08/01/2025

« C’est mon héros, y en a pas d’autres. Pétain, je m’en bats les couilles »

Jean-Marie Le Pen, leader incontesté de l’extrême droite radicale

Par Mathieu Molard ,
Par Christophe-Cécil Garnier ,
Par Daphné Deschamps

Jean-Marie Le Pen a fait du Front national la maison commune de tous les radicaux. Quelques heures après son décès, royalistes, identitaires et autres néofascistes lui rendent hommage.

« J’vais te faire courir le rouquin, arrête de jouer au malin, j’vais te faire courir le rouquin, je vais te rattraper t’iras pas bien loin », chante Renaud Mannheim, meneur du groupe de rock Match retour et ancien patron de la section lyonnaise de Troisième voie, groupuscule néonazi dissous en 2013. Face à lui, enfoncé dans son fauteuil, Jean-Marie Le Pen hoche la tête au rythme de la mélodie. Thomas Joly, président du Parti de la France, une scission pétainiste du FN, applaudit tout sourire. La vidéo, publiée par Mediapart, date du 28 septembre 2024, deux jours avant le procès des assistants parlementaires européens du FN auquel l’ancien chef ne participera pas pour raison de santé. Mauvaise com’. Sa fille tente d’éteindre la polémique en déposant plainte pour abus de faiblesse. Un dernier coup d’éclat avant de s’en aller. Jean-Marie Le Pen est décédé ce 7 janvier 2025.

« Il était “en forme”, même si c’est un grand mot. Il m’a remercié chaleureusement, on a passé un bon petit moment », raconte un peu ému Renaud Mannheim, l’auteur-compositeur de la chanson. « Je voulais absolument faire un titre de son vivant et qu’il l’entende. C’est mon héros, c’est mon leader. C’est la figure nationaliste, y en a pas d’autres. Pétain, je m’en bats les couilles », dit-il encore à propos de l’homme condamné une vingtaine de fois pour des faits de discriminations, injures publiques, incitations à la haine ou apologie de crimes de guerre.

Tout au long de sa vie, Jean-Marie Le Pen a rassemblé toutes les radicalités nationalistes et a, plus qu’aucun autre, structuré cette famille politique désormais aux portes du pouvoir. Ce mardi, sur les réseaux sociaux, des dizaines de selfies aux côtés de Jean-Marie Le Pen réapparaissent. Chacun y va de son petit mot – les vieux grognards, comme les jeunes loups – toutes tendances confondues. Monarchistes, identitaires, néofascistes ou catholiques intégristes rendent hommage à celui qui a, pendant 39 ans, dirigé le Front national, maison commune de toutes les familles d’extrême droite.

Le compromis nationaliste

Retour en arrière. En 1934, Charles Maurras, écrivain monarchiste, antidreyfusard et père du « nationalisme intégral », suggère aux différentes chapelles d’extrême droite un « compromis nationaliste », une alliance tactique et circonstancielle pour concourir aux élections et peser sur le débat public. Mais son projet de « Front national » fait long feu, jusqu’en 1972, où le parti néofasciste Ordre nouveau va, comme l’a expliqué l’historien Nicolas Lebourg, revisiter ce compromis nationaliste et fonder le Front national. Les têtes d’Ordre nouveau cherchent une figure, un tant soit peu connue du grand public pour présider le mouvement. « Jean-Marie Le Pen n’est pas le premier choix », rembobine Roland Hélie, directeur de la revue Synthèse nationale et adhérent de la première heure « à 15 ans, en 1973 », mais il coche les cases. Il est déjà connu : il a été le plus jeune député de France en 1956, dans le cadre du mouvement poujadiste. Et il passe pour plus modéré que ses alliés. Il doit contribuer, déjà, à « dédiaboliser » l’extrême droite pour élargir sa base électorale et offrir des débouchés aux jeunes cadres d’extrême droite. Le Pen vient des courants poujadistes et pro-Algérie française. Il a aussi, dans sa jeunesse, vendu le journal de l’Action française, rappelle Antoine Grosjean, porte-parole du groupuscule monarchiste. Les autres fondateurs du FN viennent de mouvements plus radicaux et nombre d’entre eux, comme Pierre Bousquet ou François Brignaux, ont vu leur parcours politique lourdement entaché par la collaboration.

Dans ce Front national, toutes les familles de l’extrême droite sont les bienvenues. Jean-Marie Le Pen expliquera même que le FN « autorise la double appartenance et respecte les choix idéologiques de ses adhérents ». En clair : on peut à la fois être adhérent d’un groupuscule extra-parlementaire, qu’il soit monarchiste, nationaliste-révolutionnaire ou catholique intégriste, et membre du Front national. À l’heure des hommages, les radicaux louent son « ouverture d’esprit ». « Lui il n’a jamais exclu qui que ce soit par rapport à ses préférences spirituelles historiques ou politiques, il a réussi à provoquer ce grand rassemblement de la droite nationale avec le FN », clame Thomas Joly. Un doux euphémisme pour expliquer qu’il acceptait au FN des néonazis et autres identitaires radicaux ou catholiques intégristes. « Je suis skinhead et lui, je me retrouvais dans ce qu’il disait. La première fois que j’ai voté, c’était pour lui, et j’ai ensuite toujours voté pour lui », enfonce Renaud Mannheim. À une soirée dans son manoir de Montretout, « quand il a appris que l’Action française était là, il s’est exclamé : “Ah, les seigneurs !”», se souvient de son côté le royaliste Antoine Grosjean. Joly conclut en taclant son héritière :

« La grande erreur de sa vie, c’est d’avoir transmis le parti à sa fille. On lui avait dit ! »

Un chef incontestable

« L’ouverture d’esprit » de Jean-Marie Le Pen, tant vantée à l’extrême droite, était en réalité des plus relatives. L’homme n’accepte aucune contestation de son leadership. En 1998, Jean-Marie Le Pen est condamné à deux ans d’inéligibilité – une condamnation ramenée à un an en appel – pour avoir agressé la candidate socialiste Annette Peulvast-Bergeal, qui se présente dans la même circonscription que sa fille Marie-Caroline Le Pen, aux législatives de 1997. Il ne peut donc pas prendre la tête de la liste FN aux élections européennes de l’année suivante. Plutôt que de la confier à Bruno Mégret, son numéro deux, il place en première position sa femme Jany Le Pen. Le message est explicite : il n’y a qu’un seul chef au Front. Une humiliation qui poussera Bruno Mégret à quitter le parti fin 1998 avec une partie des troupes.

Ça barde sur les hommages entre Frédéric Chatillon, proche de Marine Le Pen, et Philippe Olivier, mari de Marie-Caroline Le Pen et ancien sécessionniste du MNR. /

Mais Le Pen sait pardonner, au gré de ses intérêts politiques. « Il était plein de mansuétude. Malgré toutes les saloperies que j’avais dites sur lui, il m’a accueilli à bras ouverts », commente Christian Bouchet, figure tutélaire du courant nationaliste-révolutionnaire en France, passé par le MNR de Mégret. « Je me suis retrouvé seul en voiture avec lui, il ne m’a jamais fait un reproche, j’ai soigneusement évité de parler du passé, parce que je voulais me présenter à la mairie de Nantes. » « Un jour, il m’avait dit : “Quand on aime Le Pen, Le Pen aime. Quand on n’aime plus Le Pen, Le Pen n’aime plus” », abonde Roland Hélie, purgé du FN au début des années 1990 et revenu au bercail 25 ans plus tard.

Le totem des radicaux

En 2011, Jean-Marie Le Pen cède la direction de « son » parti à sa fille. Elle le pousse sur la touche jusqu’à l’exclure définitivement en 2015. Lui multiplie les provocations en s’affichant avec les plus radicaux, tels le négationniste Robert Faurisson et le collabo Pierre Sidos à l’occasion des 65 ans du journal Rivarol, dirigé par le très antisémite Jérôme Bourbon.

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Il reçoit aussi, à Montretout, cette demeure de Saint-Cloud hérité d’un riche militant frontiste, Hubert Lambert. On pouvait croiser au hasard des anniversaires et autres soirées mondaines, les antisémites Dieudonné, Alain Soral ou Frédéric Chatillon mais aussi Michou (le directeur de cabaret, pas le Youtubeur) ou l’antiquaire vue à la télé Pierre-Jean Chalençon et bien-sûr les éternels grognards du lepénisme. La demeure a alors tout de l’auberge espagnole. Les Brigandes, une secte d’extrême droite, adepte de chansons racistes viennent y tourner un clip.

Même StreetPress a pu, à l’occasion d’une soirée électorale de 2017, s’y faire inviter et ainsi admirer les tableaux de Le Pen habillé en corsaire ou en uniforme de la Marine qui ornent les murs lézardés et déguster une bouteille de la cuvée Jeanne.

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Depuis 2020, Jean-Marie Le Pen, rattrapé par les années, n’organisait plus de grande soirée. Mais les plus fidèles se retrouvent encore à sa table. « Il faut être introduit par les “mousquetaires”, Lorrain de Saint Affrique et les autres fidèles du canal historique qui sont au contact de tout un tas de mouvements », détaille le royaliste Antoine Grosjean, pas peu fier du drapeau de l’Action française qu’il a fait dédicacer par Le Pen, à l’occasion de l’un de ces dîners :

« Il a inscrit : “Vive le roi quand même”, c’est un collector ! »

« À chaque fois que je passais à Paris, j’allais le voir », raconte son ami, l’avocat monarchiste Elie Hatem. « C’était comme un pèlerinage. » Leur dernier échange remonte à quelques jours avant Noël. « Je lui ai raconté par téléphone comment j’ai organisé l’exfiltration de Syrie de Rifaat El-Assad [l’oncle de Bachar El-Assad] vers Oman », assure Hatem, jamais avare d’anecdotes. Il enchaîne sur celle du jour où il a évité à Jean-Marie Le Pen de se faire arnaquer par « un brouteur » sénégalais. Il ne faisait alors plus courir personne.

Image d’illustration de Yann Castanier, prise lors d’un reportage aux dix ans de Synthèse nationale en 2015. Jean-Marie Le Pen y apparaît aux côtés de Roland Hélie ou même Serge Ayoub.

Certains passages de cet article sont tirés d’un chapitre du livre Extrême droite, la résistible ascension (éd. Amsterdam, collectif). Chapitre rédigé par Mathieu Molard, l’un des auteurs de cet article.