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    12/11/2013

    A la rentrée 2013 certaines filières n'ont pu accueillir tout le monde.

    Un tirage au sort pour gagner sa place à la fac

    Par Pauline De Deus

    Raph rêvait de sciences politiques, il fera du droit. D'autres se voient prof de sport mais devront opter pour socio... Faute d'avoir les moyens d'accueillir tout le monde, certaines facs jouent l'avenir de centaines d'étudiants sur un tirage au sort.

    « Je suis entré en droit par dépit », raconte Raph. Le jeune homme de 17 ans a obtenu son bac ES en juin dernier. Son rêve: intégrer une licence en sciences politiques à la fac de Montpellier. Mais il est recalé… par tirage au sort! « Je savais qu’il n’y avait pas plus de 120 places, mais étant donné que c’était dans mon académie je pensais vraiment être pris » se souvient-il. Mi-juin, à la première vague d’admission, il apprend que son dossier n’a pas été retenu. Il décide d’attendre jusqu’au dernier moment pour s’inscrire ailleurs, espérant que des désistements lui offrent une chance d’être tiré au sort. Mais rien ne se passe.

    Comment ça marche ?

    « J’ai pris rendez-vous à la fac pour leur exposer mon dossier et mes motivations. J’espérais être pris en leur montrant que j’avais ma place dans cette filière, mais ils m’ont expliqué que ça ne venait pas d’eux», témoigne Raphaël. Et pour cause, les universités n’ont pas de droit de regard sur la sélection. « Le tirage au sort est effectué de manière automatique par le portail internet d’Admission Post Bac (APB) », nous explique l’Université Paris 2. C’est sur cette plateforme que les candidats listent leurs choix par ordre de préférence. Sont prioritaires les étudiants issus de l’académie, ayant placé en tête de leurs vœux la filière en pénurie. Les autres se partageront les places qu’il reste.

    Raz-de-marée

    Le cas de Raphaël n’est pas isolé. Partout en France, des bacheliers se sont fait recaler par tirage au sort. Car si certaines filières sont porteuses, elles sont aussi blindées : le droit, l’économie-gestion, la santé et surtout le sport. En Staps (Sciences et techniques des activités physiques et sportives), les effectifs augmentent tous les ans. D’après l’association Anestaps, rien qu’en 2011, il y avait plus de 12 000 nouveaux entrants en L1 alors qu’ils étaient à peine plus de 10 000 à la rentrée 2010. Un calcul stratégique vu les débouchés dans le secteur, mais pas seulement. « On s’aperçoit souvent que ce n’est pas ce qu’attendaient les étudiants », souligne Bernard Thon, professeur en Staps à Toulouse et vice-président de l’université Paul Sabatier. Avant d’ajouter: « Dans cette filière, le sport ne représente en fait qu’un quart de la formation ! »

    «L’accès à l’université n’est pas sélectif pour garantir l’égalité des chances» Une vice-présidente d'université

    Conséquence, des cours surchargés: « À la rentrée 2012, il n’y avait pas encore de limitation de places, on a eu plus de 900 entrants : beaucoup plus que d’habitude. Et seuls 350 étaient issus de l’Académie de Toulouse. En fait, les candidats de l’extérieur qui n’avaient pas été retenus ailleurs, à cause des places limités, sont venus là. » Au lieu d’être 26 en TP, ils se retrouvent à plus de 40, certains travaux dirigés sont abandonnés… « On a fait comme on a pu », assure le prof. Mais impossible de continuer comme ça.

    Sur le carreau

    À la rentrée 2013, le nombre de places a donc été limité à 350 élèves dans la filière Staps à Toulouse et la sélection faite par tirage au sort. Mais les candidats étaient encore plus nombreux que l’année précédente : plus de 2 000 demandes, dont 800 prioritaires. 450 élèves n’ont donc pas été admis alors qu’ils faisaient partie de l’Académie et que la filière Staps était leur premier vœu. « Tout le monde est d’accord pour dire que c’est injuste », reconnait Bernard Thon. « Le tirage au sort, c’est le moyen le plus stupide mais… le seul légal. Et pour nous c’est impossible de faire autrement : on ne peut pas gérer l’imprévisibilité du nombre d’inscrits », conclut-il.

    Pour les syndicats étudiants, la hausse des inscriptions ne serait pas la seule responsable. Certaines universités seraient au bord de la banqueroute. Dans un rapport publié en juillet dernier, l’Unef (Union nationale des étudiants de France) explique que plus d’une dizaine d’universités risquent d’être en déficit à la fin de l’année 2013. Conséquences selon le syndicat, les facs usent aujourd’hui de tous les moyens pour faire des économies : gels de poste, réduction du nombre de cours et baisse des capacités d’accueil. La vice-présidente d’une université du Poitou-Charentes, jointe par StreetPress, reconnaît que si elle a recours au tirage au sort, c’est à cause d’un « manque de moyens et de dotations ».

    2014 sera pire

    Si ce tirage au sort a fait beaucoup parler de lui en cette rentrée, l’année prochaine promet d’être encore plus compliquée. L’université de Montpellier 3 a annoncé qu’elle mettrait en place des capacités d’accueil dans une bonne partie de ses filières : Arts du spectacle, Arts plastiques, Information – Communication, Psychologie, Administration Économique et Sociale… Et c’est loin d’être un cas isolé: Tristan Haute, militant de Sud Solidaire Etudiant, a confié à StreetPress qu’une réunion s’est tenue à Lille 2 il y a un mois pour décider de limiter le nombre de place dans certaines filières à partir de l’année prochaine : 550 places en Staps et 3900 en médecine.

    Les facs débordent et « ça ne peut pas durer ainsi, on se retrouve dans des cours où les étudiants sont obligés de s’asseoir dans les escaliers tellement il y a de monde», reconnait une militante de l’Unef, étudiante à Montpellier 3. Mais, pour l’Unef comme pour Sud, « le tirage au sort, ce n’est pas une solution! Ce qu’il faudrait c’est, qu’il y ait des moyens pour accueillir les étudiants bien-sûr, mais surtout des moyens pour les orienter. » D’après le militant de Sud, Tristan Haute, « le processus d’orientation active », ce système numérique sensé aider les lycéens dans leur choix d’orientation, n’est pas suffisant : « C’est un simple questionnaire. Au final, il déconseille certaines filières mais n’informe pas vraiment. » Un constat partagé par la Fage, pour qui les lycéens s’orientent surtout en fonction « de l’image d’une filière, sans connaître toutes les autres options qui s’offrent à eux. »

    A droite…

    «Tout le monde est d’accord pour dire que c’est injuste» Bernard Thon

    L’Uni (Union nationale inter-universitaire) de son côté prône la généralisation de la sélection sur dossier. Pour ce syndicat étudiant ancré à droite, « ça éviterait une admission arbitraire, comme c’est le cas aujourd’hui ». Un avis qui est loin de faire l’unanimité. « L’accès à l’université n’est pas sélectif pour garantir l’égalité des chances », rappelle une vice-présidente de l’université du Poitou-Charentes. Une admission sur concours ou dossier risquerait « d’amener à une sélection sociale », souligne la FAGE.

    Les syndicats ont interpellé le Ministère sur cette question, sans réponse claire pour le moment. En attendant de pouvoir faire autrement, les universités préviennent leurs futurs étudiants des contraintes de certaines filières et leur conseillent de s’inscrire dans plusieurs licences sans capacité d’accueil pour « être sûr ». Les étudiants pourront alors espérer atteindre la filière de leur choix grâce à des « passerelles ». C’est d’ailleurs ce qu’envisage Raph: « A la fin de l’année, si j’ai de très bons résultats, je pourrais peut-être intégrer la L2 en sciences-po ! »

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