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    10/10/2013

    4 échanges universitaires pas comme les autres

    Détention, catastrophe nucléaire, guerre civile : mes études d'enfer à l'étranger

    Par Robin D'Angelo

    Faire une année d'étude à l'étranger, c'est parfait pour élargir ses horizons. Mais ça l'est aussi pour se faire mettre en prison, se faire tirer dessus par des miliciens ou gravir en personne l'échelle de Richter au Japon.

    Elisa – En échange à la fac de Galatasaray – 14 jours de détention à Istanbul

    Après un premier échange où elle est tombée amoureuse de la Turquie, Élisa repart à Istanbul en maîtrise pour y rédiger un mémoire en sciences politiques. L’étudiante, spécialiste des Kurdes, participe au mouvement contestataire contre le président Erdogan du printemps 2013. Le 11 juin dernier, elle se retrouve toutefois au mauvais endroit, au mauvais moment.

    Comme tous les matins, Élisa, qui habite près de la place Taksim, sort de chez elle pour aller rejoindre les manifestants qui occupent pacifiquement le parc de Gezi, au centre d’Istanbul. Au détour d’une rue, elle tombe sur une barricade de manifestants attaquée par la police à coups de gaz lacrymogène. Dans la panique, elle suit le mouvement de foule en se réfugiant au hasard dans un immeuble. Pas de chance, il s’agit du quartier général du SDP, un parti d’extrême gauche dans le collimateur de gouvernement. Les Robocops turcs ne s’embarrassent pas de détails en détruisant les vitres et les portes à grands renforts de flashball. « On était faits comme des rats, avec la police en bas et les gaz lacrymogènes à l’intérieur. » Élisa et ses 40 compagnons se font embarquer.

    Elle passe quatre jours dans la cellule du sous-sol d’un commissariat turc. Avec « seulement deux lits et des néons qu’on ne peut pas éteindre ». Une autre fille partage son cachot.

    Par chance, le temps passe vite entre les visites du médecin, de l’avocat et du représentant du consulat. L’ambiance est même « bonne » entre les prisonnières dans ce couloir réservé aux femmes. Élisa est finalement innocentée par un procureur. La jeune femme pousse un soupir de soulagement… sauf qu’elle n’est pas au bout de ses peines :

    « Je marchais vers la sortie du tribunal, me pensant libre, mais on m’arrête et on me dit que comme je suis étrangère, je dois maintenant aller dans un centre de rétention ! »

    C’est en effet la procédure en Turquie : les étrangers qui se frottent aux forces de l’ordre sont internés, le temps que les autorités se prononcent sur leur expulsion. La police assure à Élisa qu’elle restera trois jours maximum dans le centre de rétention. Ce sera plutôt dix jours.

    Élisa y découvre le rude traitement infligé aux clandestins ouzbeks, turkmènes ou congolais. Dans ce grand bâtiment de quatre étages du centre d’Istanbul, gardé par des hommes armés, les détenus n’ont pas le droit de sortir prendre l’air. Pour se dégourdir les jambes, ils n’ont que les 6 dortoirs de 30 personnes et la salle commune. Certains sont enfermés depuis 5 mois :

    « La nourriture était tachée de marques de pourriture. Les lits, pleins de puces. On était censés nettoyer nous-mêmes les toilettes et les dortoirs, mais on n’avait qu’une éponge et un bout de savon ! »

    Jolie blonde aux yeux verts, Élisa détonne parmi les 300 internés. Elle rencontre cette jeune Congolaise qui vient d’arriver, « toute pâle et effrayée parce qu’elle croyait que les nouveaux étaient bizutés. » Ou cette Palestinienne et son bébé. Elle en profite pour recueillir des témoignages pour l’association des droits de l’homme dans laquelle elle milite. « Là-bas, c’est l’arbitraire qui règne. On ne sait pas pourquoi, certains jours, les cartes téléphoniques ou les fruits qu’on nous apporte de l’extérieur peuvent entrer ou non. »

    Pendant ce temps, ses avocats s’activent. Et Élisa est enfin convoquée dans le bureau du directeur du centre. « T’es expulsée aujourd’hui », lui annonce-t-il de but en blanc. L’étudiante dépose sur-le-champ un recours pour casser la décision, mais les autorités s’en lavent les mains. À 15 h, elle est escortée à l’aéroport Atatürk, sans avoir pu passer chez elle pour prendre ses affaires. Dehors !

    Élisa est dorénavant persona non grata en Turquie pour un an. L’étudiante a fait appel de cette décision, car elle doit retourner à Istanbul pour terminer son mémoire. Elle veut surtout retrouver son copain turc avec qui elle vivait là-bas.

    Bonne nouvelle ! L’interdiction de territoire qui pesait contre Elisa a été cassée à posteriori par un tribunal turc. La Française est donc blanchie.


    Taksim, en juin dernier

    T’es expulsée aujourd’hui

    Marieke – En échange à la fac de Waseda – Rapatriée de Fukushima

    À Tokyo, le 11 mars 2011, lors du tremblement de terre qui entraîna un accident nucléaire, Marieke étudiait à l’université de Waseda pour un an, dans le cadre de sa maîtrise en science politique.

    « Des ramens. » Elle se souvient parfaitement de ce qu’elle mangeait quand les murs du petit restaurant chinois où elle déjeunait dans le vieux Tokyo se sont mis à danser le Gangnam Style. « Ma coloc allemande m’a même dit : “Waouh, pour une fois que je sens vraiment un tremblement de terre ! “» Sauf que la rigolade entre les deux filles a rapidement fait place à la panique. Le tremblement de terre ne finissait plus de finir et Marieke s’est précipitée dans la rue… ce qu’il ne faut surtout pas faire. « Quand tu vois des immeubles de 10 étages qui tanguent au-dessus de ta tête, tu te dis que tu as peut-être fait une bêtise ! »

    Après trois heures d’une balade apocalyptique dans les rues de Tokyo – il n’y a plus de métro ni de téléphone, et Marieke ne parle pas bien japonais – elle a rejoint son dortoir à la faculté, sans comprendre ce qui s’est passé. C’est en allumant son ordi qu’elle a découvert les messages paniqués de ses proches. Et qu’un accident nucléaire venait de se produire. « Ma grand-mère a même appelé l’ambassade de France ! »

    Marieke a décidé de fuir au sud du Japon, où elle espérait être épargnée par le césium. Direction… Hiroshima ! Mais quelques jours après, son université lui ordonne de rentrer immédiatement en France, quatre mois plus tôt que prévu. « Ça a été très difficile pour mon moral quand j’ai compris que c’était fini. Je voulais continuer à vivre l’expérience que je vivais », regrette l’étudiante, un brin nostalgique. Le départ s’est fait dans la précipitation: elle n’a pas eu le temps de prévenir ses amis et a dû laisser sur place la moitié de ses affaires. Un petit avion affrété par l’armée française l’a emmenée à Séoul où, de là, elle a été rapatriée par un vol charter aux frais de la princesse. Heureusement, Marieke revient au Japon quelques mois plus tard pour organiser une vraie soirée de départ avec ses amis.

    Waouh, pour une fois que je sens vraiment un tremblement de terre !

    Ma grand-mère a même appelé l’ambassade de France !

    Augustin – En échange à la fac de Saint-Joseph – Pris entre les tirs des milices libanaises

    La capitale du Liban fait de temps en temps l’actualité pour ses bombes et ses affrontements entre miliciens. C’est ce qui a attiré Augustin, qui voulait partir en échange universitaire dans une ville qui sort de l’ordinaire et où l’histoire se fait. Il va être servi en emménageant près de la rue Bechara al Khoury. À cette époque – mai 2008 -, c’est dans ce quartier que le Hezbollah et les partisans du régime s’opposent dans un festival de lance-roquettes et de kalachnikov. Un jour, Augustin retrouve même des balles sur son balcon.

    Depuis une semaine, Beyrouth est paralysée par des affrontements entre miliciens chiites et sunnites. L’ambassade de France a demandé par texto à ses ressortissants de faire des réserves d’eau, de nourriture et d’argent liquide et d’hiberner le temps que la crise soit réglée. Augustin se sent comme un prepper terré dans son bunker de l’Utah.


    Augustin, rentré en un morceau…

    Sauf qu’il s’ennuie, et dehors, ça ne tire presque plus. Avec son coloc, il décide d’aller voir si le cinéma du centre commercial voisin est ouvert. Bingo, il y a une séance d’Iron Man ! Mais à peine installés dans la salle vide, on leur demande d’évacuer le multiplexe. « On sort dans la rue, et là, on se retrouve bloqués à un carrefour entre les tirs du Hezbollah et des milices sunnites », se souvient l’étudiant en ingénierie. Augustin se planque et passe quatre heures à attendre aux côtés d’un reporter de guerre. Pendant une accalmie de 10 minutes, il se met à courir pour traverser la rue… « et là, j’entends les balles se remettre à siffler au-dessus de ma tête. Il y en a même une qui touche un panneau de signalisation ! » Plus d’action que dans Iron Man, finalement.

    L’université est fermée et Augustin perd contact avec ses camarades de classe, au point de ne pas être mis au courant à temps des examens de rattrapage. Augustin ne validera pas son année, ce qu’il a encore en travers de la gorge d’ailleurs. « Je n’étais pas dans les conditions optimales pour réviser ! ». Deux ans plus tard, dans le cadre d’un autre programme en relations internationales, il partira pour 3 mois de stage… cette fois-ci en Afghanistan.

    Je n’étais pas dans les conditions optimales pour réviser !

    Justine – En échange à la fac de Damas – Assiste aux prémices de la guerre civile

    Entre septembre 2010 et juillet 2011, Justine est à l’université de Damas dans le cadre d’un échange avec Sciences-po Paris. Elle avait le choix entre l’Égypte et la Syrie pour étudier l’arabe, mais c’est sur le pays des Assad qu’elle jette son dévolu, par curiosité. « Et à mon arrivée, la Syrie est considérée comme le plus stable de la région ! » s’amuse la jeune femme, qui aujourd’hui veut devenir journaliste.

    Au début de son échange, Justine mène une vie de bohème. Venue pour étudier l’arabe, elle passe le plus clair de son temps avec les Floating Four, le groupe de trip-hop «sauce Portishead » qu’elle a monté avec trois amis syriens. Leur repaire est le Pages, un café où se rassemble la jeunesse artistique de Damas pour écouter du jazz.

    Fin mars, la répression s’intensifie à Damas. Justine est aux premières loges : le propriétaire de son appartement est mis en prison. Puis, ce sont les parents d’une de ses amies qui sont arrêtés – la mère sortira de prison après deux semaines, tandis que le père n’est toujours pas sorti. Justine assiste au procès et passe des journées entières au tribunal, « par solidarité » avec des militants des droits de l’homme. Elle voit de ses propres yeux l’absurdité de la justice syrienne.

    « Tu as l’impression d’être dans un film. C’est tragique ! Ils retardent au maximum le procès. En fait, il manque toujours un élément dans le dossier des accusés ; ils restent ainsi 6 mois de plus en prison en attendant que le procès reprenne. »

    Au mois d’avril, Justine entend des coups de feu pour la première fois dans la vieille ville. Son alma mater lui conseille de partir, mais elle reste par amour du pays. C’est qu’à Damas, la vie continue, à des années-lumière de Homs, où les chars de Bashar viennent d’entrer. Elle continue d’aller à l’université jusqu’au bout de son semestre, mais « ne croise plus jamais d’Occidentaux en ville ».

    La jeune fille essaie tant bien que mal de profiter des derniers jours de son séjour syrien, malgré les contrôles et l’omniprésence des forces de l’ordre dans la ville. Le jour de son départ, fin juillet, une manifestation pro-Bashar est organisée et des drapeaux français sont brûlés. À l’aéroport, Justine subit les manœuvres intimidantes des services de sécurité : trois officiers l’emmènent dans une salle et la cuisinent sous un portrait du dictateur. « Ils se sont mis à me hurler dessus puis m’ont fait mariner avant de m’autoriser à partir. » Justine, qui a quand même eu peur, en veut toujours à « ces guignols ».

    De cette expérience, elle en a tiré un roman, Fils de Sham. Justine y raconte la vie bohème des jeunes Damascènes, entre concerts de rock et cannabis. Par contre, son groupe, les Floating Four, s’est séparé. On ne sort pas toujours indemne d’un stage à l’étranger.


    Justine, auteure de Fils de Sham

    A mon arrivée, la Syrie est considérée comme le plus stable de la région !

    bqhidden. Ils se sont mis à me hurler dessus puis m’ont fait mariner avant de m’autoriser à partir

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