, il modifie le code de l’urbanisme pour permettre aux maires de voter des arrêtés anti-sdf. Dans la foulée, le maire (Fidesz) de Budapest annonce une « opération de paix sociale » au terme de laquelle… les sdf ne pourront plus dormir dans 12 passages sous-terrains de la ville. Les sans-abris qui stationnent dans l’espace public sont verbalisés et dans le 8e arrondissement – un des plus pauvres de la ville, une amende de 50.000 forints (180 euro) attend les personnes prises en flagrant délit de… fouiller une poubelle. Dans le même temps, le gouvernement hongrois réfléchit à ouvrir des lieux d’accueil « compatibles avec une détention, qui permettraient d’y placer des sdf qui ne voudraient pas utiliser les abris qui leurs seraient proposés ».
Constitution Les sdf arrêtent de rigoler l’année suivante quand le parlement hongrois permet aux municipalités d’infliger une amende de 150.000 forints (500 euro) aux sdf qui commettent le délit d‘« habiter dans l’espace public ». La loi prévoit qu’en cas de récidive, les sdf encourent 60 jours de prison. Mais en 2012, la Cour constitutionnelle hongroise considère que la loi est anticonstitutionnelle… Ce qui ne fait pas plus peur que cela au parti au pouvoir, qui fait voter au printemps 2013 un amendement à la Constitution hongroise. Il suffisait d’y penser !
Depuis l’automne, les maires peuvent donc à nouveau désigner des zones sans-sdf dans leurs villes. Exemple, depuis novembre dernier à Budapest, les 600 hectares de sites inscrits au patrimoine mondial de l’Unesco, les abords des écoles ou des arrêts de métro ou de tram dans un rayon de 100 mètres, 29 passages sous-terrains, certains parcs, sont interdits aux sans-abris. Illustration en vidéo :
Les arrêtés anti-sdf sont jugés anti-constitutionnels. Pas de problème, le gouvernement hongrois fait modifier la constitution !
L’ONG européenne de défense des mal-logés Feantsa a fait le calcul : A la mi-2013, 2202 sans-abris avaient été condamnés à des amendes et 24 avaient été envoyés en prison.
Rencontre Bandana sur la tête et longue barbe grise, Attila Takács est un ancien entrepreneur geek qui s’est retrouvé à la rue il y a 7 ans. Après avoir bossé jeune comme soldat sur un bateau sur le Danube, Attila commence des études d’informatique et est recruté dans « la première entreprise du pays à gérer sa comptabilité par ordinateur » :
« J’étais un pionnier ! Le Commodore 64 venait de sortir ! »
Quand le régime soviétique s’effrite, comme beaucoup de Hongrois il développe ses business… pas toujours légaux :
« Comme beaucoup, je faisais du biz avec les soldats russes. A l’époque, j’avais un terrain près de Esztergom [au nord du pays, ndlr], à 200 mètres d’un entrepôt russe. Les soldats me vendaient de l’essence et d’autres choses, et moi en échange je leur trouvais des vieilles bagnoles soviétiques dont ils raffolaient, des Zsiguli, ou des Moskvitch… »
Au milieu des années 2000, Attila s’installe à Budapest, comme prestataire freelance pour des entreprises. Mais voilà qu’en 2007 2 clients le plantent :
« J’habitais dans le 16e arrondissement, mon propriétaire m’a foutu dehors. Le soir, je dormais sur des bancs ou chez les gens. »
Attila rejoint en 2009 le collectif de défense des sdf « A Város Mindenkié » [« la ville est à tout le monde », ndlr], qui regroupe des sans-abris et des bénévoles.
Je lui demande de me raconter le quotidien d’un sdf dans la plus grande ville d’Europe centrale :
Bon, alors être arrêté, parce qu’on est dans la rue, ça fait quoi ?
J’ai été arrêté une fois, on ressort et c’est tout ! D’autres SDF ont été condamnées à des amendes et arrêtés quasiment tous les jours. En vrai… ils rigolent bien de tout ça ! Et les flics aussi en ont marre de devoir faire le taxi pour les sans-abris entre le parc et le commissariat…
Et vous payez vos amendes ?
Avec quoi ? Bien sûr que non ! Mais c’est dangereux parce qu’au bout de l’histoire, si le sans-abri ne peut pas payer ses amendes, elles peuvent être converties en travail d’intérêt général. Et s’il refuse de l’effectuer, alors il risque la prison.
Le gouvernement proclame qu’il a dépensé un milliard de forints à construire des abris…
Le gouvernement dit plein de trucs ! C’est vrai que 2 nouveaux abris et 1 centre de santé pour les SDF ont ouvert depuis l’arrivée du gouvernement. Mais après le gouvernement truque les chiffres en additionnant les accueils de jour et de nuit… par exemple si tu déposes tes affaires le jour dans un centre de jour et que tu passes la nuit dans un centre de nuit, cela compte pour 2 personnes accueillies !
Et comment vous réagissez par rapport à tout ça ?
Et bah on fait des manifs, assez souvent d’ailleurs. On essaie aussi de discuter avec les partis politiques et de participer à différentes instances, dialoguer avec les mairies d’arrondissements de Budapest. Parfois ça fonctionne, comme dans le 10e arrondissement, où ils ont arrêté de nous harceler. Parfois pas. Dans le 11e arrondissement, on a lancé une procédure pour demander des dommages et intérêts à la mairie pour des destructions de cabanes de SDF.
Vous faites un procès à la mairie ?
Oui, chaque semaine, de jeunes avocats viennent place Blaha Lujza [où les sdf dormaient dans les sous-terrains, ndlr] et ils répondent aux questions juridiques de tout le monde, distribuent des fascicules qui expliquent leurs droits aux sans-abris. On appelle ces avocats des « Street Lawyers ».
Au moins 24 sdf ont été envoyés en prison
Adepte du Commodore 64, Attila est un geek de la première heure
« En vrai… les sdf rigolent bien de tout ça ! »
Des activistes du collectif A Varos Mindenkié, le 9 mars 2013, lors d’une manifestation contre l’amendement à la constitution rendant légaux les arrêtés anti-sdf
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