Maryse Ewanjé-Epée – Bio Express
4 septembre 1964: Naissance à Poitiers
Années 80/90: 10 fois championne de France du saut hauteur
1992: Débuts comme journaliste sur Eurosport
2003: Débuts sur RMC info
2005: création de Yafoye Events, une boite de production audiovisuelle afro-caraibéenne
depuis 2007: Consultante et chroniqueuse du Moscatoshow
2010: Sortie des Négriers du foot
Pour commencer je voudrais avoir votre avis sur le film Black Diamond : reflète-il la réalité du foot-business en Afrique?
Il reflète non seulement la réalité mais je dirais même la complexité de la nébuleuse. Certaines personnes peuvent avoir l’air perdues pendant le film en se disant qu’on ne sais pas qui tire les ficelles et à qui profite le crime. Je crois que c’est justement ce que Pascale Lamche voulait traduire. Chacun prend l’entrée qu’il veut dans ce film et on comprend que c’est très compliqué. Tout en haut on a les grands, tout en bas les petits et entre les deux on a un certain nombre de personnes qui trafiquent. Mais on ne sait pas qui, ni comment, ni pourquoi.
Dans le film un passage soulève la question de l’implication des Qataris dans le foot-business. Le réalisateur ne répond cependant pas à la question.
Effectivement, dans le film il y a un épisode assez parlant avec Aspire , une société qatari qui caste un millions de gamins pour en recruter 20 ou 22. Le Qatar depuis quelques années achète tout simplement le sport mondial, aussi bien des sportifs qui sont naturalisés que des compétitions qui sont sponsorisés ou que des grands ambassadeurs qui sont cooptés comme Zinédine Zidane récemment. Aspire veut la Coupe du Monde de football en 2022 et pour ça il faut absolument que le Qatar élève son niveau de football, qu’il existe sur la scène internationale. Les Qataris font alors du recrutement et naturalisent certaines personnes. Pascale Lamche montre que dans des pays qui sont déjà en très forte attente par rapport au football, le rêve prend tout d’un coup des dimensions extraordinaires. Tout le monde essaye de se greffer à ce projet pour en profiter.
Black Diamond – Ze Story
Le film documentaire de Pascal Lamch raconte l’histoire de jeunes footballeurs africains envoyés en Europe par des intermédiaires peu scrupuleux. Alors qu’ils croyaient devenir les nouveaux Didier Drogba, les adolescents deviennent victimes des différents réseaux: du trafic de drogue à la prostitution. Pour lire la critique complète du film c’est ici.
Comment vous est venue l’idée de votre livre?
D’abord je n’ai pas eu l’idée de mon livre: elle s’est imposée. Je dirais même qu’on est venu me chercher pour que j’en parle. J’en parlai déjà fréquemment dans mes émissions de radio et de télévision. J’avais une société qui s’appelle Yafoye Events qui produisait des émissions de radio pour toute l’Afrique francophone. Par le biais de ces émissions j’ai été très fréquemment contactée par des jeunes gens qui me parlaient de leur situation et qui me demandaient de les aider, toujours autour du football. J’ai été amenée à rencontrer aussi bien des grands champions africains, que des gamins perdus ou des associations qui s’occupaient de récupérer les gamins qui étaient arrivés en Europe par des biais un petit peu curieux. On va dire que ma voix a porté suffisamment pour qu’un éditeur me demande d’en faire un livre. Avec cette lucarne qu’était la Coupe du monde en Afrique du Sud, cela permettait de médiatiser un côté un peu sombre du football.
Ce n’est donc pas l’affaire Apoula le déclencheur du livre ?
Le déclencheur a été effectivement l’affaire Edel Apoula . Ça a été un très grand scandale en France parce que le PSG risquait de grosses sanctions. Son histoire je la connaissais depuis 2 ou 3 ans parce qu’il cherchait à récupérer sa nationalité camerounaise. Mais je voulais surtout parler de son parcours. Le but du livre ce n’était pas de faire un enquête sur l’âge d’Edel ou de qui que ce soit.
L’affaire Edel Apoula
Décembre 2009 Edel Apoula le gardien de but arménien d’origine camerounaise du PSG vient de gagner ses galons de titulaire suite à la blessure de Gregory Coupet. Au terme d’un parcours assez atypique au cours duquel il est passé par l’Arménie puis la Roumanie, le jeune joueur réalise enfin son rêve: porter les couleurs du Paris Saint-Germain.
L‘« affaire Apoula » éclate lorsque Nicolas Philibert, son ancien entraîneur vient réclamer à son ancien poulain le paiement d’une dette de 35.000€. Après avoir essuyé un refus, Philibert a décidé de révéler à la presse la « véritable » identité du joueur. Edel Apoula se nommerait en fait Ambroise Beyaména et aurai 29 ans au lieu des 24 affichés sur sa pièce d’identité.
Vous avez quand même fait une enquête très détaillée sur sa carrière depuis sa jeunesse.
La justice fera la lumière sur son âge et sur son nom: ça c’est son boulot. Le procès aura lieu très bientôt. Admettons que Nicolas Philibert l’emporte devant la justice et que Edel n’avait pas 15 mais 19 ans au moment de quitter le Cameroun, je ne pense pas que cela change grand chose. J’ai moi-même une fille de 19 ans, je ne la laisserai pas partir dans n’importe quelles conditions en Arménie ça c’est très clair. Cela m’a intéressé de savoir comment on prend un jeune, comment on bouleverse sa vie, comment on l’emmène dans un pays étranger en lui faisant croire que c’est la France – ou que c’est comme la France – et comment on l’abandonne pendant 4 ans là-bas. Edel a réussi par ses propres moyens, en se sauvant tout simplement. Il a même été condamné pour ça: pour s’être sauvé de son « club d’achat ». Comment on peut lui réclamer des années après une somme d’argent ? Surtout que Nicolas Philibert n’est pas un agent. Il dit tout simplement que c’est une dette banale qui n’a rien à voir avec le football. J’avais beaucoup de mal à le croire et c’est sur tous ces aspect là que j’ai enquêté: sur les quelques dizaines de personnes que Nicolas Philibert a fait partir partout dans le monde qui lui devraient des sommes d’argent qui n’ont rien à voir avec le football.
Lorsque l‘on lit votre ouvrage, on a le sentiment que c’est impossible d’être honnête dans le milieu du football professionnel africain.
Dans le livre il y a deux types de parcours: celui des jeunes gens victimes de la traite des footballeurs puis il y a le parcours de personnes fantastiques qui ont œuvré pour la défense de ces jeunes footballeurs (Manifootball , Jules Kodjo , Diambars etc…). Alors c’est vrai que à plusieurs reprises en me relisant je me disais « il n’y a pas beaucoup d’espoir dans ce que tu écris ». Pourtant j’ai la sensation que pendant les vingt dernières années où s’est déroulée cette lutte contre l’exploitation de l’être humain par l’être humain dans le sport, il y a beaucoup de choses qui se sont passées. Un certain nombre de pays commencent à se prendre en charge.
L’affaire Edel Apoula
Décembre 2009 Edel Apoula le gardien de but arménien d’origine camerounaise du PSG vient de gagner ses galons de titulaire suite à la blessure de Gregory Coupet. Au terme d’un parcours assez atypique au cours duquel il est passé par l’Arménie puis la Roumanie, le jeune joueur réalise enfin son rêve: porter les couleurs du Paris Saint-Germain.
L‘« affaire Apoula » éclate lorsque Nicolas Philibert, son ancien entraîneur vient réclamer à son ancien poulain le paiement d’une dette de 35.000€. Après avoir essuyé un refus, Philibert a décidé de révéler à la presse la « véritable » identité du joueur. Edel Apoula se nommerait en fait Ambroise Beyaména et aurai 29 ans au lieu des 24 affichés sur sa pièce d’identité.
« Que Edel n’avait pas 15 mais 19 ans au moment de quitter le Cameroun, je ne pense pas que cela change grand chose »
L’impact de ses initiatives n’est-il pas trop limité ?
Pour moi l’expérience de Diambars (l’association de Jimmy Adjovi-Boco, Patrick Vieira, Saer Seck et Bernard Lama, ndlr) au Sénégal est extrêmement positive. Les autorités commencent à travailler, le gouvernement et la fédération sénégalaise de football aussi parce qu’ils ont compris que le rêve doit rester africain comme l’a montré la très belle dernière Coupe du Monde… Enfin belle, on va dire en général, pas pour la France en tout cas ! Il faut absolument que les Africains se saisissent de leur football, qu’ils élèvent le niveau, que les championnats locaux soient bon pour que les jeunes n’aient pas envie de partir tout de suite vers l’Europe. Que ces jeunes fassent leurs preuves dans leur pays, qu’ils fassent de bons internationaux ensuite !
Mais les revenus des championnats locaux ne pourront jamais retenir les footballeurs africains de vouloir migrer vers l’Europe
On peut dire que le souci est la pauvreté mais je ne suis pas d’accord. Il y a un véritable exode qui n’existait pas il y a trente ans. Autrefois c’était seulement les meilleurs qui partaient. Ce qu’il faut bien dire aux Africains qui s’en vont et qui se disent « je gagnerais mieux ailleurs », c’est qu’ils ne sont pas attendus. Sur les milliers qui s’en vont, il y en a que quelques-uns qui réussissent, les autres n’ont pas le niveau international. Ils ne vont pas gagner de l’argent. Ils vont mourir ! Au sens propre. Là je suis tout à fait sérieuse et on le voit très bien dans le film de Pascale Lamche. Ils vont mourir tout simplement. Ils vont partir dans certains pays et ils mourront de faim. Les autres finiront dans la clandestinité, certains même dans la prostitution. Il faut arrêter de faire croire aux Africains que tout le monde peut réussir. Ce n’est pas possible, on ne peut pas tous partir et se dire qu’à la force de nos jambes on va réussir. Le talent ça ne s’invente pas. On peut bosser très dur mais le talent c’est comme une pépite, ça n’est pas donné à tout le monde et ça il faut le dire.
J’ai été assez marqué par votre style et l’emploi d’un vocabulaire très africain. Quel en était le but ?
J’avais besoin de me plonger dans l’ambiance et je savais que je racontais une histoire pas très gai dans une période gai. On était en pleine période de Coupe du Monde. Je voulais lui donner un ton, une sorte d’humour un peu détaché. Comme on peut le voir quelques fois en Afrique où on est capables de sourire y compris des plus grands malheurs. Il n’y a pas de fatalité, on peut combattre de façon positive. Moi je suis né ici en France, j’ai des origines africaines par mon père mais françaises par ma mère et espagnoles par mon grand-père. J’avais aussi besoin de me plonger dans cette Afrique que j’essayai de décrire. Je faisais ma propre éducation par ces recherches linguistiques, historiques et géographiques qui me servent beaucoup.
Vous connaissez d’autres auteurs qui écrivent comme ça?
Ah non je suis unique! C’est mon style à moi j’écris toujours de façon… humoristique on va dire.
« Le Qatar depuis quelques années achète tout simplement le sport mondial »
« Le talent c’est comme une pépite, ça n’est pas donné à tout le monde »
« Je n’ai pas eu l’idée de mon livre: elle s’est imposée »
Source: Samba Doucouré | StreetPress
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