Une autoroute par-ci, un centre commercial par-là, au total c’est plus de 40% de ses champs que la famille Plet s’est fait bouffer en un siècle : « À l’époque de ma mère, on avait 220 hectares. En 1969, quand j’ai repris l’exploitation, j’en avais 180. Et maintenant, on n’en a plus que 130 », lâche Dominique un peu blasé. Assis à ses côtés, le fiston de 19 ans acquiesce. « Plet, agriculteurs de père en fils », même si l’inscription ne trône pas sur le fronton de la baraque, l’idée est là. C’est l’arrière-grand-père de Dominique qui a, le premier, garé son tracteur – ou plutôt sa charrue – à Gonesse (Val-d’Oise).
Expropriation « Même la maison, ce n’est pas la maison familiale », soupire Dominique en montrant les murs de la ferme recouverts de lierre. « Celle-là, je l’ai achetée en 1980. La ferme familiale a été expropriée pour construire la sous-préfecture. » Avant de lâcher, mi-amusé, mi-lassé : « Pour rien finalement, puisqu’en 1981, la gauche est arrivée et le bâtiment a été construit à Sarcelles. » Habitations, aéroports, autoroutes, zones commerciales, les Plet ne comptent plus les bonnes raisons pour réduire les champs.
Sous le regard vitreux d’un renard empaillé, Dominique sort la liasse de papiers d’expropriation et les étale sur la toile cirée jaune qui recouvre la table du salon. Juillet dernier, en ouvrant sa boîte aux lettres, il découvre un courrier de l’Établissement Public Foncier du Val-d’Oise (EPFVO), lui annonçant qu’il allait (encore) être exproprié. Cette fois-ci, c’est pour construire une ligne de « bus à haut niveau de service » (BHNS), entre les lignes B et D du RER. Quelques mètres carrés, une bagatelle pour les agriculteurs. Bon, ça va… Mais le 26 août, l’EPFVO a décidé que, quitte à exproprier, autant se faire plais’. Cette fois, la procédure s’étale sur les 110 hectares de la zone. Dont quatre appartiennent aux Plet. Raison invoquée : la construction de la future gare de RER « Plaine de Gonesse », dans le cadre du prolongement du RER D . Mise en service prévue pour 2020. L’idée de pouvoir rejoindre Paname en RER ne suffit pas à regonfler le moral des Plet, d’autant plus qu’un bus propose déjà le même trajet.
Money « On se fait encore grignoter », soupire Robin. Le solide gaillard de 19 ans devrait reprendre l’exploitation d’ici deux ou trois ans. Pour le jeune agriculteur, l’avenir s’annonce compliqué : « Une exploitation n’est vraiment viable que si elle fait entre 130 et 150 hectares. Là, je me demande un peu où on va… » « C’est comme si on vous enlevait la moitié de votre boutique et qu’on vous demandait de continuer à la faire tourner », complète Dominique.
Côté thune, il ne faut pas trop compter sur l’indemnité proposée pour compenser le manque à gagner. « Ils veulent me filer cinq euros du m². C’est faible pour une terre de cette qualité, surtout si proche de Paris », affirme l’agriculteur. « Quand on sait qu’ils vont se faire des millions après… » Les Plet réclament le double. Avec le reste des agriculteurs concernés ils ont lancé une procédure en justice pour contester l’expropriation, sans se faire vraiment d’illusions.
Pistes de ski Il faut dire que les plaines fertiles du Triangle de Gonesse – ici, on cultive du maïs, du colza et du blé – attisent les convoitises. Coincés entre l’aéroport du Bourget au Sud, celui de Roissy au Nord, l’autoroute A1 à l’Est et la D317 à l’Ouest, ces 700 hectares sont les dernières zones agricoles à moins de 20 kilomètres de Paris. « On peut même voir la Tour Eiffel, je vous jure ! », s’exclame Dominique. Après vérification, effectivement on l’aperçoit au loin, noyée dans les nuages de pollution. Depuis les années 1960, l’agglo parisienne gagne du terrain… son terrain ! Les projets s’accumulent, certains franchement saugrenus de l’avis de Dominique :
« En 2011, ils ont pensé déplacer Roland-Garros ici. Le dossier a recueilli 2 % des voix. Ils s’attendaient à quoi ? Que des gens du 16e viennent jusqu’à Gonesse pour voir un match de tennis ? »
Et vous ne connaissez pas encore la dernière. Les paysans du coin vont bientôt devoir faire face à un mastodonte : Europa City. Aucun courrier officiel n’a encore atterri dans leur boîte aux lettres, mais le groupe Auchan a prévu d’installer rien de moins que « la future 18e destination touristique d’Europe. » (sic !) A lire le détail du futur « complexe commercial et culturel » qui devrait sortir des champs de blé en 2020, il y a de quoi se croire au Qatar. Un projet de 80 hectares, soit une centaine de terrains de foot, 2 milliards d’euros d’investissement, 230 000 m² d’hypermarchés et de boutiques, des hôtels, une piscine et même une station de ski… dans le 9-5 ! « Je trouve ça un peu honteux », peste Dominique Plet. « On nous parle d’écologie et d’économie d’énergie en permanence, mais ça ne les gêne pas de construire des pistes de ski en plein Val-d’Oise ! »
La région en 1949
La région en 2013
Et Robin de critiquer « la destruction d’un des derniers espaces qui donne un peu d’air à Paris, tout ça pour construire des équipements qui ne profiteront même pas aux gens du coin. » Car Auchan annonce la couleur : sa cible, ce sont les touristes de luxe, pas vraiment la population du coin donc. Ce ne sont pas les 3.000 ouvriers laissés sur le carreau par la fermeture de l’usine PSA d’Aulnay-sous-Bois située juste de l’autre côté de l’autoroute qui vont remplir les caisses du groupe. « On est dans la partie la plus pauvre du Val-d’Oise : Gonesse, Villiers-le-Bel, Aulnay-sous-Bois, Clichy-sous-Bois… », commente Dominique.
Résignés Seuls 400 hectares du triangle devraient être épargnés par l’urbanisation – pour l’instant. Et peu de solutions alternatives s’offrent aux agriculteurs. « Vendre ? Pour s’installer où ? demande Robin. Des fermes à vendre, il n’y en pas des tas. Et puis ici, c’est une bonne terre. On a un rendement d’environ 10 tonnes par hectare, alors que la moyenne nationale, c’est cinq ou six. » « Ça pousse tout seul, reprend Dominique. Même pas besoin d’arroser, y a juste à aller à la messe le dimanche pour demander qu’il pleuve », balance-t-il avant de partir dans un grand éclat de rire.
Mais ni le père ni le fils ne se font d’illusions : « Quand tout sera grignoté et que l’exploitation sera trop petite, on devra vendre. De toute façon, c’est perdu d’avance, c’est pratiquement sûr. », admet Robin. « Sauf si on trouve une espèce de fleur très très rare dans la région », rigole Dominique. Ou des hamsters, comme en Alsace. Là-bas, un accord établit une zone de protection de 600 mètres autour de chaque terrier…
Face au péril, nous nous sommes levés. Entre le soir de la dissolution et le second tour des législatives, StreetPress a publié plus de 60 enquêtes. Nos révélations ont été reprises par la quasi-totalité des médias français et notre travail cité dans plusieurs grands journaux étrangers. Nous avons aussi été à l’initiative des deux grands rassemblements contre l’extrême droite, réunissant plus de 90.000 personnes sur la place de la République.
StreetPress, parce qu'il est rigoureux dans son travail et sur de ses valeurs, est un média utile. D’autres batailles nous attendent. Car le 7 juillet n’a pas été une victoire, simplement un sursis. Marine Le Pen et ses 142 députés préparent déjà le coup d’après. Nous aussi nous devons construire l’avenir.
Nous avons besoin de renforcer StreetPress et garantir son indépendance. Faites aujourd’hui un don mensuel, même modeste. Grâce à ces dons récurrents, nous pouvons nous projeter. C’est la condition pour avoir un impact démultiplié dans les mois à venir.
Ni l’adversité, ni les menaces ne nous feront reculer. Nous avons besoin de votre soutien pour avancer, anticiper, et nous préparer aux batailles à venir.
Je fais un don mensuel à StreetPress
NE MANQUEZ RIEN DE STREETPRESS,
ABONNEZ-VOUS À NOTRE NEWSLETTER