Place Saint-Pierre – Paris 18e – « On s’est fait pigeonner », lance en rigolant Tom. Le jeune américain et son pote tentent désespérément d’arracher le bracelet tressé qui leur enserre le poignet. « On n’a pas trop compris ce qu’ils voulaient et en à peine 30 secondes, on s’est retrouvé avec ce truc autour du poignet ! » Beau joueur, le jeune californien prend la mésaventure à la rigolade : « Au final ça nous a coûté 2 euros chacun. C’est aussi ça être touriste ». Les deux ricains repartent, direction le métro.
Manège C’est quelques mètres plus haut, juste au pied des escaliers qui mènent au Sacré-Cœur, que l’on peut observer la bande en action. La technique est bien rodée. A l’approche d’une famille, un jeune black, casquette vissée sur le crâne tente une approche en allemand : « wohin kommen Sie ? » Échec ! Malgré leurs cheveux blonds, la petite tribu vient d’Italie. Une œillade sur leur guide de voyage et le micro-business-man kényan comprend son erreur. Direct, il enchaîne avec ses trois mots d’italien. L’important n’est pas vraiment de communiquer, mais bien d’attirer l’attention du futur pigeon. Souvent dans une famille, ils préfèrent cibler les adolescentes. Moins réticentes que les parents, moins surveillées que les plus jeunes.
Un grand sourire en travers du visage, il s’approche de Silvia, 15 ans, vêtue d’un mini short et visiblement intriguée par le manège des Kényans. Un petit check sympa en guise d’attaque, c’est surtout l’occasion d’attraper le poignet de la jeune fille. Objectif : glisser sur l’index la boucle formée par les fils de coton. Le temps de faire la tresse, le jeune africain meuble le silence. « Roma, Napoli, Firenze ? » il énumère les noms de villes jusqu’à tomber juste. En une minute à peine, le bracelet est autour du poignet. Un coup de coupe-ongle pour enlever les fils qui dépassent parachève le travail. « Hakuna Matata ! » s’exclame le gugus qui ne ressemble ni à Timon ni à Pumba. Ça veut dire « pas de problèmes » en swahili, l’une des langues parlée au Kenya.
Toute la famille est prise d’assaut. Si l’aînée y a droit, difficile pour les parents de le refuser aux cadets. Finalement presque tous y passent. Seul récalcitrant, le père qui assiste au manège. Excédé il finit par embarquer la smala, après avoir été délesté de sept euros. « C’est vraiment une arnaque, en plus s’attaquer aux gamins c’est dégueulasse », s’indigne le daron devant StreetPress. L’aînée baisse les yeux, toute penaude de s’être fait rouler.
Pression Quelques instants plus tard, le même « artisan » tente sa chance avec une américaine. D’un « no, sorry » balancé sèchement, la quadra tente d’écarter l’importun. Le jeune lui attrape le bras, alors qu’elle tente de se faufiler entre les rangs des tresseurs. « Don’t touch me ! » D’un mouvement sec elle libère son poignet. Jusque-là tout sourire, son interlocuteur change de visage et la couvre d’injures. « Fuck you bitch ! » En guise de réponse, elle balance un doigt d’honneur bien senti et s’échappe en direction du Sacré-Cœur.
Ce groupe de touristes asiatiques n’aura pas la même repartie. Alors que la vingtaine de membres tombe dans les filets des Kényans, le guide tente poliment de protester. En guise de réponse, un tombereau d’insultes racistes :
« Sale bridé, ferme ta gueule. Vous êtes vraiment une sale race. En Afrique, vous profitez bien de nous pour vous faire du fric, alors là c’est notre tour ! »
Le guide bat en retraite sans demander son reste. Ses ouailles serrent appareils photos et sac à mains d’un air apeuré. Chacun lâche son obole avant de s’échapper.
Hakuna Matata !
Fuck you bitch !
Salle bridé, ferme ta gueule
Trafic Devant chacun des deux escaliers qui mènent au Sacré-Coeur, une quinzaine de Kényans tente d’intercepter les touristes. Impossible d’attaquer la face Sud de la butte sans traverser leurs filets. Ce lundi 22 juillet, le business tourne bien. A raison de quelques euros par touristes, la cagnotte se remplit petit à petit. « Ça marche plutôt pas mal », concède l’un des vendeurs, la trentaine, un sourire édenté en travers du visage. Il n’en dira pas plus, concédant seulement ses origines kényanes.
Quelques minutes plus tard, il s’enfonce dans une contre allée ombragée. Une vingtaine de mètres plus loin, il s’attarde auprès d’un autre africain. « Il lui passe l’argent et récupère des réserves de fils », nous expliquera un peu plus tard un officier en patrouille. « Nous avons déjà pu les interpeller. Ils ont plusieurs milliers d’euros en liquide sur eux », affirme l’agent. « Ce sont de véritables réseaux, très majoritairement composés de sans-papiers kényans. » Un trafic organisé, donc. En plus des tresseurs et des ravitailleurs, des guetteurs sont postés aux différents croisements de la butte. Au total, entre trente et quarante personnes en action. « Les véritables chefs ne sont pas là », ajoute le policier. « Ils viennent parfois, mais seulement tard le soir. » Au coucher du soleil, tout ce petit monde repart en direction de la banlieue où ils vivraient en communauté, « dans le 77 ou le 94 ».
Map – Sinon, le Sacré-Cœur, on peut aussi y accéder par les côtés…
Police 14 heures 30, l’un des guetteurs posté au croisement entre les différentes allées qui relient le Sacré Cœur se redresse. En quelques secondes à peine, la petite place se vide. Une minute plus tard, quatre policiers en uniforme apparaissent. « On fait des rondes régulièrement, mais ce n’est pas très efficace. Il faudrait être présent en permanence ou démonter les réseaux », explique l’un d’eux. Avant d’ajouter :
« Je m’en fous qu’ils vendent, le problème c’est qu’ils sont agressifs ».
« Certains collègues ont procédé à des interpellations » ce qui de son propre aveu serait assez inutile :
« On prend la marchandise, qui ne vaut rien, au mieux la cagnotte du jour. On leur colle une amende et ils ressortent. »
Impossible de savoir si une enquête est en cours sur ces réseaux. Du côté du service presse de la préfecture, on se contente d’expliquer que Montmartre fait partie des zones concernées par le « plan touriste 2013 ». Quant à l’officier en patrouille dans le quartier, il concède douter que des investigations en profondeur soit actuellement menées. Du côté de la Mairie de Paris, on renvoie la balle à la préfecture « en charge des questions de vente à la sauvette, nous on ne peut rien faire. »
Je m’en fous qu’ils vendent, le problème c’est qu’ils sont agressifs
Vidéo – On trouve de tout sur Internet, même un tutoriel pour affamer ces pauvres vendeurs ambulants…
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