Frappé par des policiers en avril 2020 après avoir filmé un contrôle, Aziz a dénoncé l’utilisation d’un taser sur ses testicules, avec des photos de ses blessures. Mais seules les violences captées par la vidéosurveillance ont été jugées.
Tribunal de Bobigny (93), 7 novembre 2024 – « Je suis un citoyen français. J’ai des droits. J’ai cru que j’allais mourir. » La juge finit de lire la lettre à voix haute puis lève ses yeux vers la salle d’audience. En face d’elle, Aziz E. ne dit rien de plus. Ce qu’il avait à raconter, il l’a écrit dans ce signalement envoyé à l’inspection générale de la police nationale (IGPN) il y a des années. Il y narre les violences que lui ont infligées deux policiers de la BAC de Seine-Saint-Denis, le 26 avril 2020 au commissariat d’Aubervilliers. À l’époque, c’est le confinement en raison de la pandémie de covid-19 et Aziz filme un contrôle quand les agents l’interpellent pour le forcer à supprimer les images. Emmené au poste de police pour vérification d’identité, il accuse le chauffeur de lui avoir notamment « tasé les couilles » à bord du véhicule, puis de l’avoir violenté dans un couloir du commissariat. « Mon téléphone borne au commissariat si vous voulez avoir des preuves », a-t-il inscrit dans la lettre, lue méticuleusement par la magistrate.
Mais de l’ensemble des violences dénoncées, seuls trois gestes sont poursuivis dans l’enquête, captés par les caméras de vidéosurveillance à l’intérieur du poste. Comme le rappelle la procureure à l’audience, en matière de violences policières :
« Ce qui n’est pas filmé n’existe pas au dossier. »
Et tant pis si dans son audition à l’IGPN, Aziz E., âgé de 25 ans au moment des faits, a décrit une longue litanie de coups, d’insultes et de références à sa religion de la part des fonctionnaires, depuis son interpellation jusqu’à ce qu’il accepte de déverrouiller son téléphone pour supprimer la vidéo. Les photos de ses blessures, jointes à son signalement, montrent des traces de piqûres à la jambe et aux parties génitales attribuées au taser ainsi que de nombreuses rougeurs « compatibles avec des traces de coup », selon la procureure.
Un croche-pied « regrettable »
Le rapport d’exploitation des vidéos reproche ainsi seulement à Thomas B. un coup de genou alors qu’il tirait « de manière énergique » le jeune homme, qui n’oppose « aucune résistance », du véhicule vers l’entrée du commissariat. À la barre, l’homme de 31 ans, depuis muté en police secours, défend un emploi de la force « strictement nécessaire » pour faire avancer l’interpellé et nie tout coup. Le jeune l’aurait en fait « déséquilibré ». Il reconnaît en revanche un croche-pied, filmé lui aussi, alors que Aziz E. s’apprête à quitter le commissariat, admettant « un geste regrettable ».
Quant à Vincent R., on lui reproche d’avoir, peu avant, armé le poing en direction d’Aziz E., dos au mur et « déboussolé » dans l’accueil du commissariat, tandis que les autres fonctionnaires inspectent son téléphone. L’homme, à la carrure athlétique, ne sait « plus pourquoi il a fait ça ». Comme son collègue, il reconnaît « un geste regrettable durant une période regrettable », sans pour autant y voir une forme de violence. Il se défend péniblement :
« Je ne connais pas le code pénal par cœur. »
À la barre, quatre ans après les faits, la jeune victime, un peu frêle, semble perdue. Aziz E. peine à suivre les questions du tribunal. Son avocate, Maître Déborah Zubillaga, décrit une victime « particulièrement traumatisée », se désolant que son client n’ait pas fait constater ses blessures par la médecine légale par « défiance de tout service qui travaille avec la police ».
Comme souvent dans les affaires de violences en réunion, les avocats de la défense comme de la partie civile critiquent aussi l’orientation limitée de l’enquête. « À aucun moment on a cherché à relever l’identité des policiers qui ont pu entrer en contact avec lui », fustige l’avocat de Thomas B., Maître Martin Dier, soulignant qu’aucune planche photographique n’a été présentée à la victime. L’avocate d’Aziz E. se désole surtout du « refus des fonctionnaires de témoigner à l’encontre de leurs collègues ». « C’est tout un effectif qui se protège les uns les autres », ajoute-t-elle. L’ensemble des violences avaient d’ailleurs été niées par les deux agents devant les enquêteurs, jusqu’à ce que les images leur soient présentées.
La procureur, elle, défend dans son réquisitoire le « bon travail » des enquêteurs sur « un dossier ancien », ainsi que le choix du parquet d’exclure des poursuites toute la scène de l’interpellation et du véhicule de police. Car sans déclenchement des caméras piéton, pour elle :
« C’est parole de l’un contre parole de l’autre, on ne saura jamais ce qu’il s’est réellement passé. »
Une vidéo effacée
La motivation réelle du transport d’Aziz E. vers le commissariat interroge également. Car, si l’ensemble des policiers affirment avoir voulu procéder à une vérification d’identité – qui permet de retenir une personne pendant quatre heures – celle-ci n’a finalement jamais été réalisée. Pour les fonctionnaires, c’est parce qu’Aziz E. leur aurait, juste devant la cellule, présenté sa carte sur son téléphone.
Ce serait d’ailleurs pour consulter sa carte que les quatre fonctionnaires auraient manipulé le téléphone à l’accueil. Une version répétée par Vincent R., qui avait pourtant reconnu en audition avoir supprimé la vidéo « de peur que la vidéo circule sur les réseaux sociaux ou ne tombe entre de mauvaises mains ». De quoi exaspérer la juge : « On est professionnels quand même. » « On n’a pas besoin de quatre personnes pour contrôler une carte d’identité », renchérit plus tard la procureur, qui rappelle aux policiers qu’être filmé peut être « très désagréable, c’est néanmoins légal ». Mais ces faits, eux aussi, ne sont pas poursuivis. Maître Déborah Zubillaga, l’avocate d’Aziz E., dénonce elle un « motif fallacieux » et envisage une nouvelle procédure pour « détention arbitraire ».
Pour les trois gestes poursuivis, la procureure requiert six mois d’emprisonnement avec sursis contre Thomas B, accompagnés d’une interdiction de port d’arme durant cinq ans. Quant à son collègue Vincent R, la magistrate requiert trois mois avec sursis. Le délibéré est attendu le 5 décembre.
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