17/06/2024

« SwiftiesForFrontPopulaire »

Les fans de Taylor Swift et de K-pop rejoignent le Front populaire

Par Lina Rhrissi

Dans la guerre des edits, ces courtes vidéos musicales qui inondent les réseaux sociaux, les fans de Taylor Swift et de pop coréenne ont choisi leur camp. À l’approche des législatives, ils mettent des paillettes sur les candidats de gauche.

L’edit préféré de Soumeya, c’est une vidéo de Jordan Bardella avec la chanson « The Smallest Man Who Ever Lived » [“L’homme le plus petit qui ait jamais vécu”, en français] de la pop star américaine Taylor Swift. « Il tourne beaucoup dans la communauté », explique la fan de 24 ans qui vit à Paris. « Ça dit à quel point il est pathétique et c’est juste trop marrant ! »

Alors que la campagne pour les législatives anticipées du 30 juin et 7 juillet 2024 bat son plein, les réseaux sociaux sont inondés d’edits : ces courtes vidéos verticales mêlant une musique à une personnalité, adaptées à TikTok et prisées des plus jeunes. Il n’est pas étonnant que les politiques aient investi ces canaux pour militer. À ce jeu les plus efficaces sont Jordan Bardella, la tête d’affiche du Rassemblement national (RN) qui cumule 1,6 million d’abonnés sur l’application chinoise, et les candidats de la France insoumise (FI) comme David Guiraud, maître de l’edit post intervention télévisuelle.

Ce qui est plus surprenant, c’est que les « swifties », nom donné aux fans de Taylor Swift, et les « kpop stan », adeptes de pop coréenne, aient rejoint la danse. Ce 11 juin 2024, soit deux jours après l’annonce de dissolution par Emmanuel Macron, le compte fan principal de l’interprète de Blank Space en France, TSwiftNewsFR, suivi par 25.000 utilisateurs d’X (ex-Twitter), a créé le hashtag « swiftiesforfrontpopulaire », précisant :

« Parce que l’heure est grave et il ne reste que 19 jours pour être du bon côté de l’histoire. »

« KpopStanForFrontPopulaire » n’a pas tardé à suivre. Le député marseillais de la FI Sébastien Délogu, dit « Seb », Philippe Poutou du NPA ou encore Jean-Luc Mélenchon se voient affubler de paillettes, de nœuds papillons et sont associés à des paroles du boysband BTS ou de la chanteuse de country.

Inédit en France

« Honnêtement, ça sort un peu de nulle part, je m’y attendais pas du tout », commente Glupatate, créateur de memes et de montages vidéos de gauche. Il ajoute :

« Je trouve ça hyper positif, c’est le signe qu’il y a un véritable élan populaire pour gagner face à l’extrême droite ! »

L’expression « stan », dérivée de la chanson d’Eminem, désigne ces fans ultra zêlés qui ont fait de leur obsession pour une célébrité leur hobby et se créent une culture commune en ligne. Selon le créateur de contenu Axel Bossard, surnommé « Tahzio », « les communautés de stan ont tendance à être très renfermées sur elles-mêmes. Ce genre de soutien pour une cause politique ont déjà eu lieu à l’étranger, mais c’est une grande première en France. » En 2020, les fans de K-pop américains avaient par exemple soutenu le mouvement Black Lives Matter. Après l’annonce des législatives anticipées, Tahzio a lancé un appel aux créateurs de contenus de gauche pour inonder les réseaux. Il estime que la structure extrêmement coordonnées de ces commu’, qui se mettent notamment d’accord sur Discord, peut être un atout pour la campagne numérique du Front populaire. « Elles entraînent un véritable effet de masse. Si tu critiques un groupe de kpop tu peux te manger 100 messages haineux de 100 personnes différentes d’un coup », illustre le chroniqueur sur la radio Mouv’.

Une force de frappe que les candidats ont bien compris, à l’image du député de la FI David Guiraud. Dans le canal de diffusion Instagram de son collègue Sébastien Delogu, il écrit :

« Tu savais que tu étais soutenu par les swifties et les kpop stan ? C’est les meilleurs communicants sur cette planète. »

L’élu a ajouté : « Let’s kill this love tululu », un célèbre refrain du groupe BlackPink, montrant ainsi qu’il a les ref’.

Dédiaboliser la FI

« Dans les médias traditionnels, sur CNews mais aussi BFMTV parfois, on a l’impression que Mélenchon est antisémite, nazi et mange des enfants au petit déj’ », déroule Glupatate, qui pense que les edits des stans peuvent jouer un rôle de « dédiabolisation » de la FI. Leur investissement dans la campagne numérique pourrait aussi permettre de convaincre de nouveaux publics, passionnés de musique et de pop culture, mais pas forcément politisés.

Les kpop stans sont à l’origine de la mode des edits, ils en maîtrisent donc particulièrement les codes. D’après Axel Bossard, si les cultures d’Internet permettent de rendre la gauche « plus sexy », « la meilleure manière de le faire est quand cela vient des communautés d’Internet elles-mêmes et pas des politiques qui le font de manière factice. »

Des stan politisés

Au Mans (72), Lila vient de fêter sa majorité et révise son bac. Elle a découvert la kpop quand elle avait dix ans, ne loupe rien des actualités de son groupe préféré Stray Kids et fait parfois quelques edits de ses « idols ». La fille d’une préparatrice de commande et d’un tourneur-fraiseur se revendique « issue du milieu ouvrier », et de gauche. « J’ai commencé à voir des edits de Bardella un peu “badass” dans des débats. Des gens commentaient : “Il est trop drôle”. Je trouvais ça pas normal », raconte la lycéenne. Alors, elle lance l’appli de montage After Effects sur son smartphone, agrège des vidéos de manif’, de Sébastien Delogu caressant un chaton et de Stray Kids. Le 12 juin 2024, elle publie son premier edit politique sur TikTok.

« Ça peut influencer d’autres gens à voter ! » « Ça permet de nous engrainer toutes entre nous et faire blocus au RN », abonde la swiftie Soumeya.

D’autant que les idoles elles-mêmes prennent parfois partie. Taylor Swift, qui n’était pas politisée au début de sa carrière il y a 20 ans, ne cache plus ses engagements progressistes en faveur des minorités sexuelles et raciales. En 2020, la superstar a pris position contre Donald Trump lors de la campagne présidentielle, jetant le trouble dans la campagne de l’homme à la casquette rouge. Mais les rêves des fans ne se réalisent pas toujours. Le 3 juin dernier, avec sa copine Yasmine, Soumeya s’est rendue au concert de son artiste préférée à Lyon avec un T-shirt sur lequel était imprimé un drapeau palestinien et : « Speak Now Taylor ». Le slogan est celui d’un mouvement international de swifties qui demandait à la star de soutenir la Palestine, qui a divisé les fans entre elles. « Le problème, c’est que Taylor s’en fout un peu ! », rigole Soumeya.

Illustration de Une de Caroline Varon.