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    15/12/2011

    Fear and loathing in Bassin de la Villette

    Trip report: 48 heures sous cannabis

    Par Félix Lechat

    Travail, fooding, sexualité: Félix, pigiste et fumeur occasionnel, a enchaîné les splifs pendant 2 jours sans rien changer à son quotidien. Le résultat? «Très rapidement je me suis mis à angoisser sur la nécessité de ce reportage ».

    Conférence de rédaction de StreetPress – Quelque part au mois de septembre

    « Suite à notre appel sur Facebook, nous avons réuni autour de cette table la fine fleur des spécialistes du cannabis de la Presse Française. Vous avez donc carte blanche pour balancer vos idées. » Tandis qu’un vaporisateur chargé d’herbe circulait autour de la table tel un calumet de la paix, le directeur de la publication Johan Weisz nous briefait et recueillait les propositions de sujet pour le dossier cannabis en cours de préparation. Voulant faire mon malin (et aussi parce que j’étais un peu défoncé), je proposai en rigolant un reportage gonzo de deux jours durant lequel le journaliste devait être défoncé. Le problème à StreetPress c’est que l’on ne peut pas dire de conneries aux réunions sans avoir à les assumer ensuite. Du coup, mon sujet a été retenu. Voilà le résultat.

    Jour 1 – Lundi 19 septembre 10h30 – Faux départ

    J’arrive de bon matin, prêt à mener ce reportage d’une main de maître. Je sens au fond de mon cœur de journaliste, les esprits de Thompson, Londres et Hemingway qui guident chacun de mes pas. Gonflé à bloc, je pousse la porte de la rédaction puis me rend compte que le reportage n’aura pas lieu aujourd’hui du fait que personne n’a de « matos ». Aussi désespéré que le dernier des toxicos, je décide de repasser plus tard et de rester à l’affût des plans drogues éventuels. Heureusement, un coup de fil de la rédaction me fait savoir un peu plus tard dans la journée que le « matos » a été récupéré. Je félicite chaleureusement les membres de cette rédaction et leur donne rendez-vous le lendemain pour commencer l’expérience. 

    Jour 1 bis – Mardi 20 septembre 11h – « Is this the real life ? Is this just fantasy ? »

    Sérieux dans mon travail, je décide de me rendre à la rédaction de StreetPress dès potron-minet. Cette fois ça y est, je vais enfin commencer mon grand reportage. Les membres de la rédaction m’accueillent avec un large sourire et m’annoncent qu’ils ont trouvé un sachet de cannabis en se « promenant » le long du canal. Si cette anecdote est vraie, je pense qu’il s’agit d’un coup du destin particulièrement heureux. Apparemment les esprits bienveillants du journalisme souhaitent que ce reportage ait lieu et déposent donc délicatement au pied des gens dans le besoin des petits pochons de beuh, comme ça, gratos. 

    Je fume donc mon premier joint tout en réfléchissant à l’angle que je vais bien pouvoir donner à ce papier. J’aimerais bien que cette expérience me permette de conclure quelque chose de profond et significatif. Mais rapidement les premiers effets se font sentir et bientôt mon cerveau refuse de suivre un raisonnement simple et cohérent. Ma tête devient plus lourde, mes yeux commencent à frotter et ma langue devient sèche: le THC commence son petit bonhomme de chemin.

    Suite à notre appel sur Facebook, nous avons réuni autour de cette table la fine fleur des spécialistes du cannabis de la Presse Française

    Panique Laissant tomber la réflexion pour le moment, je commence à travailler en faisant de la retranscription de vieilles interviews, un job ingrat mais qui ne demande pas d’utiliser sa matière grise. Mais très rapidement le simple fait de taper au clavier devient un calvaire. Mes doigts échappent à mon contrôle, et le temps commence à ralentir furieusement. J’essaye de me concentrer sur mon travail mais tout devient prétexte à la distraction: Les taches sur le mur, la musique qui s’échappe des autres pièces ou tout simplement les journalistes présents avec moi dans la salle et qui profitent de l’effet aquarium pour engager des conversations totalement idiotes. Très rapidement je me mets à angoisser sur la nécessité de ce reportage et sur ce que je vais bien pouvoir écrire. « Qu’est-ce-que je fais là, à côté de ces gens qui semblent bosser sérieusement alors que je suis complètement défoncé ? » Le surréalisme de cette scène et la confrontation avec cette triste réalité me pousse à aller faire un tour dehors.

    Rabbin joggeur et sandwich de ma vie Après tout, mon estomac commence à réclamer sa dose de nourriture et je me rends donc d’un pas léger vers la boulangerie la plus proche. Là encore, tout semble irréel. La rue défile sous mes yeux comme si j’étais sur un petit nuage. Je commande un sandwich mais les odeurs « épicées » de mes vêtements ainsi que mes bredouillements font deviner au boulanger que je suis raide. Son regard s’obscurcit d’autant plus que mon indécision fait naître une file d’attente derrière moi. Heureusement ma commande arrive et je repars rapidement vers le bassin de la Villette. Ici je peux souffler. L’endroit n’est pourtant pas désert mais la sensation de dépaysement est telle que mon esprit se relaxe. Je me pose sur des marches et observe les environs tout en savourant mon sandwich au thon. Un chien passe tout seul devant moi, de l’autre coté un mec qui ressemble à un rabbin fait son footing tandis que je remarque la présence d’un jeune étudiant qui bouquine tranquillement sur un banc. Bref je suis émerveillé par des détails à la con et je peux vous assurer qu’il s’agit sans doute du meilleur sandwich de ma vie.

    Libido De retour à la rédaction, l’angoisse est partie ainsi que les effets les plus forts du premier joint. Je décide donc de m’en fumer un deuxième derechef afin de tenir mon contrat. Je ressens de nouveau comme une baffe mentale mais cette fois-ci, les effets sont plus progressifs et je gère un peu mieux la montée. Je vais donc pouvoir travailler plus facilement même si je m’interromps assez souvent pour écouter de la musique et regarder le canal par la fenêtre.

    Les journalistes présents avec moi dans la salle profitent de l’effet aquarium pour engager des conversations totalement idiotes

    Le reste de la journée passe rapidement et je fume un dernier joint avant de regagner mes pénates. Le voyage en métro se passe sans heurt même si mon odeur de marijuana persistante fait doucement rigoler deux jeunes qui me regardent du coin de l’œil. Arrivé à la maison, je me scotche sur mon ordinateur, trop heureux de redécouvrir une connexion internet correcte. Je lis quelque part que le cannabis améliore la sensualité et la libido et décide donc de tester ce facteur une fois ma copine rentrée. Malheureusement je ne sais pas ce qui s’est passé entre-temps: je me suis endormi comme une merde à 22h15.

    Je lis quelque part que le cannabis améliore la sensualité et la libido et décide donc de tester ce facteur une fois ma copine rentrée

    Jour 2 – Mercredi 22 septembre – Et soudainement, l’Afrique !

    Je me lève avec l’impression d’avoir bien dormi. Je ne pète pas la forme pour autant mais je me sens d’attaque pour ce deuxième jour. Mes doutes se sont envolés quant à l’utilité de ce reportage idiot. Tant que je suis dedans, autant aller jusqu’au bout. Je me pointe donc à la rédaction vers les coups de 10h30 et me défonce de nouveau…

    Première constatation : je gère bien mieux les effets, même si je n’en donne pas l’air en donnant un coup de pied malheureux dans une prise (ce qui aura pour effet d’éteindre tous les ordinateurs de la rédaction). J’apprécie bien plus les effets relaxants du THC deux heures après avoir fumé le joint et mon travail avance bien plus vite. Je sens pourtant que ce n’est pas en restant assis à un bureau que je vais avoir beaucoup de choses à raconter. Je profite donc de la pause de midi pour m’éclipser et trouver un petit restaurant. 

    Wassa Poulet Sous les effets du THC je marche sur 200 m (ce qui me donne l’impression d’avoir fait une randonnée de 2h environ) et je jette mon dévolu sur un petit fast-food africain. Tout comme le sandwich d’hier, ce repas me fout une claque au cerveau. La musique jazz reggae, les décorations murales, les odeurs épicées et l’assiette de wassa poulet font que je ne suis plus du tout à Paris. Je ne m’étonne même pas quand les plombs du resto sautent et que le patron rassure les clients en indiquant que «  c’est normal, c’est l’Afrique ici ! ».

    Metro De retour à la rédaction, je termine mon travail vite fait et fume les deux derniers joints. Sur mon bureau c’est Tchernobyl. Des miettes de tabac et de cannabis se battent en duel un peu partout entre les clopes, le briquet et les bouts de papier à rouler déchirés. Je termine mon travail rapidement et rejoint ma copine à un cours de danse. Pour cela, je doit repasser une nouvelle fois par le métro, encore plus défoncé que la dernière fois. Les couloirs souterrains me donnent l’impression d’être dans le système sanguin d’un gigantesque organisme vivant. Au détour d’un couloir, un groupe de flics est à l’affût, aligné le long d’un mur. Mon sang se glace et une grosse bouffée de parano s’empare de moi: « Agis normalement », « ces mecs là sont dressés pour renifler l’odeur du cannabis à plus de 50 mètres et ma démarche nonchalante et totalement anti-parisienne va me mettre à découvert ». En quelques instants mon esprit retrouve sa vivacité. Mon cœur m’envoie une dose d’adrénaline tandis que je me redresse et décide d’imiter le parisien type : regard vide mais déterminé, un air grognon sur la figure comme si j’étais constipé et un pas pressant. Les flic n’y voient que du feu et mon subtile stratagème me permet de m’en sortir.

    Ces mecs là sont dressés pour renifler l’odeur du cannabis à plus de 50 mètres et ma démarche nonchalante et totalement anti-parisienne va me mettre à découvert

    Rock’n roll Arrivé à la salle de danse, un autre défi de taille m’attend : la présidente de l’association – un espèce de croisement entre les plus sadiques de tes profs et les plus autoritaires des dictateurs – me gueule dessus parce que je ne lui ai pas ramené son chèque d’adhésion à l’association et me bave une histoire d’assurance comme quoi elle est responsable si on se blesse. J’ai envie de lui dire que je ne risque pas l’embolie pulmonaire en dansant le rock mais je préfère ne pas attirer l’attention et finis par lui promettre le chèque pour la prochaine fois. Le reste du cours se passe bien jusqu’à ce que je doive répéter toute ma chorégraphie devant le prof. Bien sûr, impossible de me rappeler de quoi que ce soit avec ma mémoire de poisson rouge. Je me foire lamentablement et sors de la salle un peu honteux. De retour à la maison, la libido est toujours absente mais le sommeil lui est bien présent, et comme la soirée précédente, je m’endors comme une merde à l’heure des poules.

    La libido est toujours absente mais le sommeil lui est bien présent, et comme la soirée précédente, je m’endors comme une merde

    Jour 3 – Jeudi 23 septembre – J’fais l’bilan calmement

    Même si l’expérience n’a pas duré très longtemps, j’ai vraiment eu l’impression d’avoir vécu deux jours à part, comme si tout ce qui concernait ma vie quotidienne et mon travail avait été mis entre parenthèses. J’ai bien plus apprécié les effets secondaires du cannabis (divagation du cerveau, appréciation de la musique, appétit et sommeil lourd) que le manque de tonus musculaire, l’impression de ralentissement du temps ou les crises de parano et d’angoisse (notamment à la vue de policiers ou à la lecture des principaux titres de l’actualité). A termes, cette expérience n’aura fait que conforter l’avis que j’ai sur le cannabis : la substance est en elle même ni bonne ni mauvaise. Tout dépend de son utilisation. La vie active n’est absolument pas un bon contexte pour apprécier les effets de cette drogue qui demande au contraire de la tranquillité et du temps à perdre. 

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