02/05/2024

« Si la Métropole ne trouve pas de solution, on va tous mourir »

Dans le Nord, des gens du voyage victimes de « racisme environnemental » depuis 11 ans

Par Jérémie Rochas ,
Par Samuel Alerte ,
Par Matthieu Bidan

Depuis 2013, les femmes de l’aire d’accueil d’Hellemmes-Ronchin se battent contre l’usine de béton et la concasserie de gravats qui les empoisonnent. Elles appellent la métropole à leur venir en aide, sans qu’il n’y ait de solution jusqu’alors.

Depuis trois ans, André – ou « Pépère » pour les intimes – ne voit plus le soleil. Prostré dans le fond de sa caravane, le voyageur de 63 ans est attaché à son appareil de ventilation qui a remplacé ses poumons usés. Dans les années 90, il a fait halte avec d’autres familles sur le terrain d’Hellemmes-Ronchin (59), à une centaine de mètres des voies ferrées et du bourdonnement constant du périphérique. À cette époque, l’aire d’accueil n’existait pas encore, mais l’usine à béton surplombait déjà les caravanes. En 2013, une concasserie de gravats est venue s’ajouter à ce funeste paysage. Dès lors, les maladies respiratoires se sont propagées dans le lieu de vie comme une traînée de poudre. « C’est à cause des bétonneuses que je suis détruit », s’égosille le vieil homme. Depuis peu, sa femme Thérèse est aussi sous assistance respiratoire. Ses petits-enfants de cinq et 12 ans sont eux asthmatiques. Voilà plusieurs années qu’ils espèrent déménager en famille sur une nouvelle aire. André insiste :

« Si la Métropole européenne de Lille (Mel) ne trouve pas de solution, on va tous mourir. »

En 2021, StreetPress alertait déjà sur la situation sanitaire préoccupante des 280 habitants entassés sur l’aire d’accueil d’Hellemmes-Ronchin. Le collectif de femmes Da So Vas, fondé par trois sœurs et habitantes de l’aire en 2013 – Sue Ellen, Carmen et Bernadette –, y dénonçait le « racisme environnemental » subit par la communauté des gens du voyage. Un constat étayé par une étude de l’Agence européenne en France réalisée en 2019, concluant à « 31% la part des gens du voyage faisant état de problèmes environnementaux liés à la pollution, suie, fumée, poussière, nuisances olfactives ou eaux polluées dans leur localité de résidence ». Force est de constater que les réponses politiques se font attendre.

Paralysie administrative

Trois rapports publiés en 2015, 2021 et 2023 – commandés par des services publics – confirment que les retombées de poussières sur le terrain de l’aire d’accueil des gens du voyage pourraient présenter un risque sanitaire. Mais « aucune étude approfondie n’a été diligentée pour évaluer les conséquences réelles des rejets atmosphériques des usines », estime Sue Ellen.

De son côté, l’agence régionale de santé (ARS) aurait fait intervenir en 2018 une infirmière sur l’aire d’accueil afin de consulter les documents médicaux des habitants. Elle n’aurait pas estimé nécessaire de poursuivre les investigations. « Ils veulent des preuves ?! », explose Sue Ellen :

« L’espérance de vie des gens du voyage est déjà inférieure de 15 ans par rapport au reste de la population. À Hellemmes-Ronchin, sur dix naissances, sept enfants ont de l’asthme. Je l’ai vu de mes yeux ! »

De son côté, l’ARS aurait fait intervenir une infirmière afin de consulter les documents médicaux des habitants. Elle n’aurait pas estimé nécessaire de poursuivre les investigations. « Ils veulent des preuves ?! », explose Sue Ellen. / Crédits : StreetPress

Un autre enjeu, selon le collectif des femmes de l’aire, est le manque de terrains disponibles dans la métropole lilloise. « Pour reloger une aire aussi surpeuplée que Hellemmes-Ronchin, il faudrait au moins quatre terrains d’habitat adapté », explique Sue Ellen. Ce n’est pas faute d’avoir essayé. Depuis mars 2022, la Mel a entamé un processus de concertation avec les habitants des communes d’Hellemmes et de Ronchin pour l’installation de 22 unités de logements adaptés, qui permettraient de reloger une partie des habitants de l’aire d’accueil. Un terrain proposé à Ronchin aux abords d’un quartier résidentiel a récemment provoqué une levée de boucliers d’habitants, qui disent craindre « une cohabitation peu propice à la sérénité ».

Cindy a quitté l’aire d’accueil en 2018, après dix ans sur place : « Ma petite fille avait attrapé de l’asthme juste après sa naissance et faisait des crises sévères. Elle avait aussi de l’eczéma. Moi, je faisais des bronchites à répétition ». / Crédits : StreetPress

Statu quo

Au fil de ces onze années de lutte, la situation n’aurait fait que s’aggraver, raconte Sue Ellen. L’aire d’accueil est aujourd’hui surpeuplée : quelque 280 habitants s’entassent sur les 25 emplacements initiaux. « Cela fait presque 18 ans que l’aire existe. À force, les enfants ont grandi, se sont mariés et ont eu des enfants. » Ils se sont installés en caravane, à côté de celle de leurs parents :

« Normalement, il ne doit pas y avoir plus de deux caravanes par emplacement mais certaines dalles en accueillent parfois cinq. »

L’aire d’accueil est aujourd’hui surpeuplée : « Cela fait presque 18 ans que l’aire existe. À force, les enfants ont grandi, se sont mariés et ont eu des enfants ». / Crédits : StreetPress

Des occupations illégales mais tolérées par la Mel, consciente du manque de place : les autres aires du département sont elles aussi surchargées, et la liste d’attente pour l’obtention d’un logement social ne cesse de s’allonger. Les voyageurs les plus vulnérables, comme André, sont alors condamnés à prendre leur mal en patience :

« Mon médecin m’a dit de m’éloigner de la poussière. Alors, j’ai demandé une maison. Ça fait des années. »

D’autres habitants ont perdu espoir et ont décidé de reprendre la route pour préserver leur santé. Cindy, la secrétaire de l’association Da So Vas a quitté l’aire d’accueil en 2018, après dix ans sur place. « Ma petite fille avait attrapé de l’asthme juste après sa naissance et faisait des crises sévères. Elle avait aussi de l’eczéma. Moi, je faisais des bronchites à répétition », se remémore la voyageuse. Elle vit aujourd’hui sur une autre aire de la métropole et son état de santé s’est stabilisé, assure-t-elle.

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Restent les factures de courant toujours plus élevées. Comme partout, l’inflation et la hausse des charges impactent le quotidien des habitants de l’aire. La plupart sont précaires et ne paient plus leur loyer par manque de moyens ou pour protester contre ce statu quo. « Ce n’est pas parce qu’on est des gens du voyage qu’on n’a rien à dire, nous aussi on est Français », s’énerve André :

« On paye la dalle pour nous enterrer. On ne demande pas des milliards, juste un bout de terrain. »

Contactées, la Préfecture Nord, l’ARS et la Mel n’ont pas répondu à nos sollicitations.