Le résultat des élections générales du 20 novembre signifie-t-il la fin « vote utile » ?
La crise économique et les réponses proposées à celles-ci de la part du gouvernement Zapatero, ont été tellement négatives pour une grande partie de la population, qu’il était impossible de voter encore pour Parti Socialiste. Des centaines de milliers de personnes ont désigné pour responsable le gouvernement Zapatero de la terrible situation économique, et aussi sociale, dans laquelle on se trouve aujourd’hui. Non qu’il soit le responsable de la crise, mais parce qu’il a très mal répondu à celle-ci. Dans ce contexte, le vote utile s’est vaporisé. Autrement dit le vote utile en faveur du PSOE a fonctionné, mais seulement une partie, insuffisante dès lors pour faire concurrence au Parti Populaire.
Entrons-nous dans une période transition électorale qui tendrait vers un dépassement du bipartisme ?
Il ne me semble pas. La distance que les deux partis majoritaires gardent avec IU (Izquierda Unida) et UPyD (Union, Progrès et Démocratie) est encore tellement évidente que l’existence d’un troisième parti alternatif au PP et au PSOE n’est pas concevable à l’heure actuelle. UpyD garde une vocation de parti charnière entre les deux grands dans la mesure où il reçoit des votes des anciens votants du Parti Populaire, mais surtout, du PSOE. Mais tout va dépendre de ce qu’ils feront à partir de maintenant, et de la manière d’agir du PSOE, pour que le succès de UpyD augmente substantiellement aux prochaines élections.
Rafael Cruz Martinez, qui es-tu ?
Rafael Cruz Martínez est doctorant d’Histoire Contemporaine et directeur du département d’Histoire de la Pensée et des Mouvements Sociaux et Politiques à la faculté de Sciences Politiques et Sociologie de l’Université Complutense de Madrid. Il a fondé la revue « Histoire et Politique. Idées, processus et mouvements sociaux » et il a écrit plusieurs livres notamment « Culture et Mobilisation dans l’Espagne Contemporaine ». El señ or Cruz a complété sa formation dans le Center of Studies on Social Change à New York à la New School for Social Research de New York.A vu l’augmentation non négligeable des votes en faveur des partis minoritaires au cours de ces élections quelle influence a pu avoir le mouvement des Indignés ?
Ce que je vais dire peut paraître un peu risqué: je trouve que le mouvement des Indignés n’a pas eu la capacité suffisante pour influencer de manière significative les élections. La mobilisation en mai a été très importante, certes, mais elle ne s’est ni concrétisée à travers une option ou contre-option politique, ni à travers un programme électoral. La sanction que subit le Parti Socialiste ne vient pas de cette expérience mobilisante de la Puerta del Sol, mais de la crise, et d’une usure provenant des huit années de gouvernement Zapatero.
C’est le Parti Populaire qui a gagné ou le Parti Socialiste qui a perdu ?
Les élections sont toujours perdues par les gouvernements, ce ne sont pas les oppositions qui les gagnent. De la même façon qu’en mars 2004, quand le Parti Populaire a perdu les élections à cause d’une mauvaise gestion des attentats de Madrid, et pas à cause du programme électoral du PSOE. Si vous regardez l’augmentation des votes pour le PP par rapport aux dernières élections de 2008, 500.000 votes ce n’est pas très important. Le point intéressant se trouve dans les 4.300.000 votes que le PSOE a perdu et qui ne sont pas allés vers la droite.
Rajoy fête la victoire
Le point intéressant se trouve dans les 4.300.000 votes que le PSOE a perdu et qui ne sont pas allés vers la droite
L’abstention a augmenté par rapport à 2008 – signe d’une défiance vis-à-vis de la démocratie- mais en même le score des partis minoritaires s’est renforcé, ce qui peut être considéré comme un pas vers une démocratie plus plurielle. Comment expliquez-vous ce paradoxe ?
L’augmentation ou la baisse des chiffres de l’abstention dépend toujours des trajectoires des gouvernements. La perverse réponse que le Parti Populaire a adopté face aux attentats de Madrid le 11 mars 2004, a provoqué une augmentation des votes très significative, étant donné l’indignation de la population. Pendant les élections du week-end dernier, il s’est produit l’effet contraire ; l’indignation face aux mauvaises réponses de Zapatero quant à la crise économique a provoqué une fuite des votes. Il n’y a pas de « pas en avant » ou de « pas en arrière », mais des réactions électorales aux attitudes politiques des gouvernements – et à leurs alternatives.
Le discours classique qui veut que « la droite soit toujours unie » et « la gauche toujours dissolue » est-il sorti renforcé du résultat ?
La direction actuelle du Parti Populaire a fait très attention pendant cette dernière législature à ne pas déranger ces trois millions de personnes sensibles à l’idéologie d’extrême-droite. Dans le même temps, il a développé son discours de modération afin d’attirer l’électorat du centre. Cette balance est fondamentale pour obtenir ce qu’il a réussi : 10 millions de votes. Là-dessus il faut se poser cette question : pourra-t-il mener ce genre de stratégie à l’avenir ? Aussi, verrons-nous la fondation d’un parti d’extrême droite comme il en existe déjà dans d’autres pays européens ? L’histoire des batailles idéologiques entre le PSOE, le PCE (Parti Communiste Espagnol) et IU (Izquierda Unida) empêche la consolidation d’une position unitaire à gauche. La seule possibilité – qu’on ne peut pas considérer valable au vu du succès de IU dans ces élections – serait la disparition du PCE-IU, qui n’aurait alors pas d’appui suffisant pour influencer la politique.
L’électorat espagnol punissait trois jours plus tard les mensonges du gouvernement Aznar en votant massivement pour le PSOE.
L’existence d’un troisième parti alternatif au PP et au PSOE n’est pas concevable à l’heure actuelle
Dimanche certains militants avec des drapeaux de l’aigle (symbole franquiste) fêtaient la victoire au QG du PP. Il y a-t-il « deux Espagnes » très polarisée, avec les Indignés de l’autre côté ?
Ces discours sur les « deux Espagnes » font partie du passé. Très certainement, il y aura un grand mouvement de protestation contre les politiques économiques et sociales du Parti Populaire pendant cette législature. Pourtant, je n’arrive pas à imaginer que ces batailles idéologiques puissent s’identifier avec les positions historiques des batailles du passé.
Cependant, il y a une réflexion à faire sur le cas du nationalisme basque. Pendant les quatre années à venir, il va y avoir des positions très décisives dans la confrontation nationaliste et nous serons les témoins d’un rude débat sur la possibilité d’indépendance de l’Euskadi.
Qu’est-ce qu’il manque, selon vous au mouvement des Indignés ?
Les mobilisations qui ont eu lieu à Madrid, Barcelone et d’autres villes espagnoles, ont eu une portée extraordinaire, profitant en plus, de la campagne électorale du moment ( les municipales de mai 2011, ndlr). Pour la première fois, on voyait une occupation permanente de la Puerta del Sol de Madrid. Le type de mobilisation non violente, les symboles utilisés et la modération des exposés ont produit des messages de respect, d’unité, de soutien social et de compromis avec grand succès.
De mon point de vue, malgré le caractère extraordinaire de la mobilisation, elle n’était pas accompagnée de propositions concrètes pour le système politique, et cela signifie que le mouvement se vaporise sans résultats. Il est par contre possible qu’un mouvement pareil se reproduise, en occupant d’autres villes des cinq continents. Mais pour que cela ait une vraie répercussion, les indignés devront innover plus… et ça, c’est très difficile.
Nous serons les témoins d’un rude débat sur la possibilité d’indépendance de l’Euskadi
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