12/04/2013

« Les Français ne comprennent pas pourquoi les morts ont besoin d'argent dans l'au-delà »

Les Chinois de Paris fêtent leurs morts

Par Julie Chen

Samedi 6 avril, affluence inhabituelle au cimetière de Thiais. La communauté chinoise de France est venue fêter ses morts. Quelques jeunes, parmi eux, tentent de poursuivre la tradition.

Fête des morts. Samedi 6 avril, il y a affluence au cimetière de Thiais, au sud de Paris. Les divisions n° 36, 37, 44, 45 et 60 regroupent des tombes de Chinois. Deux jours plus tôt, le 4 avril, les Chinois célébraient « Qing Ming Jie » – littéralement « pureté et lumière » – soit la fête des morts.

En Chine, cette fête nationale s’étale sur trois jours de vacances. Cela permet aux gens de rentrer dans leur province d’origine pour y nettoyer les tombes de leurs proches et célébrer la mémoire des morts. Une tradition parfois difficile à maintenir aussi loin de la mère patrie.

L’entrée du cimetière et ses larges allées lui donnent un air communiste. Difficile de passer à côté des divisions « asiatiques » : certaines plaques tombales ressemblent à des façades de maisons traditionnelles chinoises avec des toits incurvés. D’autres sont bordées par deux lions de Bouddha, à l’image des animaux gardiens des temples chinois.

Les textes sont gravés en idéogrammes chinois dorés et rouges. Le long des divisions, des voitures alignées. Certains frileux sont restés dedans pendant que leur famille rende le culte. Cette matinée grise d’avril est quasi-hivernale.

Génération « perdue » Marie-Anne se grille une cigarette à côté de sa voiture, dans laquelle s’agitent deux enfants. Elle attend le reste de sa famille. Cette année, « Qing Ming Jie » est un peu spécial pour elle : marqué par le décès récent de sa grand-mère. Pendant un an, sa famille ne pourra pas prier pour la défunte au risque de retenir son âme. Elle est donc venue aujourd’hui pour son grand-père.

La trentaine, Marie-Anne est née en France. Elle reste très impliquée dans sa culture d’origine. Son compagnon est lui aussi d’origine chinoise. Ensemble ils ont un fils de cinq ans qui a passé un an en Chine.

Pour elle, la jeune génération serait « perdue ». « Ils ne s’intéressent pas aux traditions, n’ont pas forcément envie d’apprendre le chinois » déplore-t-elle. « Mes sœurs sont mariées à des Français de souche. Ils ne comprennent pas pourquoi les morts ont besoin d’argent ou d’habits dans l’au-delà. »

Ils ne comprennent pas pourquoi les morts ont besoin d’argent ou d’habits dans l’au-delà

Au-delà Une dame s’approche, les yeux rougis. C’est la mère de Marie-Anne. Il est temps pour la famille de repartir. Comme pour contredire ces propos, un peu plus loin un jeune homme non-chinois rend le culte avec enthousiasme. Autour de lui des jeunes d’origine chinoise. Un signe fort d’intégration pour lui.

A l’entrée de chaque « division » du cimetière, une plaque est érigée en l’honneur du dieu de la Terre. Le nom de l’association qui l’a financée est inscrit dessus. Si vous ne lisez pas le chinois, facile de les repérer : cette stèle se distingue par la quantité d’offrandes, des fruits en général. Chaque famille déposera un petit quelque chose à ce dieu, en plus des offrandes prévues pour ses ancêtres.

Sur la gauche, un grand-père et une grand-mère armés de serviettes humides essuient une tombe. De la fumée blanche s’élève depuis l’allée de droite où sont posées des corbeilles en fer. A l’intérieur brûlent des papiers de couleur ou des billets de papier. Objectif : envoyer « des richesses » à leurs ancêtres et les aider à mener une vie prospère dans l’au-delà.

Vin et canard laqué Dans les deux divisions alentour, trois groupes sont rassemblés devant les tombes de leurs ancêtres, des bâtonnets d’encens allumés dans les mains. Les jeunes, emmitouflés dans leur épaisse doudoune, parlent français entre eux. L’ambiance n’est pas pesante. Certains plaisantent, se racontent des anecdotes. Ils semblent se laisser guider par leurs parents ou grands-parents.


Le paradis du fruit

Ces derniers, plus actifs, prennent la direction des opérations. Ici, ils placent les plateaux d’oranges et de raisin sur une tombe. Au fond, ils ont fini de célébrer un ancêtre et changent de division, une bouteille de vin et un plat de canard laqué vont être déposés sur une autre tombe. Là-bas, une dame ramasse des petites branches pour alimenter le feu.

Kim, une jeune fille d’une vingtaine d’années, aux longs cheveux lisses, sort de la division où est enterrée une partie de ses ancêtres. Sa famille est originaire de la province chinoise du Guangdong (de dialecte Teochew). Pour elle, « ça fait partie de la culture » de venir célébrer la mémoire de son grand-père paternel, de son grand oncle et de son arrière grand-mère maternels. Elle a juste le temps de lâcher ces quelques mots, elle doit filer, le moteur de la voiture familiale vient de s’allumer !

13 heures, les allées du cimetière se vident peu à peu. En Chine, on quitte les caveaux familiaux, souvent situés dans les montagnes, en allumant une guirlande de pétards pour éloigner les mauvais esprits. Une tradition qui ne s’est pas pérennisée à Thiais. Ici, le silence règne.