Depuis 2022, le réseau Pythagore multiplie collages et happenings pour sensibiliser le public à la cause animale. Mais derrière la « structure apartisane » se cachent des militants d’extrême droite proches de la galaxie néo-fasciste.
Samedi 23 décembre 2023, Mulhouse (68) – Les passants se pressent pour leurs dernières courses de Noël dans le centre-ville. Une quinzaine d’hommes et de femmes en noir, cagoules et cache-cous remontés jusqu’aux yeux, détonne au milieu de la foule. Avec leur banderole montrant des animaux à l’abattoir, ils veulent alerter les badauds sur les conditions d’élevage dans l’industrie agroalimentaire. Ils ont prévenu quelques jours avant les médias locaux de leur action, sans donner beaucoup de détails. Cela lui vaudra un petit encart dans les pages locales des Dernières Nouvelles d’Alsace (DNA). Ce groupe, le réseau Pythagore, a laissé une impression étrange : « À aucun moment ils ne se sont démasqués, il n’y en avait qu’un seul qui parlait », se souvient Nicolas Lehr, le journaliste des DNA présent sur place. Il renchérit :
« Leur discours était très bien construit, impossible de percer leur carapace, ou d’en savoir plus sur eux. C’était bien la première fois que je voyais un groupe comme ça. »
Derrière le réseau Pythagore, dont le nom est emprunté au mathématicien grec considéré comme un des pères du végétarisme, se cache un groupuscule animaliste dont la proximité avec l’extrême droite la plus radicale est à peine dissimulée.
Des activités dans l’Est de la France
Ses premières apparitions remontent à la fin de l’année 2020. « On dirait un peu qu’ils sortent de nulle part » analyse Mathieu, qui suit de près les rapports entre réseaux d’extrême droite et cause animale. Si le réseau Pythagore se fait discret, ce n’est pas le cas de celui qui semble être son leader et porte-parole, dont le pseudo est Jean Croix Zad – jeu de mots douteux faisant référence aux croisades. Celui-ci multiplie les invectives et les attaques envers d’autres collectifs antispécistes, et s’est créé une certaine notoriété sur Instagram, où il fustige pêle-mêle féministes, militants intersectionnels et membres de la communauté LGBTQI+.
Le réseau Pythagore organise son premier camp d’été en 2022. L’occasion pour une vingtaine de militants venus de toute la France de se rencontrer, se développer, et surtout officialiser publiquement son existence, après un an et demi d’anonymat.
Depuis, le groupe a revendiqué moins d’une dizaine d’actions, principalement des collages ou des happenings pour sensibiliser le grand public à la cause animaliste. En 2023, ils ont par exemple dénoncé « l’incarcération animale » devant le zoo d’Amnéville (57), soutenu des activistes au Mans en juillet et protesté devant un abattoir alsacien en septembre. En coulisses, le porte-parole, Jean, estime à une cinquantaine le nombre de membres répartis dans tout le pays, dont une quinzaine dans le Haut-Rhin. Mais les effectifs réels ne semblent pas dépasser la trentaine de militants, à en croire les images prises lors de leurs divers événements. Si l’organisation affirme avoir des sections dans le Tarn-et-Garonne (82), dans l’Hérault (34) ou en Île-de-France, le gros de ses activités se concentre dans l’Est du pays.
Derrière le réseau Pythagore se cache un groupuscule animaliste dont la proximité avec l’extrême droite la plus radicale est à peine dissimulée. / Crédits : DR
À Chambéry, un groupuscule proche de l’extrême droite radicale
C’est à Chambéry (73) que l’organisation animaliste affiche le plus ouvertement ses liens avec l’extrême droite radicale. En mai 2023, les habitants de la préfecture savoyarde ont découvert sur leurs murs la nouvelle campagne d’affichage du réseau Pythagore contre « l’abattage islamique ». Un sujet régulièrement mobilisé du Rassemblement national (RN) aux néofascistes pour dénoncer, sous couvert de défense des animaux, une culture « islamique » qui serait contraire à la culture européenne. Cette campagne d’affichage a d’ailleurs été épinglée par le Jury de déontologie publicitaire en juillet 2023. Peu de chances que cela les affecte plus que ça.
À côté des affiches du groupe étaient systématiquement collées celles du mouvement néofasciste Edelweiss, implanté à Chambéry depuis une dizaine d’années. Pas étonnant : l’un des membres du réseau Pythagore, Bastien C., est un proche d’Edelweiss, et un ancien membre de l’antenne locale du Bastion social à laquelle Edelweiss a donné naissance avant de reprendre son ancien nom à la dissolution du BS en 2019.
Contacté, le réseau a nié cette proximité avec Edelweiss, qui pour eux n’est pas « sur le même prisme politique », mais indique qu’ils ne sont « ni alliés ou ennemis de terrain », vu qu’ils revendiquent être « apartisans ». Le leader anonyme Jean a pourtant supprimé, après nos questions, l’une de ses photos de profil Facebook où il apparaît aux côtés de Bastien C. dans une manifestation animaliste à Paris.
Avant la constitution du réseau Pythagore, « Jean Croix Zad » de son pseudo, militait dans d'autres organisations animalistes. On peut le voir ici, aux côtés de Bastien C. – au centre – lors d'une manifestation organisée à Paris en 2021. / Crédits : DR
Nationaliste, abolitionniste et anti-trans
Le porte-parole du réseau Pythagore s’est fait connaître dans le milieu, via ses nombreuses critiques envers les antispécistes intersectionnels, les militants LGBT ou les féministes. Au point d’être invité à débattre début 2022 avec un autre militant animaliste sur une radio libre. L’occasion pour lui de développer sa vision de la lutte pour les animaux ou de faire référence à une penseuse suprémaciste comme Savitri Devi, qu’il présente comme une « philosophe nationaliste ». Celle-ci est en réalité l’une des pionnières d’un courant très réactionnaire, l’écologie profonde, et surtout l’une des fondatrices de l’Union mondiale des nationaux-socialistes, aux côtés, entre autres, de George Lincoln Rockwell, l’ancien chef de l’American Nazi Party. Un profil loin d’être anodin qu’il a peut-être découvert sur le réseau social X-Twitter, lui qui suit des comptes partageant de l’esthétisme nazi. Mais le réseau Pythagore estime que le passage serait « pertinent dans son contexte » et que Savitri Devi montre qu’au sein du « nationalisme », certains parlent « d’écologie concrète, de biotopes, de morale et d’éthique animale ». Provocateurs, ils rajoutent :
« Pas uniquement du pipi sous la douche ou du folklore confortable d’achat local. »
Dans la galaxie du réseau Pythagore, on retrouve aussi une frange réactionnaire des milieux féministes, liée à la galaxie transphobe des « TERF » (féministes radicales anti-trans en français), et à des réseaux abolitionnistes militant pour la criminalisation de la prostitution, comme Boucherie Abolition, qui milite pour un « femellisme » et n’hésite pas à associer élevage et proxénétisme.
Avant de lancer le mouvement Pythagore, Jean et nombre de ses camarades ont milité dans une organisation animaliste née en Australie, Anonymous for the Voiceless. « Jean était le chef de la section de Mulhouse, et il était déjà imbuvable avec le reste des militants francophones », se souvient un ancien de celle de Genève. Il raconte :
« Il était déjà dans son logiciel de pensée entre nationalisme, fleur de lys et hiérarchisation des luttes, rejetant complètement l’antiracisme et ne percevant le militantisme que par un prisme ultra-viriliste. »
Récupération de la cause animale
Mais pourquoi des militants néonazis s’intéressent-ils autant à la cause animale ? Pour Fabien Carrié, co-auteur de Sociologie de la cause animale (La Découverte), ce n’est pas un phénomène nouveau, mais l’approche du réseau Pythagore dénote. « En général, l’extrême droite s’intéresse à la protection animale, la défense des animaux de compagnie par exemple », explique le sociologue, comme c’est le cas pour Brigitte Bardot – qui a épousé un cadre du RN – ou Marine Le Pen – qui adore mettre en avant son amour pour ses chats. Plus radical mais sur la même ligne de défense animale, Esteban Morillo, le meurtrier du militant antifasciste Clément Méric, avait fondé au sein des Jeunesses Nationalistes Révolutionnaires, son groupuscule néonazi, une « Section de protection animale ». Le réseau Pythagore lui se définit clairement comme un mouvement antispéciste, c’est-à-dire opposé à toute forme d’exploitation animale. Il se concentre toutefois beaucoup sur des sujets qui sont des cibles « classiques » de l’extrême droite, comme la question de l’abattage rituel. Chassez le naturel, il revient au galop.
Depuis 2022, le réseau Pythagore multiplie les happenings pour sensibiliser le public à la cause animale. Mais derrière la « structure apartisane » se cachent des militants d’extrême droite proche de la galaxie néo-fasciste. / Crédits : DR
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