Quatre agents de la sulfureuse CSI 93, une unité visée par 17 enquêtes judiciaires depuis 2019, ont comparu ce 6 avril au tribunal de Bobigny pour un contrôle illégal qui a dégénéré. C’est cette histoire qui a sonné la disgrâce de la section.
Tribunal de Bobigny – « S’il s’était laissé contrôler, on n’en serait pas là aujourd’hui. » Engoncé dans son blouson de cuir, les cheveux rasés à blanc, le brigadier-chef Riahd B. est à la peine. Accompagné de Loïc P., Olivier D. et Johann P. sur les bancs des accusés, Riahd B. fait partie de la CSI 93. Le nom vous dit quelque chose ? À l’été 2020, cette compagnie de sécurisation et d’intervention (CSI) a été visée par 17 enquêtes judiciaires pour violences, propos racistes, interpellations illégitimes, racket de dealers, faux et usage de faux… La CSI 93 incarne alors toutes les dérives policières et Didier Lallement annonce la dissolution de l’unité. L’ex-préfet de police y a ensuite renoncé et la CSI 93 est toujours en activité. Mais quatre agents ont bien comparu devant le tribunal ce 6 avril 2023 pour faux, violences, vols et atteinte arbitraire à la liberté individuelle.
Tout a lieu lors d’un même contrôle d’identité à Saint-Ouen le 30 mai 2019 vers 16h30. Un contrôle qui a dégénéré et qui a été filmé par des vidéosurveillances d’une épicerie où étaient accolées les victimes du procès, Jonathan S. et Louqmane T. C’est ce contrôle qui va mener à la chute du quatuor et de la CSI 93, car les récits des policiers et les images ne collent pas. Une enquête est ouverte. « Ça a permis de faire une forme d’audit. On n’en serait surtout pas là si les images de l’épicerie n’avaient pas été filmées », pointe maître Raphaëlle Guy, avocate de Jonathan S. et Louqmane T. Elle est soutenue dans son analyse par le procureur-adjoint Loïc Pageot :
« Nous n’avons pas besoin d’une police qui fonctionne comme ces quatre fonctionnaires ont fonctionné pendant des mois. Et qui auraient pu continuer s’il n’y avait pas eu les vidéos. »
« Ils ont décrit le quartier comme Benghazi, là on ne voit rien »
Pendant des heures, la salle de la 14e chambre a écouté les déclarations des quatre policiers de la CSI 93, devant une dizaine d’agents venus les soutenir. Riahd B., Loïc P., Olivier D. et Johann P. sont passés tour à tour devant les trois juges. Tour à tour, ils ont raconté ce contrôle du 30 mai 2019 rue Claude Monet à Saint-Ouen, dans la cité Cordon, une zone de sécurité prioritaire (ZSP). « Top 10 des cités les plus dangereuses », décrit le quadra Loïc P. Le groupe de policiers, qui forme la section Alpha-2 de la CSI, est en train de courir après des individus, disent-ils, quand ils déboulent dans la rue et voit un groupe posé près de l’épicerie. Pour les agents, la situation est tendue. « Le trafic de stups, c’est leur gagne-pain. On leur prend quelque chose, notre présence n’est pas la bienvenue. Ils sont en terrain conquis, c’est chez eux », renchérit même Riahd B. :
« Ils s’approprient le trottoir, les gens ont peur de passer. Quand on arrive, ça fait peur. C’est un ressenti. Ils étaient vraiment en terrain conquis, il ne fallait pas les déranger. »
Des trois vidéos, sans son, diffusées dans la salle du tribunal, il ne ressort rien de cette ambiance. « Il semble que ça soit calme quand même », lâche la présidente devant la première, qui filme le côté gauche du contrôle et où le seul point tendu est un homme qui fait du sport avec un élastique. La magistrate fait la même remarque sur la troisième, qui donne un plan large et éloigné. « Ça crie, madame », répond Johann P. « Ils ont décrit le quartier comme Benghazi, là on ne voit rien », tranche Jonathan S.
Aucun groupe n’est vu en train de courir, les policiers arrivent même très tranquillement. La question de la légalité du contrôle d’identité se pose si les agents ne pourchassent personne. À l’IGPN, Riahd B. explique que son unité dispose d’une « réquisition permanente du procureur » pour faire des contrôles et des fouilles. « Ça n’existe pas. En fait, vous contrôlez d’abord et après vous vérifiez si vous avez des réquisitions du parquet. C’est ce que je comprends ? », demande Loïc Pageot, le procureur-adjoint. « Je pars du principe que notre contrôle était légitime », se mure Riahd B.
Un sac avec de la drogue jeté par un policier ?
Sur les vidéos, on voit également ce dernier sortir un sac plastique de sa poche et le jeter entre Jonathan S. et le mur de l’épicerie. Pour expliquer son geste, le brigadier-chef prend de longues minutes et multiplie les « voilà ». L’explication est peu convaincante : « On est arrivé à une situation qui n’avançait pas. Jonathan S. ne se laisse pas faire. J’ai jeté le sac discrètement. Je voulais qu’il se retourne et qu’il ait peur avec le sac en plastique, qu’il se décolle du mur pour qu’il y ait le contrôle. » Aux enquêteurs de l’IGPN, Riahd B. a déclaré que c’était une poche avec des sacs de conditionnements ou bien le sac de goûter d’un de ses collègues. « Comment s’est-il trouvé dans votre poche ? », s’est questionné le procureur à l’audience. Mais selon Jonathan S., « à l’intérieur, c’était des pochons de cannabis ».
Louqmane T. abonde : il sent à ce moment-là une odeur de beuh et commence à filmer la scène. Loïc P. vient alors vers lui. Devant la vidéo en pause, le fonctionnaire explique : « Je mets ma main sur son téléphone pour l’empêcher de filmer. Je ne l’arrache pas de sa main. » C’est pourtant ce qu’il fait quelques secondes plus tard, quand la séquence reprend. Quelques minutes après, il met le portable dans sa poche. Il ne sera jamais retrouvé.
Des violences
Alors qu’il s’est retourné et se laisse palper, Jonathan S. est mis violemment à terre. Riahd B. vient de lui faire une « Chicago » : le prendre par les chevilles et le tirer au sol. Pour le brigadier-chef, c’était apparemment la seule façon de faire « un contrôle carré ». « Sinon on rentre chez nous. Il se serait vanté, on n’aurait plus eu de crédibilité. Si on n’est pas un minimum ferme, on perd le terrain, on passe pour des incapables », lance Riahd B. pour se justifier. Le policier explique tout de même aux juges qu’il a préféré cette technique « réglementaire » où le contrôlé « peut se rattraper » plutôt qu’un étranglement. « Ça c’est vraiment dangereux, il peut y avoir un accident ». Il finira pourtant par faire une clé d’étranglement à Jonathan S. « Je n’avais plus le choix », lâche-t-il simplement.
Alors qu’il est sur Jonathan S., Riahd B. se lève pour pousser violemment contre le mur Louqmane T. Pour justifier son geste, l’agent affirme qu’il s’est « senti menacé » face à l’homme d’alors 19 ans :
« Pour protéger mon intégrité physique, il y a eu échange de coups. »
La vidéo montre pourtant trois policiers autour de Louqmane T., qui n’est absolument pas véhément, note la présidente. « Il était contestataire », tente le brigadier-chef. Un juge assesseur demande au bleu :
« – Vous sentiez que ça allait en venir aux mains. Vous avez voulu frapper le premier ?
- C’est ça. »
Après s’être placé front contre front, Riahd B. lance plusieurs coups de poings à Louqmane. « C’est l’adrénaline qui monte depuis le début de l’intervention », se défend l’agent. Dans le public, une avocate chuchote : « On va faire un jeu à boire à chaque fois qu’ils parlent d’adrénaline. »
À la fin du contrôle, Louqmane subit ensuite une sorte de clé d’étranglement de Loïc P. avec sa matraque. Il est ensuite tasé au sol alors qu’il a trois agents sur lui.
Un PV qui sonne faux
Au poste, les agents déposent plainte pour outrage, rébellion, violences et menaces de mort. Sur le procès-verbal, ils parlent d’une foule hostile. Mais il n’y a aucune mention des coups portés aux victimes ou du jet de sac en plastique. « Ce qui est gênant, c’est que ce PV oublie tout ce qui peut être défavorable aux fonctionnaires de police », note le procureur Loïc Pageot. En garde-à-vue, un OPJ propose même un « plaider-coupable » à Louqmane T., qui accepte. « À ce moment-là, j’étais épuisé et je voulais que ça se finisse », confie-t-il pudiquement, lâchant qu’il n’avait « pas idée de la vidéosurveillance ». « Qu’est-ce qu’il se serait passé sans les vidéos ? », demande maître Raphaëlle Guy à Jonathan S. :
« On ne m’aurait jamais cru, j’aurais raconté un film. C’est ça qui fait mal, s’il n’y avait pas eu les vidéos, j’étais foutu. »
Là encore, les policiers tentent de s’en défendre. Loïc P. qui a rédigé le document n’aurait commis aucune erreur et les autres auraient signé le PV sans le lire. « On avait aucun intérêt à faire un faux », ose Riahd B. Le brigadier-chef parle de « négligence » et de « fatigue ». Il évoque une année 2019 « difficile » avec « les Gilets jaunes et le Covid »… qui débutera un peu moins d’un an plus tard.
La CSI 93
L’agent s’essaie tout de même à l’introspection. Il jure qu’il n’était pas là « pour faire mal » aux victimes mais pour faire son travail « pour lequel ma hiérarchie me met la pression ». Pendant une minute, Riahd B. explique l’ambiance du boulot à la CSI 93 et ses objectifs. « Un fonctionnaire ne peut pas sortir sur un mois entier, faire une patrouille et rentrer les mains vides », commence-t-il. Il assure qu’il a fait ça « un mois ou deux » et a été « rappelé à l’ordre ». On lui aurait fait signer une note où on lui rappelait les missions et qu’il fallait faire « a minima un chiffre d’interpellations » :
« On est employés régulièrement sur les ZSP et on tourne sur le département. On cherche du flagrant délit. En tant que chef de groupe, il faut ramener au moins une quinzaine d’interpellations par mois. »
Une explication que nuance Loïc Pageot. Le magistrat rappelle à Riahd B. les déclarations de son collègue Olivier D., qui a confié faire détruire des « petites quantités de drogue » avec le pied « pour arranger les OPJ » :
« – Il faut faire du chiffre mais quand vous avez une procédure facile de stupéfiants, vous l’écrasez.
- On a envie de faire des interpellations un peu plus intéressantes. »
Des « voyous »
Après la révélation de l’affaire, les quatre agents ont vu leur salaire suspendu et ont été interdits d’exercer dans la police. Devant le tribunal, tous prennent le temps d’expliquer à quel point l’épisode les a marqués. « Ma vie est un enfer. Socialement, je suis mort », lance Loïc P., qui travaille désormais dans le BTP. Olivier D. a dû retourner vivre chez ses parents et est à la fois intendant dans une université privée et dans la sécurité. « Malheureusement, dès qu’on a le moindre casier, ça saute », alerte-t-il. Johann P. parle lui d’un « traumatisme » et de « deux premières années très très dures ». Quant à Riahd B., il est brancardier dans un hôpital. Il s’excuse « d’en être arrivé là, auprès des victimes et de mes collègues ». Ce sera le seul mot d’un agent pour Jonathan S. et Louqmane T. durant toute l’audience. Le premier a eu une fracture au niveau des côtes et dix jours d’ITT. Le second a été « traumatisé ».
Le procureur-adjoint Loïc Pageot a taclé le « comportement de voyous » des policiers. « Ils ont sali l’image de l’institution ». Il requiert huit et six mois de prison avec sursis pour Olivier D. et Johann P., un an de prison dont six mois de sursis pour l’auteur du faux PV Loïc P., et deux ans d’emprisonnement dont un an de sursis pour le chef Riahd B. La décision a été mise en délibéré au 15 juin.
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