Matthieu Bidan, réalisateur de la série Rixes, explique pourquoi il s’est intéressé au sujet des violences entre jeunes de quartiers, et pourquoi StreetPress travaille à une nouvelle saison de sa série documentaire sur les guerres de cité.
« Je n’avais pas de larmes, c’est comme si j’étais dans un désert. » Dans son salon du sud de Paris, Aoua rejoue le film des événements du 13 janvier 2018, quand son fils Hismaël, 15 ans, est mort poignardé dans une bagarre. Quelqu’un de la famille avait appelé Aoua pour lui dire que le cousin de son fils avait été blessé rue de la Roquette. Mais en arrivant sur les lieux de la bagarre, la police lui apprend que c’est son fils qui a été tué.
« Hismo », comme tout le monde l’appelait, faisait du foot, rappait dans un groupe, cherchait un stage pour le lycée. Un ado comme un autre, dont la vie a été arrachée sur un bout de trottoir du 11e arrondissement. Des jeunes d’un quartier rival étaient venus pour fêter l’anniversaire d’une amie. Mais la situation dégénère avec les gamins de la Roquette. Insultes, bagarres, coups de couteau et la mort au bout du cercle infernal.
En 2020, selon un document de la cellule de suivi du plan bandes de la Préfecture de police que Le Parisien a révélé, trois jeunes sont morts et 280 ont été blessés dans des rixes rien qu’à Paris.. L’ampleur du phénomène est difficile à quantifier au niveau national tant de nombreuses rixes passent sous les radars.
Un sujet mal traité dans les médias
« Bandes rivales », « violences sur fond de trafic de stupéfiants », voilà les mots qu’on a pris l’habitude de lire et d’entendre sur le sujet des rixes. Ces embrouilles sont bien souvent rangées dans la case faits divers. Ce serait le problème de jeunes de plus en plus dangereux et violents. Mais la réalité est bien plus complexe, et nous ne pouvons pas sauver des vies si nous ne la comprenons pas.
Malheureusement, peu de moyens sont mis en place aujourd’hui pour prévenir ces guerres entre jeunes de quartiers et ce sujet reste en grande partie invisible ou mal traité dans les médias. C’est pour ça qu’au printemps 2021, nous lancions la saison 1 de Rixes, une série documentaire en six épisodes qui vous embarquait au cœur des quartiers populaires à la rencontre des hommes, femmes et enfants dont la vie a basculé à cause des guerres de cité. Qu’est-ce qui poussent des enfants à s’entretuer ? Qui est touché par les rixes ? Comment les familles vivent ce deuil ? Voilà les questions auxquelles nous voulions répondre.
Dans nos premiers épisodes, il y avait Enzo, qui a été touché par un tir de fusil à pompe au mollet et dont on avait suivi la convalescence. Fatou, dont le petit frère Waly, 14 ans, a été tué à Paris dans une bagarre. Hadjira et sa famille qui pleuraient encore Redouane, tué dans son quartier parce qu’il n’aurait pas serré la main comme il fallait.
Nous avons voulu mener ce projet que nous croyons utile, sans tordre la réalité brutale qui met des ados sur le carreau. Nous voulions sensibiliser sur le sujet des rixes en donnant la parole à ceux qui sont directement concernés.
La parole aux concernés
Cette série a été pensée avec Adama Camara, un Gargeois que nous avions interviewé en 2018. Si ces jeunes mutilés, ces sœurs et mères endeuillées se confient à lui, c’est parce que leurs vécus résonnent fortement avec l’histoire personnelle du jeune militant. En 2011, son petit frère Sada est poignardé à mort à la gare de Garges-Sarcelles dans le Val d’Oise. Trois ans plus tard, Adama Camara se venge et tire sur le frère du responsable et ses amis présents sur place. Ils sont blessés mais échappent à la mort. Il est condamné à huit ans de prison pour tentative de meurtre. Aujourd’hui libre, il mène des actions de terrain pour lutter contre la violence dans les quartiers populaires.
L’urgence d’une nouvelle saison
Depuis la sortie de la saison 1, d’autres jeunes sont morts dans des rixes. Un constat s’est imposé à nous :
« Nous ne pouvons pas arrêter cette série après seulement six épisodes. »
Et nous avons d’autres questions : Beaucoup de femmes ont témoigné dans nos premiers épisodes, mais quelle est la place des pères ? En 2021, plusieurs jeunes filles sont mortes dans des rixes, pourquoi sont-elles touchées aussi ? Comment la justice traite ces dossiers ? Comment vivent les agresseurs une fois en prison ? Comment les familles des agresseurs vivent avec cette violence ?
La première saison a connu plus de huit millions de vues sur les plateformes. La série a été projetée dans plus d’une centaine de quartiers populaires par Adama Camara. Elle a servi de support à des associations et des ateliers pédagogiques mis en place pour faire reculer ces violences. Nous souhaitons continuer ce travail de sensibilisation plus urgent que jamais.
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