A StreetPress on en a marre : crise de la presse, trop d’impôts, trop de charges… Le ras-le-bol fiscal guette notre patron. Son constat est clair, un journaliste coûte trop cher. Et si Renault délocalise ses usines en Roumanie, pourquoi ne pas faire pareil ?! On ne vous cache pas que ça fait quelques temps qu’on y pense dans les hautes sphères, surtout depuis qu’à la rédaction certains parlent carrément de se syndiquer…
Offshore
« Si ça continue je vais finir sur la paille. Déjà l’an dernier j’ai dû revendre l’un de mes yachts pour payer les notes de frais des journalistes », témoigne Jo, fondateur de StreetPress. Quand Rosemees Company Limited, une société « opérant en offshore » (sic) a contacté l’équipe de StreetPress, la direction était plus qu’emballée: « On avait déjà commencé à discuter de qui nous pourrions nous séparer », confesse sous couvert d’anonymat un responsable des ressources humaines de l’équipe du pure-player.
Il faut dire que l’offre était alléchante : « Nous sommes en mesure de vous faire économiser entre 40-60% sur les ressources humaines », promet la publicité tombée dans nos boîtes mails. Et ce grâce à des « plate-formes » situées à l’Île Maurice ou Madagascar pour des articles en français (il est également possible d’avoir du contenu en anglais, espagnol et italien grâce à des plate-formes situées en Inde et en Argentine). Wouaou, une multinationale de la sous-traitance journalistique qui nous propose de produire beaucoup plus d’articles pour beaucoup moins cher !
Pas d’amateurs
Sur son site internet, l’entreprise revendique « près de 1.000 employés ». Ses cœurs d’activités: le télémarketing et les call centers. Une page est également consacrée à la « rédaction web ». Elle propose de « peupler un site internet », et assure de la qualité de son service :
« Pour nous, être rédacteur web est un métier à part entière, et nous n’avons pas d’amateurs ou de gens “compétents” à vous proposer. Notre personnel est professionnel (…). Nos journalistes web ont été formés afin de concilier une écriture simple, facilement compréhensible et claire pour l’internaute afin de répondre efficacement et rapidement à ses besoins d’information. »
Notre big boss, salivant d’avance à l’idée de réduire sa « masse salariale » en augmentant ses marges, mandate l’auteur de ces lignes pour contacter l’entreprise prestataire.
Low-cost
Au téléphone on nous assure qu’il n’y a « aucun problème » pour faire du contenu journalistique. D’ailleurs leurs rédacteurs sont au niveau : de bac à bac+3. Et pour StreetPress, « pas besoin d’un bac +3, un niveau 2 devrait suffir », affirme notre interlocutrice. Plus modestes que leur confrères hexagonaux, les journalistes mauriciens « ne signent pas les papiers. Vous pouvez nous donner un pseudonyme. » Ah, comme c’est pratique ! On pourrait peut-être garder les signatures de nos actuels journalistes…
Ça coûte combien ? Le tarif de base est de « 0,019 euro le mot », soit 9 euros 50 l’article de 500 mots (environ une demie page dans un journal comme Libération). Comme l’idée, ne nous en cachons pas, c’est de virer un journaliste (moi?), nous avons décidé de comparer leur offre avec le coût d’un salarié de StreetPress, soit pour l’entreprise quelques 2.500 euros (charges comprises). La commerciale nous demande de patienter quelques instants, le temps de faire ses calculs. « Si je vous fais un tarif dégressif, pour 2.500 euros, je peux vous proposer 330 articles de 500 mots environ. » Soit le nombre de papier produit par toute l’équipe de StreetPress en… 11 mois ! Un tarif alléchant (7,57 euros l’article), d’autant plus qu’il n’y a ni charge, ni TVA à ajouter. Quant aux modalités de paiement: c’est 50% à la commande, le reste à la réception des papiers. Le tout à régler « par virement bancaire ou Western Union ».
Droit social
Et les salariés dans tout ca ? Grâce aux joies des internets on finit par mettre la main sur une ex-plume de la boîte qui nous raconte le fonctionnement de « Rosemees Company » : une vingtaine de salariés s’occupent de la rédaction des articles en « se basant sur la presse et le web ». Et même si l’ambiance est « plutôt détendue », pas question de mollir si on veut atteindre les objectifs fixés : 21 papiers par jour. Pas vraiment un problème pour notre rédacteur. « J’arrivais à en faire environ 40 en une journée », pour un salaire de 22.000 roupies, environ 530 euros, «plus des primes». Ce qui correspond au salaire moyen à l’Île Maurice.
Délocaliser StreetPress serait presque une forme d’aide au développement donc… « Tu crois que comme pour un don à une ONG on peut le déduire de ses impôts ? », m’interroge Jo, toujours avide de nouvelles méthodes d’optimisation fiscale. Je ne crois pas, mais selon l’Expansion, le pays bénéficie de « l’un des régimes fiscaux les plus généreux au monde » avec un taux d’imposition de seulement 15% pour les entreprises et… 0% sur les dividendes.
Clients
Streetpress n’est visiblement pas la seule entreprise tentée par ce système : « Rosemees Company », sur son site internet, assure travailler pour « les plus grands opérateurs médiatiques anglophones et francophones ». Info ou intox ? Par mail, l’entreprise de sous-traitance nous balance, articles à l’appui, une liste d’une vingtaine de sites internet. Certains squattent le top 50 des sites les plus visités de France. Contactées, les entreprises nient. Impossible de vérifier.
L’ex salarié nous explique cependant que « Rosemees Company » fournit des articles à de nombreux sites de presse féminine, du secteur du jeu vidéo – « deux personnes ne faisaient que ça, ils testaient même les jeux chez eux » – mais aussi de nombreux sites techno et bricolage.
Encore indécis ? Pas de problème, Rosemees Company Limited nous propose un « article test » sur un sujet de notre choix.
StreetPress : Un article style reportage, sur l’ouverture d’un bar à chats, à Paris, c’est possible ?
Rosemees Company Limited : Sans problème !
Il suffit d’envoyer un article qui servira de modèle pour le format et le ton. Nous choisissons un reportage sur le « vapor-lounge », un bar où l’on vient déguster les cigarettes électroniques proposées par la maison.
48 heures plus tard, le résultat tombe dans notre boîte mail. Le papier est bien écrit et tous les éléments du reportage y sont. « Les yeux pétillants » de la patronne, description, ambiance… On s’y croirait presque. Quand on pense que les journalistes de StreetPress perdent leur temps à partir sur le terrain, alors que mater quelques vidéos de France 3, Le Figaro ou Europe 1 suffit à faire illusion. Et puis pas de véritable risque de se faire prendre pour plagiat, puisque les citations, bien que reconnaissables, sont légèrement reformulées. Ah, ce sens du détail !
Lisez donc l’article en intégralité et dites-nous : On délocalise ?
L’article : « Ouverture du premier bar à chats version parisienne »
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