Thierry Meyssan, l’auteur conspi le plus vendu de France a fait une apparition à Paris dans un « colloque » de soutien au régime syrien. À ses côtés : des antivax, des conspis, des fafs, une négationniste… Bref, du beau monde !
C’est une pizzeria banale, place de la Bastille, avec ses clients en terrasses, ses serveurs au comptoir, et… son opération de propagande du régime syrien. C’est au premier étage qu’était organisé ce vendredi 10 juin ce colloque : « Pour la paix en Syrie, stop à l’embargo ». La paroisse catholique Notre-Dame des Otages, à Paris dans le 20ème arrondissement, qui devait initialement les accueillir avait annulé l’invitation suite aux protestations de militants de la cause syrienne.
« Nous avons voulu faire quelque chose juste avec des gens qu’on connaît bien et qui sont dans les médias. On nous a supprimé une salle de 200 personnes. Finalement grâce à vous, nous toucherons 200.000 personnes », croit l’organisateur Adnan Azzam. Membre de l’association des écrivains arabes syriens et qualifié de « grand guerrier à cheval » par ses collègues, ce Druze originaire de Soueïda en Syrie – qui s’affiche sur Facebook en plein serrage de paluche avec le dictateur Bachar Al-Assad – est un relais bien connu du régime syrien en France, comme l’avait raconté l’Obs. L’écrivain est passé maître dans l’organisation de voyages de complaisance en Syrie. Il avait même réussi à y traîner des Gilets jaunes tendance antisémite en 2019.
Claude Janvier, co-auteur d’un brûlot covidosceptique intitulé Le virus et le président et co-organisateur du colloque, est justement l’un de ses compagnons de voyage. En décembre dernier, il a passé une semaine en Syrie à l’invitation d’Adnan Azzam. Avec lui dans le bus : Jean-Michel Vernochet, chroniqueur à Rivarol ; Pierre-Emmanuel Thomann, enseignant à l’ISSEP de Marion Maréchal ; Yves Béraud, général de l’armée de terre à la retraite ; Maria Poumier, universitaire négationniste autrice d’un recueil d’entretiens avec Robert Faurisson et d’un film à la gloire du général iranien Qassem Soleimani ; et enfin Emmanuel Leroy, ex conseiller géopolitique de Marine Le Pen, président de l’Institut 1717 pour « une nouvelle alliance franco-russe » et auteur pour Méthode, revue de propagande pilotée depuis le Donbass. Que du beau monde !
Pierre Emmanuel Thomann, Yves Béraud, Maria Poumier, Emmanuel Leroy, Claude Janvier, et Adnan Azzam se sont retrouvés le 10 juin dans une pizzeria place de la Bastille pour un "colloque" de propagande sur le conflit syrien. / Crédits : Élie Guckert
Thierry Meyssan, le retour
Toute la petite bande, à l’exception de Vernochet, se retrouve ainsi quelques mois plus tard en France dans cette pizzeria parisienne – dont l’adresse n’a été communiquée qu’à quelques happy few juste avant le jour J – pour alerter l’opinion publique française sur ce qu’ils ont vu là-bas. Ou plutôt sur ce qu’on a bien voulu leur montrer.
Le reste du casting fait ton sur ton. Il y a Lucien Cerise, « chercheur en ingénierie sociale », qui s’est lui aussi rendu en Syrie avec Adnan Azzam en 2019, ainsi qu’en Corée du Nord avec Alain Soral (son éditeur) et Dieudonné en 2017. Il y a aussi Alain Corvez, colonel à la retraite, invité régulier de feu RT France et tout aussi bien intégré dans la mouvance d’Alain Soral avec qui il s’est rendu en Syrie dès 2011.
Et pour ne rien gâcher : la présence inattendue d’un guest de haut vol, Thierry Meyssan himself. Le fondateur du réseau Voltaire est l’auteur du best-seller conspirationniste L’effroyable imposture sur le 11 septembre. Second essai le plus vendu en 2002 : il s’était écoulé à 160.000 exemplaires. Il y a dix ans, le pape du complotisme français s’était exilé à Damas, prétendant fuir les tentatives d’assassinat du gouvernement français (qui a donc visiblement fini par laisser tomber). Un exil au cours duquel il est devenu une sorte de spin doctor de la propagande anti-occidentale pour le compte du régime syrien.
C’est donc sous la houlette du « Mouvement international pour la souveraineté des peuples », présidé par Azzam, que tout ce petit monde va s’évertuer à nier devant une vingtaine de personnes le droit à l’autodétermination des Syriens, mais aussi, tant qu’à faire, celui des Ukrainiens, eux aussi en train de subir l’agression de l’armée russe. Adnan Azzam désigne la cible dès le lancement du colloque :
« Le monde atlantiste anglo-saxon. »
Semences transgéniques et antifas
Pour résumer : la révolution syrienne serait un complot occidental contre les « nations souveraines ». Tout comme le conflit en Ukraine, et en réalité comme « toutes les guerres civiles depuis la Yougoslavie », d’après Meyssan. La preuve : Bachar serait aimé par son peuple, puisqu’il aurait été réélu à l’unanimité pour un quatrième mandat en 2020, semble croire Poumier. Le rapport César, qui avait dévoilé l’ampleur de l’industrie de la mort des geôles syriennes en 2013 et permis la tenue de premiers procès en Europe ? Un coup du Qatar et de George Soros, pour Claude Janvier. D’ailleurs, les djihadistes en Syrie, tout comme « les néo-nazis d’Azov en Ukraine », et même les antifas en France seraient en fait des agents de déstabilisation des services de renseignements occidentaux, assure Cerise. Il paraît aussi que l’US Aid, l’agence humanitaire américaine, aurait fourni à la Syrie des semences transgéniques afin d’y rendre les terres stériles.
Bref : l’Ukraine et la Syrie seraient les deux faces d’une même machination mondiale diabolique, celle de « l’hydre qui a étendu ses tentacules sur toute l’Europe : l’OTAN », selon Corvez. Pierre-Emmanuel Thomann – « qui n’a pas dormi cette nuit car il revient tout juste de Russie », croit bon de préciser Leroy – pense qu’une victoire de Poutine en Ukraine permettrait l’avènement « d’un nouvel ordre mondial » qui renverra l’Occident dans ses cordes. « J’attends avec impatience l’accomplissement de ce bouleversement », précise-t-il, au cas où il subsisterait encore un doute. Conclusion : il faudrait lever les sanctions contre le régime syrien de toute urgence, afin de permettre à Bachar Al-Assad de reconstruire le pays qu’il a mis tant d’efforts à détruire pendant plus de dix ans avec l’aide de Vladimir Poutine.
Le « colloque » perturbé par des militants syriens
Une tonne de mensonges proférés devant des « médias libres et indépendants » qui eux ne feraient pas de la « propagande », contrairement aux « médias de masse », pense Azzam. Parmi ces médias, le site conspirationniste Meta TV, ou encore la chaîne libanaise Al-Mayadeen. Affiliée au Hezbollah et à l’Iran, deux alliés du régime syrien, elle a immédiatement diffusé un reportage en arabe sur le colloque, heureuse de pouvoir montrer qu’il existe des Français pour soutenir Bachar Al-Assad, envers et contre tous.
Mais bien décidés à ne pas laisser la fachosphère française parler à leur place, un groupe de militants syriens a réussi à venir perturber le colloque avec des chants révolutionnaires et des drapeaux de l’opposition. « Vous avez tué des enfants ! », crie l’un d’eux comme pour tenter de faire rentrer un peu de réel dans cet univers parallèle, avant d’être chassé de l’établissement avec ses camarades.
Un petit groupe de militants syriens est venu perturber le colloque avec des chants révolutionnaires et des drapeaux de l’opposition. / Crédits : Élie Guckert
« On sait très bien par qui ils sont payés ceux-là », maugrée de son côté l’un des participants du colloque avec un regard entendu à son voisin, qui lui répond « à mon avis ils n’étaient même pas Syriens ». « Nous avons quitté notre pays à cause de la brutalité de ce régime, et aujourd’hui le régime essaie de cacher ses crimes et de montrer qu’il en est la victime », nous confie l’un des militants, bel et bien originaire de Syrie, et réfugié en France depuis plusieurs années. « Nous venons de vous donner des arguments, répercutez-les bien », intime quand même Yves Béraud à son auditoire. Thierry Meyssan lui, appelle carrément à l’établissement d’une « diplomatie populaire ». Pour ne pas dire parallèle.
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