D’où t’est venue l’idée de ce documentaire ?
Au départ, je ne savais même pas que les personnes nées séropositives existaient. J’ai commencé à m’intéresser au sujet il y a cinq ans. A l’époque, je remplaçais une copine à Têtu + (guide d’information sur le VIH, ndlr). J’ai écrit des papiers sur les séropo-toxicos, puis sur les femmes et le VIH. Et c’est par ce biais que j’ai pris connaissance du sujet des enfants nés séropositifs. Je voulais en faire un article de presse écrite pour le magazine Elle, qui l’a refusé. L’envie d’en faire un documentaire est venue après, parce que je trouvais que c’était une jolie histoire.
Un jour, je vais voir la boite de production Ligne de Mire pour leur proposer des sujets sur New-York où j’avais passé trois mois. Ils refusent mes sujets, et là, je leur parle de cette idée de docu sur les nés séropositifs. Ils ont tout de suite été emballés alors que je n’avais encore rien d’écrit. France 2 a très vite été intéressé. Par contre, la chaîne voulait que je co-réalise le film. Au départ, je voyais ça comme une contrainte, et en fait, lorsque j’ai rencontré Rémi Lainé, j’ai très vite compris que je ne pouvais pas mieux tomber. C’est un mec hyper-intègre, hyper-juste.
Et comment avez-vous trouvé Anne-Laure et Thomas, les deux « héros » de votre film ?
Anne-Laure, c’était une évidence. Je l’avais rencontrée il y a quatre ans, alors qu’elle sensibilisait des jeunes de son âge au problème du VIH. Elle est aujourd’hui un peu militante de la cause, a déjà été interviewée de nombreuses fois, connaît bien la mécanique des médias. Je me doutais qu’elle ne refuserait pas, et j’espérais vraiment qu’elle accepte.
Ca nous a pris un an pour trouver Thomas. C’est Rémi qui l’a découvert. Une des premières phrases de Thomas a été de dire « Je n’ai rien à cacher ». Ca a été aussi long et compliqué pour plusieurs raisons. Déjà, les nés séropositifs de plus de 16 ans ne sont pas nombreux en France. On en compte 1.500 environ. Ce sont souvent des adolescents assez isolés. Ensuite, les gynécologues et les psys sont très protecteurs avec eux, ils ont peur d’une exposition parce que le sida reste encore très stigmatisant pour ces jeunes adultes qui ont souvent eu une enfance très dure. Et puis, je ne voulais surtout pas de visages floutés, parce que j’estime qu’ils ne sont coupables de rien, et surtout ils ont des « bêtes de tronches ». Ils ont vraiment des supers gueules ! Du coup ça a été très compliqué de trouver des personnes qui acceptaient d’être filmées, à visage découvert. La majorité de ceux qui ont refusé ont encore leurs parents, et ils ont dit « non » pour les protéger. D’ailleurs, et ce n’est pas un hasard, je pense, Anne-Laure et Thomas sont tous les deux orphelins.
Nés séropositifs, la vie devant soi de Rémi Laine et Delphine Vaill c’est ce soir à 23h05 sur France 2. Le documentaire est diffusé dans un numéro spécial de l’émission Infrarouge à l’occasion de la journée mondiale de la lutte contre le Sida. Il sera suivi du doc La bataille du Sida, consacré à la lutte entre les chercheurs français et américains pour la paternité de la découverte du virus.
En veulent-ils à leurs parents de leur avoir transmis le virus ?
Attention, il n’y a que la mère qui peut transmettre le Sida à l’enfant. En tout cas, aucun des deux n’en veut à ses parents. Anne-Laure en parle dans le documentaire. Elle reconnait qu’elle aurait pu leur en vouloir. En plus, c’est son père qui l’avait transmis à sa mère. Mais non, elle n’en veut à personne. Et Thomas, non plus. Au contraire, ils les protègent à fond.
Pourquoi avoir choisi deux jeunes adultes, et pas d’enfants plus jeunes ou d’adultes plus âgés ?
Nous n’avons pas d’enfants plus jeunes, pour une simple raison -Qui est d’ailleurs hyper encourageante pour les séropositifs qui veulent des enfants !: Depuis 1994, on peut avoir un traitement pour éviter à son enfant d’être séropositif. Avant, la mère avait 30 % de chance de le transmettre à son enfant. Depuis cette date, elle n’a même pas 1% de chance. En plus, la plupart des enfants nés séropositifs sont morts vers l’âge de 6 ans. Anne-Laure et Thomas ont vraiment de la chance d’être encore en vie. Et normalement il devait y avoir une troisième personne dans ce film. Une fille géniale : Margot. Elle était née séropositive, et avait un petit garçon de trois ans. Mais on a dû renoncer à la mettre dans notre film, parce qu’elle habite au Brésil. On a renoncé pour des questions de budget mais aussi parce que ça nous obligeait quelque part à traiter la question du Sida en Amérique latine, ce qui déviait quand même de notre angle de départ.
Les nés séropositifs de plus de 16 ans ne sont pas nombreux en France. On en compte 1.500
Quelle est la vie de Thomas et Anne-Laure aujourd’hui ?
Thomas est en apprentissage peinture à Orléans. Et Anne-Laure vient de commencer un master sciences de l’éducation à Courbevoie. Elle a un mec depuis un an et demi. Ils ont une vie normale. A la différence des autres, elle est juste entrecoupée de rendez-vous médicaux.
Comment ont-ils appris qu’ils étaient séropositifs ?
Thomas l’a appris vers l’âge de 14 ans. C’est son pédiatre qui lui a dit. Pour Anne-Laure, qui l’a appris à peu près au même âge, ça a été beaucoup plus violent. Un jour, elle était en cours de trampoline. Elle est tombée, s’est mise à saigner. Une de ses copines l’a amenée à l’infirmerie. Le lendemain, il y avait des affiches sur le VIH partout dans le collège. Et là, Anne-Laure, qui devait s’en douter depuis quelques temps déjà, a compris.
Ont-ils le sentiment que le regard des autres a évolué sur cette maladie avec le temps ?
Ils ressentent une banalisation. Dans les années 1980, 1990, on en parlait beaucoup, ça pouvait être mortel. Aujourd’hui, c’est devenu une maladie chronique mais toujours honteuse. C’est peut-être un avis qui tranche… Faudrait leur poser la question à eux, en fait !
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