Le tribunal administratif de Versailles a condamné l’État à verser 200 euros à Camille pour deux fouilles à nu illégales. La militante, accusée de projeter des attentats, a passé quatre mois en détention provisoire à Fleury-Mérogis.
« C’était insupportable à vivre », soupire Camille. « Avec cette bataille, j’ai eu l’impression de reprendre du pouvoir. » Ce mardi 4 juillet 2023, le tribunal administratif de Versailles (78) a estimé que les fouilles à nu imposées à Camille les 10 février et 10 mars 2021 à l’occasion d’inspection de sa cellule à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis (91) étaient « injustifiées » et lui « ont causé nécessairement un préjudice moral ». Il condamne l’État à lui verser 200 euros pour le préjudice subi.
« C’est un peu décevant, dans la mesure où l’on espérait que l’intégralité des fouilles subies seraient illégales comme l’avait suggéré la rapporteure publique pendant l’audience », regrette maître Chloé Chalot, son avocate. La juridiction considère en effet que la vingtaine de fouilles à nu subies par la détenue après chaque parloir étaient légitimes. L’avocate et sa cliente vont faire appel de la décision.
« Ça reste une condamnation de l’État qui rappelle que la personne mise en examen est toujours présumée innocente. Si ce n’est pas indispensable, il est inenvisageable d’imposer une mesure aussi inhumaine chaque semaine. »
Seule femme dans « l’affaire du 8 décembre »
Camille a été mise en examen pour « association de malfaiteurs terroristes » dans le cadre de « l’affaire du 8 décembre 2020 ». Ce « coup de filet » très médiatisé a visé sept militants de la gauche radicale soupçonnés par la DGSI de « projeter une action violente » à l’aide d’armes à feu ou d’explosifs, sans qu’aucune cible précise ne soit identifiée. C’est le seul dossier pour « terrorisme d’ultragauche » ouvert devant la justice antiterroriste française.
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La Bretonne de 32 ans est la seule femme parmi les sept inculpés de cette affaire. Elle a été envoyée en détention provisoire du 11 décembre 2020 au 23 avril 2021 à la maison d’arrêt des femmes de Fleury-Mérogis. Depuis sa sortie, l’aide à domicile est toujours sous contrôle judiciaire. Son procès au tribunal correctionnel de Paris aura lieu en octobre 2023.
Une humiliation hebdomadaire
Pendant son incarcération, Camille a été fouillée intégralement après chacun de ses parloirs. « C’était très dur parce que c’est le seul moment de réconfort en prison, où tu as du contact avec des gens qui te sont proches. Et ça arrive juste après. Donc on vient te le ruiner. Je trouvais ça particulièrement violent et humiliant », explique-t-elle à StreetPress.
Camille devait se rendre dans un cagibi isolé du regard des autres détenus, « comme une cabine de piscine », puis enlever chacun de ses vêtements, se tourner, ouvrir la bouche et montrer ses pieds. D’après nos estimations, elle aurait subi au moins 25 fouilles intégrales au cours de son incarcération.
La trentenaire menue a d’abord tenté de cacher les fouilles à ses proches. « Jusqu’à ce que l’atteinte à sa dignité devienne tellement insupportable qu’elle a craqué devant moi-même et notre petite sœur à la fin du parloir », écrit son frère dans un témoignage envoyé à la justice :
« Elle a fondu en larmes et a refusé de sortir. »
« Nous ne savions plus si rendre visite à Camille lui était favorable », corrobore une amie de la requérante. « Quand son frère m’a mise au courant, j’ai compris pourquoi nos parloirs se finissaient ainsi. À l’approche de la fin, Camille […] regardait régulièrement derrière elle. Je sentais qu’elle avait peur et semblait gênée. »
Au bout de trois mois, Camille finit par demander à ses proches de ne plus venir la voir en prison et de se contenter du téléphone ou des courriers. À partir du 8 février 2021, alors que les détenus ont le droit à un parloir par semaine, elle ne reçoit plus aucune visite.
La grand-mère de la militante témoigne aussi du traumatisme qu’ont représenté ces fouilles après sa libération. « Les souvenirs de ces fouilles continuaient de la perturber. Elle nous en parlait par bribes, à mot couvert et nous la sentions alors blessée au plus profond de son intimité », écrit son aïeule.
Le parloir « est le seul moment de réconfort en prison, où tu as du contact avec des gens qui te sont proches. Et [la fouille à nu] arrive juste après. Donc on vient te le ruiner », raconte Camille. / Crédits : DR
« Détenue particulièrement signalée »
Camille a demandé l’arrêt des fouilles intégrales dès le début de son incarcération, sans succès. À sa sortie, le directeur de Fleury-Mérogis n’a pas répondu à ses demandes d’indemnisation et le garde des Sceaux a rejeté sa requête. Dans son mémoire de défense, le ministère de la Justice justifie les fouilles subies par Camille par la qualification terroriste des faits qui lui sont reprochés. Elle aurait pu « obtenir des objets et substances issues de l’extérieur » pendant ses parloirs, est-il indiqué.
À Fleury-Mérogis, Camille avait le statut DPS, pour « détenue particulièrement signalée ». Des profils qui font l’objet d’une vigilance accrue, même si leur comportement est irréprochable. La mise en examen avait un carton rouge fixé sur sa porte – qui est ensuite remplacé par un carton jaune – ; deux matonnes pour lui ouvrir la porte à chacun de ses déplacements ; ou encore des réveils à des horaires aléatoires en pleine nuit pour la surveiller.
Pour Maître Chalot, « le statut terroriste est un étendard qui permet trop rapidement de priver les détenus de droits fondamentaux. » D’autant que Camille a toujours eu un comportement exemplaire et qu’il n’y a jamais eu rien à signaler après une fouille, pointe son avocate.
Le zèle de la prison
Selon Maître Chloé Chalot, le premier responsable est le directeur de Fleury-Mérogis, qui a soumis sa cliente à des fouilles systématiques en l’absence de toute décision légale préalable. « L’administration pénitentiaire s’exonère très souvent du respect de la loi », dénonce l’avocate.
La France a déjà été condamnée à plusieurs reprises par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) pour ses fouilles intégrales pratiquées de façon répétitive et aléatoire, notamment en 2007, en 2009 et en 2011. Elle les a jugées contraires à l’article 3 de la Convention européenne, selon lequel nul ne peut être soumis à « des traitements inhumains ou dégradants ».
Le 8 décembre 2021, Camille et son avocate ont décidé de faire un recours auprès du tribunal administratif de Versailles. « Ça a été une longue lutte pendant laquelle j’ai souvent été replongée dans ces moments », souffle-t-elle.
La militante affirme s’être également battue pour ses codétenues :
« Je voulais visibiliser ces violences carcérales, pas seulement pour moi mais pour toutes celles et ceux qui les vivent dans le silence. »
Images d’illustrations de la prison de Nanterre, prises par StreetPress le 11 octobre 2022.
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