StreetPress s'est incrusté au 14e Congrès juif mondial qui se tient à Budapest, et où l'invité d'honneur était dimanche le Premier ministre hongrois Viktor Orbàn, aux sympathies pourtant marquées avec l'extrême droite. What the fuc
Budapest, dimanche 5 mai – « Ouais bon là on vient de nous demander d’arrêter de distribuer nos tracts… Orbàn arrive dans trente minutes ! », nous souffle Elie Petit, vice-président de l’Union des étudiants juifs européens. Nous sommes au 14e Congrès juif mondial qui se tient en ce moment à Budapest. Et avec quelques représentants des étudiants juifs, Elie, costard noir et cordon du congrès autour du cou, vient de distribuer des tracts « We don’t clap for Orbàn » aux délégués et aux journalistes.
« Viktor Orbàn n’est pas un démocrate et il vient chercher un certificat de respectabilité en parlant devant le congrès. On demande aux congressistes de ne pas applaudir Orbàn », explique le petit groupe qui continue de glisser discrètement aux journalistes les tracts, imprimés la veille grâce à l’aide de jeunes juifs de Budapest.
Mauvaise blague juive « A chaque fois que je viens en Hongrie, j’ai l’impression d’arriver dans un asile de fous », constate mi-agacé mi-blasé Karl Pfeifer, un vieil intellectuel et journaliste viennois, qui connaît bien le pays depuis que sa famille s’y est réfugiée en 1938 quand il avait dix ans. C’est vrai que l’invitation du Congrès juif mondial au Premier ministre hongrois résonne comme une mauvaise blague juive, alors que l’UE s’apprête à rendre un rapport accablant sur la régression démocratique du pays. Les Roms sont dans le collimateur du gouvernement qui a aussi réintroduit des auteurs antisémites dans les programmes scolaires. Les maires du parti au pouvoir font construire des statues à la gloire de l’Amiral Horty, qui a fait voter les lois antisémites dès 1934.
Mais le tout puissant Premier ministre va faire son entrée dans quelques minutes et c’est le gros remue-ménage chez les quelques 500 congressistes. A quelques mètres d’Elie, le président de la communauté juive de Hongrie vient de redescendre de sa chambre. Péter Feldmajer, un vieux petit monsieur à la barbe blanche bien taillée, a troqué son costume casual pour un costume bleu luisant avec un beau nœud pap’ rouge. Le président de la communauté juive de Hongrie commence par nous parler de la superbe croisière que les congressistes ont fait la veille sur le Danube. Proche des socialistes, Feldmajer s’apprête à dire ses quatre vérités à la tribune au Premier ministre hongrois, à dénoncer le développement de l’antisémitisme dans le pays, avec une centaine d’incidents antisémites recensés en 2012, à rappeler comment le parti au pouvoir a changé les noms de rues de Budapest « en donnant aux rues les noms d’antisémites virulents ».
Le président du Congrès juif mondial qui prendra la parole après lui compte sur le rendez-vous pour faire pression sur Orbàn. Ronald Lauder va exiger notamment de lui qu’il fasse preuve de fermeté face au Jobbik, le parti nationaliste radical (17% des voix) dont un député a proposé devant le parlement de « faire une liste de juifs » qui occupent des postes au parlement ou au gouvernement.
Rôti de veau A 20h, devant les délégués attablés qui viennent de terminer leur terrine de foie gras et leur rôti de veau, Viktor Orbàn grimpe à la tribune du Congrès. Le Premier ministre relativise la montée de l’antisémitisme dans le pays : « Il n’y a pas eu d’attentats à la bombe, il n’y a pas eu d’attaques dans des écoles juives », dit-il dans une allusion claire à l’attentat de la rue Copernic et à la tuerie de Toulouse. Et Orbàn de faire porter le chapeau de la libération de la parole antisémite à l’Union Européenne, cause des « désespérances » dans le pays.
A quelques mètres de là, le grand rabbin de Kiev, longue barbe grisonnante et shtreiml sur la tête, écoute attentivement mais ne relève « aucune réponse concrète aux problèmes posés. Orbàn n’a proposé aucune solution, par exemple pour mettre hors la loi les partis racistes ». On demande à Yaakov Bleich si la visite d’Orbàn au congrès est – comme le dit l’adage – « bon pour les juifs » :
« La visite d’Orbàn, c’est surtout bon pour lui-même ! »
Orbàn termine son discours, applaudi par une petite moitié des délégués. A la table des étudiants juifs, Jonathan fait le bilan :
« Le Congrès a voulu inviter Orbàn pour le faire plier. Résultat, il est venu, mais n’a répondu à rien, pas un mot sur le Jobbik. »
Elie lui range ses affaires et n’attendra pas le dessert. Il veut décompresser: « Tout ce dont j’ai envie c’est d’aller de sortir me griller une cigarette. »
A chaque fois que je viens en Hongrie, j’ai l’impression d’arriver dans un asile de fous !
Le parti au pouvoir a donné aux rues de Budapest les noms d’antisémites virulents
Le Congrès a voulu inviter Orbàn pour le faire plier. Résultat, il est venu, mais n’a répondu à rien
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