À peine un étudiant sur 17 obtient une place en Cité U. Et ceux qui décrochent une place doivent composer avec les fuites d’eau, les cafards et autres nuisibles. Enquête sur un service public en manque chronique de moyens.
Émy (1) débute sa deuxième année d’études de commerce à Paris. Cette jeune angevine s’est vu attribuer un studio dans une résidence universitaire du Nord-Est parisien. Elle a payé la réservation de ce dernier, son dépôt de garantie, son assurance ainsi que son premier loyer, un total de presque 1.000 euros. Mais le jour de sa rentrée, lorsqu’elle arrive au Centre régional des œuvres universitaires et scolaires (Crous), l’organisme public chargé de gérer les résidences étudiantes et les restaurants universitaires français, on lui dit qu’il n’y a plus de logement disponible et qu’elle doit attendre qu’une place se libère. Au téléphone, elle s’exclame dégoûtée :
« Je suis à la rue. Ce n’est pas normal que je paie des frais alors que je n’ai pas de logement. »
La jeune femme n’a pas eu d’autre choix que de loger chez une amie en attendant qu’un studio soit disponible à nouveau. Sa situation est commune à bien d’autres étudiants forcés de batailler pour trouver une place à moindre coût dans les hébergements universitaires. Ces soixante dernières années, le nombre de logements Crous a été multiplié par 2,3 alors que celui d’étudiants l’a été de 10,5 : on comptait environ 2,9 millions d’étudiants. pour environ 173.000 logements Crous disponibles à la rentrée 2022-2023. En clair, il y a un appart en cité U pour 17 étudiants en 2023, contre un pour trois et demis il y a soixante ans.
À ce manque de place s’ajoutent aussi les logements insalubres, l’augmentation des loyers, le développement du privé ou encore le manque de personnel. Syndicats et étudiants alertent depuis des années sur l’absence de volonté politique et de financements pour compenser ces besoins. Eléonore Schmitt, porte-parole du syndicat l’Union Étudiante, résume :
« Il y a beaucoup d’effets d’annonces, mais les moyens nécessaires par rapport à la gravité de la situation ne suivent pas… »
Ma cité U va craquer
À l’été 2022, Nour (1), en licence de Sciences politiques, formule une demande de logement pour intégrer un studio à Mulhouse (68). L’étudiante en rupture familiale est échelon 7 – les échelons vont de 0 bis à 7, plus il est haut, plus les étudiants sont prioritaires et touchent une bourse élevée. Mais elle est refusée faute de disponibilité. « J’étais super choquée, je ne m’y attendais pas ». L’étudiante a dû se rabattre sur un logement privé « merdique » de 100 euros plus cher, avec une mauvaise isolation, des cadavres de souris et sans volets.
La saturation des résidences diverge selon les régions et la tension immobilière des villes. Si à Strasbourg (67), on compte un appart’ pour 15 élèves, à Angers (49), c’est carrément un logement pour 18 étudiants. Les assistants sociaux de l’université locale alertent d’ailleurs sur le nombre de jeunes à la rue.
Dès le début de son premier quinquennat, Emmanuel Macron avait promis la construction de 60.000 logements. Six ans plus tard, on constate que seule la moitié des hébergements a vu le jour (environ 36.000). L’an dernier, selon le rapport d’activité des Crous, seulement 2.990 places ont été construites. (2) Certains territoires avec des sites universitaires plus petits ne sont pas systématiquement accompagnés d’hébergements universitaires. C’est le cas de Carcassonne (11), Narbonne (11) ou encore Dunkerque (59) où plusieurs milliers d’étudiants doivent trouver d’autres solutions.
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Insalubrité et cafards
« Tu sens l’odeur musquée ? C’est les cafards. » Hélène (1) vit au Crous de Stains (93) depuis plus d’un an. L’étudiante en master raconte d’un air désespéré avoir investi plus d’une centaine d’euros dans des produits pour maintenir son studio sans nuisibles. « Et encore, moi j’ai les sous, je peux me le permettre… » À l’étage au-dessus, Fatima (1) qui vit depuis plus de quatre ans dans son studio a vu la situation se dégrader :
« La présence de cafards ça a commencé il y a deux ans. Je traite tous les jours, j’emballe toute ma nourriture et j’en vois quand même une trentaine quotidiennement… »
L’étudiante en dernière année de Master reste dans la résidence pour le loyer peu élevé comparé à Paris, et pour sa localisation :
« Mais j’espère vraiment que l’an prochain j’aurais terminé, et que je ne serais pas là… »
À la résidence étudiante de Stains, une fuite d'eau dans l'entrée n'est pas réparée depuis plusieurs mois. / Crédits : Lisa Noyal
Fatima et Hélène racontent les coupures d’eau chaude régulières, les deux mois d’hiver sans chauffage, les rats qu’elles croisent vers les poubelles, les mulots qui se baladent sur les murs ou dans les couloirs, l’absence de Wifi durant tout le mois d’août dernier, ou encore la fuite de l’entrée qui n’est pas réparée depuis plusieurs mois. Luca, en Master à Paris 8, a quitté cette même résidence il y a un peu plus d’un mois. Le jeune homme a également vécu plusieurs semaines dans un logement infesté par des punaises de lit. Malgré les traitements réguliers du Crous, elles sont revenues à trois reprises. Le Crous l’a finalement changé de chambre :
« C’était vraiment traumatisant. Maintenant, je vérifie toujours les matelas où je dors. J’en fais encore des cauchemars la nuit, ça m’a marqué psychologiquement. »
Le jeune homme raconte également avoir retrouvé une souris chez lui en rentrant des vacances de Noël en train de manger son calendrier de l’Avent. Comme Luca, Lina (1) a récemment quitté la résidence de Stains. Elle a préféré retourner vivre chez ses parents après être restée un an dans son studio de 18m2. « La résidence était infectée, ce n’est pas qu’une question d’hygiène, c’est un problème général. » L’étudiante déclare également ne pas s’y être sentie en sécurité du fait de nombreux passages de personnes extérieures à la résidence et du manque de surveillance. « Ça ne valait pas le coup de payer pour tout ça, on est livré à nous-même. » Au sein du syndicat Alternative Étudiante Strasbourg, Rayann déplore :
« Les étudiants se disent : “Je ne paie pas si cher”, donc ils se contentent de ce qu’ils ont, surtout les étudiants extra-communautaires. »
Pour la députée Nupes-PS du 93 Fatiha Keloua-Hachi, « les logements étudiants sont faits avec du matériel bas de gamme, donc tout vieillit vite. On construit vite et pas cher. » Cléa (1), qui a intégré le Crous Delaitre du XXe arrondissement de Paris à son ouverture, confirme. Tout était neuf et propre à son arrivée :
« Ça s’est dégradé très rapidement. La résidence est dans un état catastrophique, on dirait qu’elle date d’il y a 50 ans ! »
Au Crous de Stains, Fatima et Hélène parlent des rats qu’elles croisent vers les poubelles, et des mulots qui se baladent sur les murs ou dans les couloirs. / Crédits : Lisa Noyal
Comme pour Stains, elle décrit les nuisibles, la fuite d’eau chez elle qui lui a valu des problèmes respiratoires du fait de soucis de santé, l’eau chaude et le chauffage qui sautent régulièrement… La jeune femme s’est également retrouvée sans frigo. Ce dernier a cramé à cause des plaques de cuisson installées au-dessus. Encore des galères en plus, raconte-t-elle :
« À cette période, j’avais un traitement assez lourd, je devais conserver mes médicaments au frais. J’ai dû batailler pour en avoir un nouveau, on m’a demandé de payer le prochain loyer pour qu’on me le change. »
Réhabilitation du parc immobilier
D’autres résidences comme celle de Luminy à Marseille (13) ou celle de Robertsau à Strasbourg connaissent également des problèmes d’isolation et de nuisibles, rapportent plusieurs syndicats étudiants. Dans la cité U Robespierre à Lille (59), « c’est entre 10 et 50 cafards par jour que l’on peut en voir quand ce n’est pas trop infesté, des protections de matelas moisies et des toilettes dans un état déplorable », renseigne une étudiante qui y a vécu quatre ans.
« Le problème, c’est que les Crous n’ont pas le budget nécessaire pour tout rénover. Il y a des plans de réhabilitation qui s’étalent sur six ou sept ans, alors forcément quand une partie est rénovée, on doit recommencer. C’est un cercle vicieux », regrette Adrien Liénard, trésorier du syndicat de l’Union nationale des étudiants de France (Unef).
Un rapport de la Cour des comptes d’octobre 2022 confirme : « Plus du tiers [du parc immobilier] est dans un état pas ou peu satisfaisant et dont 10 % de bâtiments recevant du public n’obtiennent pas l’agrément des commissions de sécurité. La performance énergétique d’ensemble est médiocre […]. » Selon le Cnous – le centre national qui régit tous les Crous régionaux –, il resterait néanmoins moins de 5 % du parc immobilier à rénover. Là encore, l’état des logements varie selon les territoires. Si 80 % du patrimoine de Paris XII est déclaré vétuste, on évalue à seulement 4 % celui de Bourgogne-Franche-Comté du fait d’aides financières importantes.
Les résidences les plus vétustes finissent par fermer, souvent après une forte médiatisation ou une lutte des syndicats et résidents. Ce fut le cas cet été pour la résidence d’Albert Camus à Villeneuve d’Ascq (59) ou celle de la Pacaterie à Orsay (91). « Après la médiatisation, ils ont fait l’état des lieux des chambres et ils ont vu qu’on ne pouvait pas vivre dedans, car ça pouvait nuire à notre santé », relate Julia (1) qui avait une chambre à la Pacaterie depuis la rentrée 2022. Elle rapporte :
« J’allais dans mon logement juste pour dormir, j’essayais d’y passer le moins de temps possible. Il y avait des cafards et de la moisissure un peu partout dans la résidence. »
L’étudiante d’une vingtaine d’années a été relogée en mars dans une autre cité universitaire.
« Les logements étudiants sont faits avec du matériel bas de gamme, donc tout vieillit vite. On construit vite et pas cher », dénonce la députée Nupes-PS du 93 Fatiha Keloua-Hachi. / Crédits : Lisa Noyal
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Manque de personnel et de moyens
Pour Virginie, élue CGT au Crous de Strasbourg, les Crous connaissent aussi un réel manque de personnel pour maintenir les logements en état. « Ils fonctionnent en unités de gestion, des fois il y a deux ou trois personnes pour gérer une dizaine de résidences », détaille Adrien Liénard de l’Unef.
Pour combler ce manque, des étudiants sont embauchés en tant que veilleur de nuit ou agent de service. Oriane (1) a travaillé deux étés à l’entretien d’une résidence. « On était clairement en sous-effectif, il y avait six personnes pour 1.000 logements », se rappelle l’étudiante. Elle poursuit :
« On devait ramener notre propre PQ pour aller aux toilettes et les employés de l’administration amenaient leur machine à café. »
Depuis 2015, le Crous propose également quelques centaines de contrats en service civique où les jeunes sont chargés de l’animation et du lien entre les étudiants.
Les Crous proposent des contrats aux étudiants pour travailler comme veilleur de nuit ou agent de service, comme ici sur une annonce publiée par le Crous de Reims sur son site Internet. / Crédits : DR
« Ils font aussi beaucoup appel à des contractuels, les fonctionnaires sont remplacés par des précaires », poursuit Virginie de la CGT. En 2022, ces derniers représentaient 22 % de la masse salariale. « Ils externalisent et appellent des sociétés extérieures pour le nettoyage et la veille. Pour que le public devienne privé… », regrette la syndiquée.
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Un sous-financement de l’État
« Il y a un sous-financement chronique depuis des années », s’indigne Adrien Liénard de l’Unef. En octobre 2022, la Cour des comptes publiait un nouveau rapport sur l’immobilier universitaire. Elle souligne le fait que des politiques sont menées à chaque crise, mais que cet « effet de rattrapage ne suffit toutefois pas à couvrir le besoin global ». Pour la Cour des comptes, cette irrégularité des moyens consacrés « est un obstacle à la mise en œuvre de stratégies immobilières s’inscrivant dans la durée. »
Au national, le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche estime à sept milliards d’euros (3) le coût de réhabilitation du patrimoine universitaire. De son côté, l’association France Universités parle plutôt de 15 milliards d’euros (3). Concernant la rénovation des logements, si la direction de l’immobilier de l’État préconise un montant de 30 euros par m², le rapport relève que 75 % des établissements sont en dessous de ce seuil. Parmi ces résidences, 26 % consacrent même un montant égal ou inférieur à cinq euros. L’enveloppe budgétaire pour ces dépenses serait de 140 millions d’euros, « montant qui n’a pas varié depuis 2009 », relève le rapport de la Cour des comptes. Une dotation qui équivaut en moyenne… à neuf euros par m2.
Un sous-investissement qui se traduit également dans les contrats de plan avec les régions, où l’État a diminué entre 2015 et 2021 sa dotation de 1.097 million d’euros par rapport à la période précédente. Eléonore Schmitt de l’Union Étudiante lâche :
« Le problème, c’est que le Crous n’est pas assez rentable, mais il n’est pas fait pour être rentable, c’est un service public… »
Des loyers aux prix de plus en plus élevés
Après rénovation, les logements sont généralement plus spacieux et plus propres. Et ce confort a un coût. « Dans le bâtiment J de la résidence Hélène Boucher à Villeneuve d’Ascq (59), le loyer coûtait 160 euros et maintenant après rénovation, il est à 260 euros », renseigne Boubacar Dembele, fondateur du collectif Agir Ensemble. Pareil pour les logements d’Orsay (91) qui prennent une centaine d’euros après rénovation. « Pour certains, 200 euros c’est déjà trop cher, les étudiants ont juste besoin d’un logement décent pour commencer », rappelle Apolline Dumar de la Fédération des associations générales étudiantes (la Fage).
Aujourd’hui, un studio universitaire de 15 à 18 m² coûte entre 320 et 360 euros par mois contre 180 à 200 euros par mois pour une chambre, renseigne le Cnous. Le 2 mai dernier, la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Sylvie Retailleau, annonçait le gel des droits d’inscription et des loyers Crous pour la rentrée 2024. Un mois plus tard, le ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche demande à l’ensemble des conseils d’administration du Crous de voter une augmentation des charges locatives de 3,5 %. Cette augmentation, due à la hausse du coût de l’énergie (gaz, électricité, Internet) représente entre un à cinq euros supplémentaires par mois.
Eva (1) a découvert cette augmentation en arrivant à l’accueil de son Crous bordelais. « La dame de l’accueil m’a dit que je n’avais pas encore payé la totalité de mon loyer et que j’étais obligée de faire un virement de cinq euros tout de suite parce que ça avait augmenté durant l’été. » L’étudiante en psychologie explique avoir choisi cet hébergement en colocation pour son prix. « Là, on franchit le palier des 250 euros, à ce prix-là, j’aurais demandé un logement seule si j’avais su… »
Implantation du privé
« Vu que l’État ne suit plus à la hauteur des besoins, tout se repose sur les collectivités. Donc soit elles sont volontaristes et cèdent du foncier, soit elles préfèrent vendre à des promoteurs privés et là le Crous est en difficulté », résume Adrien Liénard de l’Unef. En effet, des promoteurs privés développent des résidences étudiantes partout en France comme à Toulouse (31) où l’entreprise Bouygues a construit un Campus étudiant ; à Grasse (06) où un promoteur a racheté une ancienne prison pour en faire également un campus ou encore le groupe Cardinal qui implante des résidences dans de nombreuses villes.
Aujourd’hui, les résidences étudiantes privées dépassent le nombre de logements des Crous, souligne le rapport d’avril 2023 de l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche. Selon Apolline Dumar de la Fage, il y a actuellement plus d’un tiers d’étudiants qui logent en résidences privées.
« Seulement les loyers des résidences privées sont beaucoup plus chers », remarque un militant de Solidaires étudiants de Lyon (69). « Les appartements privés à louer étaient totalement hors de budget pour moi, je n’avais même pas assez pour déposer une caution », explique Lilia, (1) pour qui le montant de sa bourse est égal à un loyer montpelliérain. Le logement Crous qu’on lui a attribué étant dans un état « plus que moyen », la jeune bachelière y a renoncé et devra effectuer 300 kilomètres soit 2h30 de transport juste pour aller en cours.
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(1) Les prénoms ont été modifiés
(2) Ce chiffre est tiré du rapport d’activité 2022 du Cnous. Il comprend les hébergements construits par les Crous (1.586 places) et ceux des bailleurs sociaux qui confient leur gestion aux Crous (1.404 places).
Édit le 25/09/2020 : Au national, le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche estime à sept milliards d’euros le coût de réhabilitation du patrimoine universitaire. De son côté, l’association France Universités parle plutôt de 15 milliards d’euros, et non « millions » comme écrit précédemment.
Contacté, le Cnous, affirme qu’il ne lui est « pas possible de répondre sur des cas particuliers ne connaissant pas les dossiers qui nécessitent de faire une investigation avant de pouvoir vous répondre. » Il n’a pas non plus répondu à nos questions générales. Quant au ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, il n’a pas répondu à nos sollicitations.
Illustration de Une par Caroline Varon.
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