En mai dernier, l’ancienne belle-soeur d’André Lorieu, patron du Crédit Mutuel Océan, a témoigné dans un journal vendéen de la plainte pour viol qu’elle lui avait intentée il y a vingt ans, prescrite. Le banquier l’attaque pour diffamation.
« Le seul but de cette procédure est de me punir de parler. De raconter ce que j’ai vécu et de me prouver que je ne suis rien par rapport à mon présumé agresseur. Je n’ai pas d’argent, j’ai dû emprunter à une amie pour payer les frais d’avocat… C’est David contre Goliath. » Au téléphone, la voix d’Élise (1) est ferme. Ce 2 décembre 2024, elle passe devant le tribunal civil dans le cadre d’une procédure pour diffamation aux côtés du journal satirique vendéen Le Sans-Culotte. La procédure a été intentée par son ancien beau-frère André Lorieu, patron du Crédit Mutuel Océan, branche de l’Ouest de la banque. Il demande plus de 300.000 euros au « Canard enchaîné vendéen » et autant à Élise.
En mai dernier, cette dernière a témoigné dans Le Sans-Culotte, qui a signé quelques mois auparavant une enquête sur le malaise social au sein du Crédit Mutuel Océan. La quadragénaire y raconte sa plainte pour « viols sur mineur de moins de 15 ans par personne ayant autorité » qu’elle avait alors effectuée en 2004 et qui pointait son beau-frère André Lorieu, de 15 ans son aîné. Dans les colonnes du canard, Élise y décrit des violences sexuelles du banquier qui auraient eu lieu entre 1984 et 1987, lors des visites régulières dans la famille de sa conjointe, sœur d’Élise. Des faits que l’homme a toujours contestés.
Elise dit avoir subi un phénomène d’amnésie traumatique. / Crédits : Ana Pich
Une prescription à l’époque
Dans l’enquête du Sans-Culotte, elle y explique également le phénomène d’amnésie traumatique qu’elle aurait vécu – comme de nombreuses autres victimes –, et les réactions de déni de son entourage en dénonçant les agissements présumés d’un homme bien intégré dans la famille. Ainsi que les suites de sa plainte, qui a fait l’objet d’un non-lieu en 2006. À l’époque, et depuis une loi de 1989, le délai de prescription était de 10 ans à partir de la majorité des victimes mineurs, mais à condition que soit établi un rapport d’autorité entre l’auteur présumé et la victime. En 2004, le juge d’instruction a estimé qu’aucun lien d’autorité ne pouvait être établi entre l’enfant de huit ans et son beau-frère de 14 ans son aîné. Ce choix de qualification pénale a limité la prescription de l’infraction jusqu’en 1997. La loi a fait passer le délai de prescription à 30 ans après la majorité des victimes mineurs, sans que la mesure ne soit rétroactive. « Je croyais en la justice mais je savais que ma famille allait être fracassée », confie aujourd’hui Élise.
« La première chose que m’a dite mon avocate à l’époque : “N’attendez pas la justice pour vous reconstruire car elle est peut-être décevante”. Donc on m’avait avertie. »
Contactées, les deux avocates d’André Lorieu ont refusé de répondre à StreetPress. « Pas de commentaires. C’est une affaire privée », indique l’une d’elles.
Une procédure-baillon ?
Depuis l’article, le président du Crédit Mutuel Océan a donc porté l’affaire devant la justice sur deux tableaux. Sur le volet pénal, il a déposé une plainte en diffamation où il reproche à Élise son témoignage dans le Sans-Culotte, ainsi que des prises de position plus générales sur les réseaux sociaux et au sein de son association Mouv’enfants qui défend l’imprescriptibilité des crimes sexuels commis sur les enfants – Élise a d’ailleurs apporté son témoignage en 2022 auprès de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants, qui a fait la même revendication.
Elise et le journal Le Sans-Culotte évoquent une « procédure-bâillon ». / Crédits : Ana Pich
Mais sans même attendre que le parquet se prononce sur les suites de cette plainte pénale, le banquier ne s’est pas arrêté là et a assigné le Sans-Culotte et Élise à comparaître en référé au tribunal civil – une audience particulière où les conclusions écrites des parties sont déposées au juge qui prendra le temps de délibérer sur l’affaire. Il demande des montants colossaux au Sans Culotte et à Élise, là aussi pour diffamation, selon Clément Barraud, ex-journaliste du Sans Culotte, qui a mis la clé sous la porte l’été dernier.
« 314.000 euros chacun, on n’a jamais vu ça en matière de diffamation. La seule fois où le Sans-Culotte a été traîné en justice en diffamation, Philippe de Villiers demandait 5.000 euros en comparaison. D’autant que tous les articles et publications mis en cause ont été retirés. »
Les deux accusés évoquent une « procédure-bâillon », une manœuvre judiciaire d’intimidation qui peut être utilisée contre les victimes de violences sexuelles mais aussi les médias (StreetPress en fait parfois l’expérience). « C’est très pénible pour la victime, ça rouvre la cicatrice », estime le journaliste Clément Barraud. « Si la justice suit, c’est un message qu’elle adresse aux victimes : l’injonction à se taire. » Élise, elle, n’aurait « jamais imaginé que ça pouvait [lui] arriver ». Elle ne regrette pas pour autant son témoignage, qu’elle lie à son processus de « reconstruction » et de son engagement militant :
« Depuis le non lieu, il disait qu’il avait été blanchi. Mais il y a eu un non-lieu pour prescription, pas lors d’un procès… La honte et la culpabilité ne sont pas de mon côté. Mais mon cas n’est pas unique, il est temps que ça change. Ce procès, je le vois comme celui qui n’a pas eu lieu il y a vingt ans. »
Le délibéré aura lieu le 20 janvier.
(1) Le prénom a été changé.
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