Isabelle aurait subi les propos graveleux répétés mais aussi une main aux fesses et des baisers forcés d’un collègue. La fonctionnaire s’est tournée vers son syndicat pour chercher de l’aide. Mais la CGT aurait préféré couvrir l’agresseur présumé.
Elle a longtemps hésité avant de parler. Ce 13 juillet 2023, elle accepte enfin de nous rencontrer devant la gare de Metz (57), écrasée par le soleil. Isabelle est en arrêt depuis plus de quatre ans. La quadragénaire a la silhouette fine et l’allure fragile. Elle n’arrive plus à sortir seule. C’est accompagnée d’un ami qu’elle vient au rendez-vous avec StreetPress.
Attablée à un café, elle retrace le fil de sa vie. Depuis 2012, elle travaille à la bibliothèque de la ville de Metz. Un bon job, dans lequel elle aurait pu s’épanouir si elle n’avait pas subi, selon elle, pendant plusieurs années le harcèlement sexuel d’Olivier J. « Il y a eu cette main aux fesses qu’il m’a mise en présence de mes collègues de travail ou encore ces propos toujours en présence de mes collègues », raconte Isabelle, avant d’énumérer les commentaires graveleux qu’elle aurait subi :
« – Est-ce que tu fais des pipes à 30 centimes ?
- Tu es une bonne suceuse ? »
Ces propos comme la main aux fesses, sont confirmés par deux de ses collègues (1). Le quinquagénaire ne se contente pas de ces gestes et remarques en public. Il y a les avances régulières sur leur lieu de travail mais aussi par message (2) :
« – On fait l’amour ?
- Il n’y a que toi qui me fasse un peu de bien dans la journée, une pause avec toi c’est 100 médocs que je prendrai pas…
- Tu me manques. J’ai froid… »
Et le 29 mai 2018, ce collègue informaticien franchit une étape supplémentaire. Il l’aurait, affirme-t-elle, rejoint dans la réserve où elle travaillait et l’aurait, de force, embrassée sur la bouche. Avec difficulté, elle parvient à s’extraire de la situation. Mais deux jours plus tard, Olivier J. aurait recommencé, dans l’ascenseur cette fois.
Joint par StreetPress, ce dernier confesse du bout des lèvres certains éléments, comme les messages :
« Par SMS c’est sûr que non car j’ai des difficultés à en envoyer avec mon portable mais sur Messenger, ce n’est pas exclu. »
Mais il nie l’essentiel. Les baisers ? « J’en étais incapable car j’avais un problème à la mâchoire et je n’arrivais déjà pas à embrasser ma femme à l’époque. » Les propos graveleux ? Une simple boutade, sortie de son contexte. La main aux fesses ? Ça n’est jamais arrivé, jure-t-il avant de faire de lui-même le lien avec une autre scène. Il aurait, à l’occasion d’une pause cigarette « mimé une sodomie en [se] mettant derrière Isabelle car quelqu’un n’avait pas compris le film Cinquante Nuances de Grey ». Une bonne blague qui aurait fait rire tout le monde, « Isabelle compris ».
La CGT aurait soutenu l’agresseur
Le baiser forcé, c’est l’agression de trop pour Isabelle. « J’ai demandé à la DRH de changer de service. » D’abord sans succès. « Je me suis retrouvé plusieurs mois en cohabitation avec mon agresseur avant d’être en arrêt. » Isabelle enchaîne les courriers recommandés à la mairie. Elle finit par déposer plainte contre l’homme qu’elle accuse d’agressions le 22 octobre 2019.
Une agression sexuelle est une atteinte sexuelle –, soit « un contact physique de nature sexuelle », renseigne le site officiel de l’administration française – commise sur une personne sans son consentement. Une main au fesse comme un baiser non consentis sont considérés comme des agressions sexuelles. C’est un délit puni par la loi.
Pour en savoir plus, des ressources et des contacts sont disponibles sur arretonslesviolences.gouv.fr/.
Pendant ces longs mois de combats, Isabelle se sent isolée. Isaac (3) sera sa bouée de sauvetage. La bibliothécaire est syndiquée à la CGT et à cette époque Isaac est détaché permanent à la coordination syndicale départementale de la CGT Moselle. Isaac va tenter d’aider Isabelle mais très vite il va se heurter à plusieurs blocages au sein de ce bureau départemental. Car Olivier J., l’homme qu’elle accuse d’agression, a été candidat aux élections professionnelles sur une liste CGT.
La secrétaire générale de la CGT de la ville de Metz, Valerie Perioli (4) aurait selon Isaac, voulu couvrir Olivier J. Elle va, dit-il, l’appeler pour lui demander de ne pas s’impliquer dans ce dossier. Au téléphone, elle aurait descendu la victime qu’elle jugerait folle, considérant en substance qu’un baiser ne justifiait pas un tel pataquès, raconte à StreetPress l’ancien policier municipal. Pour s’en plaindre, ce dernier va dès le 2 décembre 2019 envoyer un mail à l’ensemble des membres de la Coordination syndicale départementale (CSD) – une trentaine de membres – que StreetPress a pu consulter dans lequel il raconte toute la situation. Extrait :
« Valérie m’a formellement interdit de m’occuper de ce dossier parce que selon elle, la plaignante “c’est une tarée. Elle raconte n’importe quoi. Personne n’écoute cette femme. Elle ne ressemble à rien, personne ne la toucherait. Elle pleure parce qu’un garçon l’a embrassée. Et alors ? Oh là là… au secours !” »
Puis plus loin dans ce même courrier, il indique :
« Valérie envisageait de prévenir l’agresseur présumé de la plainte déposée contre lui afin qu’il aille, à son tour, déposer une plainte pour diffamation. »
La réponse à ce courrier, ne sera pas celle escomptée par Isaac. Le jour même, Hugues Miller, l’animateur de la CSD décide d’annuler la réunion du collectif d’animation. Et Marion Robert (5), membre de ce bureau, fait une réponse à Isaac dans laquelle elle fait part de son « étonnement quant au mail que tu nous as adressé à tous cette nuit ». Refusant de revenir « sur l’affaire – histoire », elle lui reproche de se positionner « tantôt en psychologue, tantôt en juge » :
« Cette intervention n’est sécurisante pour personne. Ni pour nous, le syndicat (…), ni pour l’agent que tu souhaites défendre, ni pour le collègue accusé sans pouvoir répondre. »
Pour Isaac, le message est clair : la direction locale de la CGT veut enterrer l’affaire. Pire, Valérie Perioli aurait tenté de le pousser vers la sortie. Elle multiplie, dit-il, les petites phrases assassines à son intention :
« Tu es peut-être arrivé à bout de ton mandat. Comment vois-tu ton avenir professionnel ? Moi, je serais toi, j’aurais remis ma démission sur la table. »
La tension monte au sein de la coordination syndicale départementale. Et le 12 mars 2020, Isaac va avoir une altercation verbale avec Milan S. (6), un autre syndicaliste. Désespéré par une CGT dans laquelle il ne se reconnaît plus, Isaac envoie le 10 juin 2020 un mail salé à tous les membres de la CSD. Il met en copie l’union départementale de la CGT Moselle. Soit une trentaine d’adresses mails.
Isaac vide son sac, en donnant d’abord sa version sur le clash du 12 mars 2020. Il revient aussi sur l’attitude qu’il juge complaisante de la CGT dans le dossier d’Isabelle. Mais surtout, Isaac va également mettre sur la table un autre dossier qui, selon lui, illustre le double discours de la CGT sur les violences sexuelles. Lors des élections professionnelles, la CGT a désigné comme représentant « un ancien taulard (non syndiqué à la CGT) mis en cause dans de nombreuses affaires de viols », écrit Isaac dans son mail. L’homme visé est Adnan H. (6). Ce policier municipal a été mis en cause dans au moins deux affaires de viol. Une première fois au début des années 2000 mais a bénéficié d’un non-lieu en 2010. Une décision confirmée par la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Metz. Il va surtout, selon nos informations, devoir affronter la cour d’assises de la Moselle pour viol. Des faits pour lesquels il est bien sûr présumé innocent. Il a également été condamné en 2008 pour des faits de violences volontaires.
Riposte de la CGT
Milan S. et Adnan H. vont contre-attaquer devant la justice. Isaac sera dans un premier temps condamné pour diffamation non-publique à une contravention de 15 euros et 200 euros de dommages et intérêts à verser à chacun des requérants. Une décision qui sera annulée en appel pour cause de prescription.
De quoi soulager Isaac qui reconnaît avoir « craqué dans son mail » sans changer d’avis sur le fond :
« La CGT aurait dû prendre des mesures fortes pour régler le problème de la non-gestion de l’affaire d’Isabelle. Elle n’aura rien fait du début à la fin malgré mes alertes tout comme la Fédération CGT des services publics que j’ai alerté. »
La CGT aurait lancé une procédure interne
Du côté de la CGT, on assure avoir fait le travail. Le secrétaire de l’Union départementale de la Moselle Dimitri Norsa indique avoir « lancé une procédure interne à la CGT en fin 2021 suite à un courrier de relance ». C’est près de deux ans après les premières alertes d’Isaac. Un référent violences sexistes et sexuelles est désigné pour traiter le dossier d’Isabelle. Ce dernier indique à StreetPress « avoir orienté Isabelle vers la cellule à Paris en lui indiquant la marche à suivre ». Information que confirme Isabelle. « Mais la cellule en question m’avait demandé de lui transmettre tous les éléments que j’avais dans mon dossier. Mon avocate ainsi qu’Isaac ont trouvé que c’était une mauvaise idée car il y avait un risque que mon agresseur présumé en obtienne une copie. »
Si l’organisation syndicale n’a pas défendu Isabelle, la ville de Metz, elle, s’est montrée étonnamment plus conciliante. Le 19 juillet 2021 elle va reconnaître une des deux agressions en accident de service. Cette dernière n’a toujours pas repris le travail. Sans nouvelle de sa plainte, Isabelle a fini par déposer une nouvelle plainte, avec constitution de partie civile cette fois. Une juge d’instruction a donc été désignée. Elle aurait ordonné une expertise psychologique d’Isabelle et demandé que soient entendus plusieurs témoins mais pas encore Olivier J. L’enquête étant toujours en cours, ce dernier est bien sûr présumé innocent. Il n’est plus en poste à la médiathèque de la Ville de Metz. Il a été affecté au pôle Éducation. Il a pris son nouveau poste le 8 janvier dernier après quasiment quatre ans en autorisation spéciale d’absence.
Isaac, quant à lui, n’est plus à la Coordination syndicale départementale. Il continue de payer ses cotisations à la CGT pour soutenir son syndicat de la CGT ville de Saint-Avold (57) mais il garde un souvenir amer de cette période-là.
Contacté, la CGT CSD n’a pas répondu à nos questions.
(1) Des témoignages écrits, inclus dans la plainte, que StreetPress a pu consulter. L’un des témoins confirme les propos, l’autre la main aux fesses.
(2) Des messages que StreetPress a pu consulter.
(3) Isaac (c’est un nom d’emprunt) n’est pas inconnu des lecteurs de StreetPress. Il est le policier municipal qui témoigne dans notre enquête sur une affaire de détournement de fonds publics à la mairie de Saint-Avold.
(4) Sollicitée à de nombreuses reprises, Valérie Perioli n’a pas souhaité nous répondre considérant que « le syndicat CGT Ville de Metz et Eurométropole n’est pas concerné par votre demande, ce n’est pas de [son] ressort. Seule la justice est habilitée à y répondre ».
(5) Contactée, Marion Robert ne nous avait pas répondu à ce jour.
(6) Sollicités par mail et par SMS, Milan S. et Adnan H. n’ont pas retourné nos messages.
Illustration de Une par Caroline Varon.