Ils écument le bitume parisien avec leurs roses multicolores. StreetPress vous raconte l'histoire de ces immigrés bangladeshis que vous avez gentiment envoyé balader, pendant un rencard ou un apéro à la terrasse d'un café.
1 Qui achète vraiment les roses ?
C’est un peu le point de départ de l’histoire. Car pour qu’il y ait des vendeurs de roses qui arpentent à longueur de nuits les terrasses et les restos des quartiers animés ou touristiques de la capitale, il faut aussi qu’il y ait des acheteurs. Mais les Parisiens prêts à sortir leur porte-monnaie pour offrir une rose se font rares… du coup « Vers 23 heures, quand les gens ont un peu bu, ils achètent plus facilement », confesse Subrata, qui vend des roses depuis bientôt deux ans.
« Ah ! La rose n’est plus romantique du tout… C’est même complètement ringard. Les demoiselles préfèrent qu’on leur offre des bières », s’amuse Alain. Depuis 20 ans, il est restaurateur aux Abbesses et voit défiler chaque soir les vendeurs de roses. « Et puis, la situation économique joue aussi. Il y a de moins en moins de gens qui achètent les roses. »
2 Vendre des roses, combien ça gagne ?
« Hier, j’ai marché 9 heures, j’ai vendu pour 7€ de roses », nous raconte Akash, un peu dépité et surtout fatigué. Ces temps-ci les affaires ne marchent pas fort : « No thanks, no thanks, no thanks, c’est ce que j’entends toute la journée… » Le chiffre d’affaire d’une soirée oscille en moyenne entre 6€ et 10€.
« Les vendeurs de CD ou de fruits et légumes dans le métro s’en sortent vraiment mieux », explique Sarah Cuzin. Etudiante en Master 2 de recherche en Sciences politiques à la Sorbonne, elle rédige actuellement un mémoire sur les émigrés Bangladeshis en France : « L’accès au terrain m’est considérablement facilité par mon conjoint, lui-même Bangladeshi sans titre de séjour depuis plus de trois ans, avec qui je vis depuis un an. »
3 D’où viennent les jolies roses ?
Un vendeur qui dispose d’un titre de séjour et d’une carte d’acheteur va acheter en gros les roses au marché de Rungis, et les revend à un groupe de vendeurs à qui il a donné rendez-vous, souvent vers Gare de l’Est.
Un business pas du goût de tous : « C’est vrai que les syndicats de fleuristes déposent régulièrement des plaintes auprès des mairies et des commissariats. Il faut les comprendre en même temps, parce que les vendeurs de roses ne paient aucune taxe », explique Jean-René Deleu du syndicat de police Alliance : « Autant pour la vente de brins de muguet à la sauvette, ils ferment les yeux parce que ça se passe une fois l’an, autant le marché informel des roses, c’est tout au long de l’année ! »
4 Et le reste de la journée ?
« La journée, je dors. En fait je n’ai pas de papiers, donc je sors le moins possible », nous confie Akash. Les patrons de bars parlent d’eux comme de « vraies chauves-souris », et c’est vrai qu’ils apparaissent sur les terrasses à partir de 19h, ou à la nuit tombée pour commencer leur tournée.
« Ils ont des circuits et s’organisent entre eux pour passer à différentes heures », complète Sarah Cuzin :
« Ensuite, pour se distraire ils regardent des séries, des films indiens, ils passent du temps entre amis, vont boire un chaï Gare du Nord, jouer aux cartes… Mais, en réalité ce sont de vraies bêtes de travail. Ils ont des activités au black complètement épuisantes avec des horaires de folie. Le peu de temps libre qu’ils ont, ils dorment. »
5 D’où viennent-ils ?
« Ca fait plus de 20 ans que je travaille aux Abbesses. Avant c’étaient des Indiens et des Sri-lankais, maintenant ce sont les Bangladeshis qui vendent les fleurs », assure Alain. Sur la dizaine de vendeurs de roses interrogés au hasard des rues parisiennes, tous viennent du Bangladesh.
De Dhaka la capitale, ou de plus petites villes, ils sont venus par bateau, train ou avion. S’ils viennent en bateau, ils passent par l’Inde, puis par l’Italie où réside également une importante communauté bangladeshi. Ils rejoignent ensuite la France en train. « Une des personnes que j’ai interviewée avait payé 6.000 euros pour aller jusqu’en Italie, explique Sarah Cuzin. Il était resté caché dans la soute d’un bateau pendant deux semaines, clandestinement ».
« Les titres de séjour, ils les ont plus facilement en passant par l’Espagne ou l’Italie », Jean-René Deleu d’Alliance Police. « D’ailleurs, l’Italie, à une période, avait fait des régularisations massives. Notamment pour se débarrasser des immigrés qui par la suite quittaient le pays pour un autre pays européen. »
6 Où habitent-ils ?
Subrata, vendeur de roses, habite avec sept autres personnes dans un 35 mètres carrés à Guy Môquet (Paris 18e). Puranjoy dort lui avec neuf autres compatriotes dans un deux pièces à Aubervilliers (93). Ils vivent entre hommes. Les appartements sont loués par l’un d’entre eux qui a réussi à obtenir des papiers français. Et qui sous-loue l’appartement aux autres.
D’après Sarah Cuzin :
« Le réseau est réellement impressionnant dans des villes comme Milan ou Paris. N’importe qui arrivant à Paris, même si il n’a pas de contact, n’aura qu’à marcher 10 minutes à Gare du Nord avant de rencontrer quelqu’un qui connaît quelqu’un. »
Mais un réseau est une solidarité à double tranchant. Si une partie des recettes sont partagées pour la vie en communauté, les rapports de domination sont importants entre ceux qui ont obtenu un titre de séjour et ceux qui n’en ont pas. Cela peut se ressentir dans les corvées de la vie en groupe : faire plus souvent la vaisselle, le ménage, la cuisine… ou jusque dans les conversations : « Si tu n’as pas de papiers, tu n’as jamais raison, voire, tu n’as pas droit à la parole… », explique Sarah.
7 Les autres jobs possibles ?
« Non, ça me rapporte vraiment rien de vendre des roses. J’en ai marre, je cherche un travail au noir, mais c’est très dur à trouver », s’agace Ali, 28 ans. Vendeur de roses semble être le métier qui rapporte le moins de la galaxie des boulots au black : c’est usant physiquement et moralement. Il faut marcher des heures et des heures dans le froid. Ali, complète: « Les gens me parlent mal souvent, en plus. »
Entre vendre des films piratés ou des roses, le choix est vite fait explique Sarah Cuzin :
« Vendre des DVD ou des légumes, c’est quand même plus rentable. Mais ce que tous veulent, c’est un travail au black. Dans des restos en cuisine, à la plonge, en nettoyeur de salle la nuit, dans des épiceries… Même trop souvent, les patrons abusent de ces travailleurs sans-papiers. Ils vont travailler 10 heures d’affilée, 6 jours sur 7 pour des salaires qui vont de 400 à 700 euros le mois. Mon copain, c’est 60 heures par semaine pour 1.000€ par mois, mais là on parle d’un salaire exceptionnel ! »
8 Pourquoi est-ce qu’ils ont quitté le Bangladesh ?
Ils ont pu quitter leur pays pour des raisons économiques, mais aussi religieuses ou politiques. Ils ont entre 25 et 30 ans quand ils arrivent à Paris et sont souvent issus de la classe moyenne. C’est le cas de Zahir, 25 ans, un beau bouquet de roses à la main. Il a débarqué il y a un mois à Paname :
« J’ai deux garçons, une femme. Ils comptent sur moi pour ramener de l’argent. J’espère pouvoir leur offrir une vie meilleure en travaillant ici. Mais je suis vraiment déçu. »
Celui qui se fait appeler Doudou a 37 ans et raconte la suite de l’histoire :
« Ca fait dix ans que je n’ai pas vu mes enfants… Mais je les reverrai, un jour. Quand j’aurai des papiers. Inchallah’ ! »
Les Bangladeshis de confession hindou, qui sont une minorité religieuse dans un pays à majorité musulmane, et les opposants politiques grossissent aussi les rangs des immigrés bangladeshis à Paris.
9 Les relations avec la police ?
Subrata nous explique « faire attention : s’ils font un contrôle, ils vont jeter mes fleurs avant de me laisser partir ». Effectivement, vendre à la sauvette est un délit, confirme Jean-René Deleu d’Alliance Police : « Nous opérons un contrôle des papiers puis une saisie des fleurs qui sont, soit détruites, soit données à une association ».
Mais les policiers ne sont pas les plus craints par les vendeurs de roses. Jean-René Deleu poursuit :
« Il y a une réelle concurrence entre les communautés qui vendent de manière informelle. S’ils travaillent dans le quartier de Barbès, les vendeurs de roses seront en concurrence avec ceux qui vendent des cigarettes sous le pont. S’ils sont dans le quartier de la Tour Eiffel, ils seront en concurrence avec ceux qui vendent des porte-clés… »
Zahir, qui passe par Barbès pour aller vendre ses roses à Montmartre, raconte s’être fait racketter à plusieurs reprises. « Ils vivent dans la peur, ils ont des rapports aux flics hebdomadaires, ils sont généralement dépossédés de leur matériel. En fait, c’est aussi pour ça que les jobs dans les cuisines sont les plus voulus, c’est parce qu’ils ont moins de risques d’être vus. La cuisine, c’est le meilleur job qu’ils puissent espérer au black», renchérit Sarah.
10 Qu’attendent-ils de la France ?
En premier lieu, les immigrés bangladeshis attendent des papiers. Leur premier réflexe à leur arrivée est d’aller s’inscrire à l’Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides (OFPRA). Qu’ils soient venus pour des raisons économiques, politiques ou religieuses, tous demandent le statut de réfugié politique :
« Tous le tentent. Ils ont l’impression de jouer à la loterie, en fait. Parce qu’il y en a pas mal qui sont partis pour des raisons purement économiques, mais qui parviennent à obtenir ce statut, et d’autres qui sont réellement en danger, qui sont partis pour des raisons politiques, mais qui n’ont pas eu de papiers », explique Sarah.
Une fois la demande effectuée, l’examen du dossier peut prendre entre un et trois ans. Entre temps, ils reçoivent un numéro de sécurité sociale, et tous les trois mois, un nouveau récépissé. C’est ce document qui fait office de « papiers » lors des contrôles d’identité. En même temps, ils reçoivent une allocation mensuelle de 300 euros, jusqu’à ce qu’une réponse leur soit donnée.
Mais les règles ont changé depuis que, fin 2011, le Bangladesh a été inscrit sur la liste des « pays d’origine sûrs » par l’OFPRA. Du coup, depuis peu, les dossiers de demandes d’asile politique sont expédiés en une quinzaine de jours, l’Etat accordant des titres de séjour au compte-goutte
« Dès que j’ai mes papiers, je retourne chez moi voir ma famille ! ». Du haut de ses 46 ans, arrivé en juillet 2009, Subrata garde espoir. Il a le sourire quand il parle de sa famille qu’il n’a pas revue depuis qu’il a quitté le pays pour des raisons religieuses. « Et puis je reviendrai en France, mais avec ma femme et mes enfants. Je reviendrai pour bien m’installer et travailler ici ». Mais sans doute pas comme fleuriste.
- FAQ /
- Police /
- Argent /
- Paris /
- Racisme /
- France /
- international /
- Jeunesse /
- Religion /
- Immigration /
- Roses /
- Bengladesh /
- vendeur de roses /
- sans papiers /
- Pakistanais /
- Sri-Lankais /
- Tamouls /
- paris 18e /
- Aubervilliers /
- Rungis /
- Fleurs /
- Bar /
- Restaurant /
- Clubbing /
- Précarité /
- indiens /
- Société /
- A la une /
- Collector /