Pour trouver une fuite d’huile toxique en Seine-Saint-Denis, la RTE – filiale d’EDF chargée du transport d’électricité – a rejeté encore plus de ces liquides toxiques. Informée, la préfecture ne semble pas s’en inquiéter.
Philippe (1) ne se remet pas de la gestion de crise déployée par son employeur RTE, la filiale d’EDF chargée du transport d’électricité :
« C’est une méthode digne d’un écocide. »
Un écocide est une atteinte grave portée à l’environnement, entraînant des dommages et pouvant aboutir à la destruction des écosystèmes. A priori, quelque chose qu’on n’essaierait de ne plus faire en 2023. Cet agent de RTE a souhaité rester anonyme par peur de sanctions disciplinaires de l’entreprise, car ce qu’il révèle est explosif : des dommages intervenus sur l’un de leur réseau d’électricité d’Île-de-France a entraîné le rejet de centaines de litres d’huile toxique à deux reprises en 2021 et 2022. Pour trouver l’origine de ces fuites, RTE a réinjecté, une nouvelle fois, plusieurs dizaines de milliers de litres de cette même huile toxique.
Suite à cet événement et à la faiblesse des moyens engagés par la compagnie pour y remédier et réduire l’impact écologique – alors que l’entreprise indique elle-même placer « les enjeux environnementaux au cœur de son engagement » –, une alerte environnementale a été déposée au sein de RTE par des délégués du personnel. Sans réponse de leur employeur dans les délais réglementaires, ces derniers ont saisi la préfecture de Seine-Saint-Denis. Mais le représentant de l’État ne leur a jamais répondu. Contacté par StreetPress, maître Jérôme Borzakian, avocat de la CGT-RTE et du CSE maintenance de la société assène :
« Le préfet ne semble pas intéressé par l’alerte. »
La fuite des câbles oléostatiques
L’alarme lancée en mai 2022 concerne deux avaries qui ont eu lieu en juillet 2021 et en avril 2022 sur une liaison de câbles souterrains de RTE entre Romainville et Villemomble, dans le 93. « Des zones urbanisées, en présence de riverains et de piétons », notent les auteurs de l’alerte. Le débit des fuites a été estimé entre 10 à 50 litres par semaine. Philippe fait les comptes :
« Soit entre 260 à 1.300 litres de perdu pour une seule liaison. »
Ces huiles proviennent de câbles qu’on appelle des oléostatiques. La technologie est ancienne et date du début du 20ème siècle. À cette époque, la France s’électrifie sur tout son territoire à l’aide de ces fils de cuivre, isolés par du papier imbibé d’huile minérale. Avec le temps, les isolants se détériorent et l’huile minérale devient de plus en plus nocive. Dans une alerte, les délégués du personnel stipulent :
« (…) ces huiles, lorsqu’elles sont usagées ou ayant subies des amorçages, contiennent des impuretés, vapeurs nocives pour l’homme, mais aussi pour I’environnement ».
Selon eux, ce produit toxique est Cancérigène, Mutagène et Reprotoxique – dit CMR. Ce qui veut dire que le produit présente des risques de cancers ou de maladies de la peau en cas de haute exposition. Ingéré, il est mortel. Jusqu’à présent, ces huiles toxiques, issues de tuyaux enfouis sous les sols, ont été retrouvées dans la terre et en petite quantité sur des chaussées. Dans la même alerte, il est expliqué : « Durant des analyses sur des agents travaillant sur un chantier de réparation d’une installation de liaison souterraine du même type lors du chantier de Bordeaux (2017), l’impact de ce produit sur la santé des agents fut constaté par le service de santé de RTE ». « L’impact » n’est toutefois pas explicité.
Alerte Environnementale RTE… by Garnier
La technologie a heureusement évolué. Depuis les années 60, ces câbles électriques sont isolés avec du plastique. Mais selon Philippe, RTE se contenterait parfois de mettre un câble parallèle en plastique à côté de l’ancien oléostatique, sans le retirer. « L’entreprise abandonne donc ses déchets sous la terre », lance-t-il plus clairement. Et ces câbles avec de l’huile toxique sont toujours présents dans certains souterrains. Sur les 6.500km du réseau, il y en aurait un peu moins de 200 selon RTE et 300 selon les délégués du personnel de l’entreprise. RTE s’était engagé à les remplacer d’ici 2025 mais évoque désormais 2040 à StreetPress (2).
En conséquence, n’importe quelle avarie sur ce réseau vieillissant due à sa vétusté ou à une action extérieure – comme un coup de pelleteuse accidentel en cas d’intervention – peut entraîner la fuite de cette huile toxique dans la nature. C’est ce qu’il s’est passé sur la liaison en Île-de-France en 2021 et 2022.
30.000 litres gaspillés
Pour repérer les fuites, RTE semble avoir envenimé le problème : la filiale d’EDF a réinjecté encore plus de cette huile toxique pour détecter les endroits où il y a des fuites à l’aide de traceurs. « C’est comme si pour détecter des puits de pétrole qui fuient, vous réinjectiez du pétrole sur tout le pipeline », peste Philippe, qui qualifie le geste d’écocide. Pour ce dernier, il existerait d’autres solutions comme l’injection d’hélium ou d’azote non polluant. La solution existerait depuis plus de 30 ans et serait notamment utilisée par la compagnie Suez Eau France à Bordeaux (33).
Dans ses documents internes, RTE met en avant l'importance qu'elle accorde à l'environnement. Dans les faits, c'est parfois bien différent. / Crédits : StreetPress
Selon les délégués du personnel, RTE a injecté environ 30.000 litres de cette huile pour trouver la fuite. « RTE a fait le choix de continuer à injecter cette huile nocive en la laissant s’échapper dans le sol », indiquent-ils dans l’alerte. Philippe résume :
« On est loin de la fin de l’abondance du président Macron, car cela ne gêne pas RTE de perdre environ 30.000 litres d’huile sur cette liaison juste pour repérer les fuites éventuelles. »
Absence de réaction de l’État
La mesure a également un impact direct sur l’environnement. L’huile est peu soluble dans l’eau et resterait dans les sols. Contactée, RTE affirme que dans les situations comme celle révélée par StreetPress, l’entreprise « bloque l’arrivée d’huile le temps des travaux de réparation ». Ensuite, elle « isole la zone près de l’avarie » et « procède au traitement de la pollution localisée ». D’après des sources internes, la terre contaminée est restée là où elle était. Dommage pour l’environnement ! Ce ne serait pas la première fois que la société est pointée du doigt à ce sujet, comme l’a révélé un autre article de StreetPress.
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Pour autant, l’entreprise ne s’est pas fait taper sur les doigts par l’État. La préfecture de Seine-Saint-Denis n’a pas réagi à l’alerte des délégués du personnel et à leur avocat. En tant qu’autorité constituée, le préfet pourrait pourtant signaler au procureur de la République des faits susceptibles de constituer un crime ou un délit qui sont portés à sa connaissance, selon l’article 40 du code de procédure pénale
Contactée par StreetPress, la préfecture du 93 n’a pas non plus répondu à nos sollicitations. Une attachée presse a pourtant affirmé au téléphone fin décembre avoir « bien transmis notre demande au service concerné ». Avant d’ajouter que « ces services compétents pour traiter la demande de StreetPress ont pris attache avec RTE pour savoir quels éléments nous transmettre ». Une information qu’elle a niée le lendemain quand nous l’avons recontacté. La préfecture qui demanderait à une entreprise quels éléments pourraient être donnés à la presse sur une alerte qui concerne l’entreprise en question, ce serait original !
(1) Le prénom a été modifié.
(2) StreetPress a envoyé 21 questions à RTE sur le sujet de la fuite d’huiles toxiques. Nous avons choisi de publier toute leur réponse sur ce point : « RTE dispose de 6.500 km de lignes électriques en souterrain. 95% de ces lignes électriques sont synthétiques polyéthylène réticulés donc de fabrication moderne, 3%. En 2040, 100% des câbles seront synthétiques. (SDDR page 46). D’ici là, les 3% de câbles qui restent avec une composition plus ancienne qui contiennent de l’huile (oléostatique ou huile fluide), sont surveillés et entretenus pour éviter toutes fuites. Ces quelques kilomètres de câbles restants peuvent effectivement connaître de rares fuites, par exemple, suite à des travaux de terrassement d’autres entreprises près de nos câbles. Dans ces situations, après détection, on bloque l’arrivée d’huile le temps des travaux de réparation, on isole la zone près de l’avarie et on procède au traitement de la pollution localisée. Nous investissons 8 milliards d’euros pour le renouvellement de notre réseau sur 15 ans. Un quart de nos investissements sont utilisés pour le renouvellement du réseau. »
Illustration de Une par Quentin Girardon.
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