En 2021, deux policiers ont violenté deux jeunes hommes d’une vingtaine d’années. Leur version a été contredite par la vidéosurveillance et l’IGPN. Le 16 novembre 2023, la procureure a requis cinq et dix mois de prison avec sursis contre eux.
Tribunal de Paris (17) – « Qu’est-ce qui ne va pas ? Tout ! », s’exclame la vice-procureure lors de ses réquisitions, ce 16 novembre 2023. Dans la salle presque vide de la 10e chambre correctionnelle aux murs blancs immaculés, Nicolas S., un brigadier de 48 ans, et Julien D., un gardien de la paix de 35 ans, se tiennent à la barre. Ils comparaissent pour violences par personnes dépositaires de l’autorité publique pour des faits qui ont eu lieu la nuit du 15 septembre 2021 contre deux jeunes hommes.
La présidente de l’audience veut comprendre pourquoi cette nuit-là, un vingtenaire aux cheveux blonds teintés de sang est transporté en urgence à l’hôpital après avoir été retrouvé allongé au sol, « presque inconscient, près d’un caniveau de la rue Favart », dans le 2ème arrondissement de Paris. L’avocat de Julien D. lui coupe la parole, et minimise du tac au tac :
« Oui ça fait mal d’avoir le cuir chevelu ouvert, mais il n’a eu que trois agrafes, alors bon… »
L’enquête de l’IGPN est pourtant claire : son client a agressé le jeune par plusieurs coups de matraques télescopiques ce soir-là devant le hall de l’hôtel Saint-Marc, lui ouvrant le côté droit du crâne d’une plaie longue de trois centimètres.
Des vidéosurveillances contredisent la version des agents
Si la violence de cette soirée-là ne fait aucun doute pour le tribunal, l’inconsistance des deux collègues agace les magistrats. Dans leur première déposition, le matin suivant l’agression, les deux agents nient en bloc. Nicolas D., un ancien militaire d’Afghanistan, dit ne jamais avoir porté, et encore moins utilisé, sa matraque ce soir-là. Et le brigadier Nicolas S. soutient ne jamais avoir poursuivi de jeunes dans les rues du quartier jusqu’à un hôtel. Pourtant, les vidéos de surveillance projetées ce jeudi 16 novembre 2023 sur la grande toile blanche de la salle d’audience sont accablantes, et corroborent parfaitement la version des victimes.
Ce 15 septembre 2021, aux alentours de trois heures du matin, cinq policiers en civil de la Brigade anti-criminalité (Bac) de nuit font une pause durant leur service à la brasserie Les Causeurs, à deux pas de la station Grands Boulevards. Une « mauvaise blague » d’un jeune homme alcoolisé déclenche une bagarre sur la terrasse. Ils interviennent pour calmer le jeu. Nicolas S., insiste sur leur style vestimentaire :
« Ce n’est pas la population à qui on a affaire d’habitude, c’étaient des jeunes bobos habillés normalement. »
La situation empire et les coups fusent entre la dizaine de jeunes et les policiers. Certains d’entre eux se précipitent vers le coffre de leur voiture banalisée pour récupérer des bombes lacrymogènes et des matraques télescopiques. Très vite, Nicolas S. et Julien D. se séparent du groupe et poursuivent pendant une soixantaine de mètres deux jeunes jusqu’au hall de l’hôtel Saint-Marc, où ils se sont réfugiés. « Pour quelles raisons ? », demande la juge. « Pour les contrôler », répond le brigadier Nicolas S., nerveux. « Je pensais qu’un d’entre eux était toujours armé du cutter de 11 centimètres qu’il avait sorti durant la rixe », ajoute avec confiance l’agent Julien D. La magistrate rétorque immédiatement :
« Pourtant à aucun moment vous n’avez décliné votre statut de policier, ni mis votre brassard orange fluo ».
13 secondes hors caméra
Dans un silence pesant, les minutes défilent sur les vidéos de surveillance projetées au mur. À 3h21, celle du hall de l’hôtel montre les deux fugitifs s’approcher calmement des deux policiers qui leur bloquent la sortie. L’un d’eux reçoit directement un coup de pied, raté, de Nicolas S. Le brigadier le laisse partir en lui criant : « Casse-toi ou je te fume », selon la déposition de la victime. L’autre jeune aux cheveux blonds se prend un coup-de-poing du gardien de la paix Julien D. L’agent disparaît avec lui du champ de la caméra. C’est là qu’il lui aurait asséné des coups de matraque à la tête. 13 secondes seulement s’écoulent avant que les deux collègues se rejoignent et quittent les lieux pour rejoindre le reste de leur brigade.
À l’arrivée des pompiers, seuls quelques jeunes sont groupés autour de leur ami que les policiers avaient laissé là, allongé en position fœtale au milieu de la rue déserte avec le crâne ouvert. Sur une main courante déposée le soir même à leur commissariat, les policiers ne mentionnent que la rixe du bar. Ensuite, il ne se serait « rien passé » selon eux et ils n’auraient même « jamais réussi à rattraper les jeunes ».
Pour les policiers, c’est la faute de l’IGPN
« Pourquoi ne pas avoir dit la vérité ? », cherche à comprendre le tribunal. « On n’avait pas pu digérer les choses, et coucher sur papier notre ressenti avec les idées claires », se défend Nicolas S. qui affirme, la voix tremblante, penser ne pas pouvoir tenir encore longtemps dans la police malgré 20 ans de service. « J’étais diminué, ce coup de pied, c’est la seule façon que j’ai trouvé pour arrêter sa fuite et le contrôler », réitère-t-il sans cesse. Il invoque des difficultés à courir après avoir reçu des coups dans les côtes lors de la bagarre alors que les vidéos de surveillance à l’écran le montrent trottinant.
À la barre, Nicolas S. est en boucle. Il répète que l’IGPN veut leur peau, veut leur faire dire « qu’ils voulaient massacrer les jeunes ». « De manière candide, je m’attendais à ce qu’ils m’écoutent attentivement », avoue-t-il au tribunal, mais ça n’a pas été le cas. La procureure s’agace :
« L’IGPN n’a pourtant pas souvent une vision contraire à l’intérêt des policiers. »
L’ancien militaire Julien D. quant à lui défend sa légitime défense, le torse bombé et les bras croisés derrière le dos. Les coups de matraque portés au jeune hospitalisé n’auraient été que pour se protéger d’une « déferlante de coups » de ce dernier durant les 13 secondes que la vidéosurveillance n’a pas pu capter. Quant au fait de n’avoir pas appelé les secours alors qu’il avait le crâne en sang, il indique qu’il devait urgemment venir en aide à ses collègues, qui disent pourtant ne lui avoir jamais demandé de renforts. « On est une petite famille, la sécurité des collègues prime », lance-t-il avec orgueil.
« Regrettez-vous ? », veut conclure la juge après cinq heures d’audience. Les secondes passent, les agents échangent quelques regards, puis répondent par la négative. À la barre, les prévenus vêtus tous deux d’un pull et d’une chemise aux couleurs bleues de la police acquiescent fièrement qu’ils se comporteraient de la même manière si un tel évènement se repassait. « À cause de l’agressivité des agresseurs », disent-ils. Mais cet après-midi au tribunal de Paris, ni le contexte ni les nombreuses décorations des deux policiers ne convainquent la procureure qui requiert cinq mois pour Nicolas S. et dix mois pour Julien D. d’emprisonnement avec sursis. La décision sera rendue le 14 décembre.
Image de Une : photo d’illustration d’un véhicule de la police nationale prise le 17 juillet 2019 par Eryand via Wikimedia Commons. Certains droits réservés.
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