Les Sleeping Giants affichent sur les réseaux les boîtes qui placent de la pub dans des médias d’extrême droite. Est apparue une initiative diamétralement opposée : Les Corsaires.
« Luttez contre la piraterie woke » et « Défendez la liberté d’expression ». Ce sont les objectifs que se sont fixés « Les Corsaires ». Une « armada numérique » qui s’est mis en tête de couler les Sleeping Giants. Motif ? Ces derniers harcèleraient des annonceurs et priveraient des médias de revenus publicitaires au nom de la « piraterie woke ». Vaste programme.
Les Sleepings Giants, c’est un collectif qui entend lutter contre le financement publicitaire de ce qu’ils considèrent comme des discours de haine (site internet, émission télé, etc.). Concrètement, ces activistes interpellent les annonceurs sur Twitter et les invitent à déprogrammer leurs publicités pour ne pas financer des contenus qui ne correspondent pas à leur éthique.
C’est ainsi que les SG ont tour à tour alerté des marques que leur publicité finançait des sites d’extrême droite comme Boulevard Voltaire ou Breizh Atao, des journaux condamnés pour incitations à la haine raciale comme Rivarol ou Valeurs actuelles ou encore CNews notamment sur le créneau de Face à l’info, l’émission du désormais candidat maurrassien Eric Zemmour.
Un Sleeping Giant contacté par StreetPress confirme que ces opérations ont plutôt bien marché et qu’ils ont reçu un accueil favorable des annonceurs contactés. Autant de succès qui ont provoqué l’ire de zélés « militants d’extrême droite » comme l’ont révélé nos confrères du site L’ADN. « Ils ne nous attaquent que quand nos actions concernent des annonceurs de Valeurs actuelles ou CNews, jamais FranceSoir ou Rivarol », a toutefois constaté notre source au sein des Sleeping Giants.
Visuels de qualité, discours rodés, lettres cachetées envoyées aux rédactions : la communication des Corsaires est léchée, professionnelle. S’ils se revendiquent bénévoles, ils semblent avoir des budgets. Par exemple pour s’offrir des pleines pages de pub dans L’Incorrect, le magazine des proches de Marion Maréchal, en novembre et décembre.
Un anti-avortement
L’enquête de L’ADN a permis de faire émerger (sans certitude) un nom : Émile Duport, dirigeant de Newsoul, « agence de communication dédiée aux organisations non-lucratives et aux marques engagées ». L’homme était en charge de la « com’ de mobilisation » pour La Manif pour tous et porte-parole de La Marche pour la Vie.
Émile Duport n’est pas un inconnu. StreetPress avait en 2016 déjà, croqué son portrait de militant anti-avortement et fondateur des Survivants, un site et mouvement d’agit-prop « pro-vie ». Notre journaliste, Christophe-Cécil Garnier, avait eu l’occasion de s’entretenir longtemps avec celui qui avait surfé sur la hype Pokémon Go en créant le site « Sauvez Pikachu ». Loin de s’en tenir à l’univers des monstres de poche japonais, il consistait surtout à renvoyer un jeune public vers le site Les Survivants et son argumentaire anti-IVG.
À LIRE AUSSI : Emile Duport, le dresseur de pokemon en croisade contre l’avortement
StreetPress a mené sa petite enquête sur les corsaires et plusieurs éléments nous permettent d’affirmer qu’Émile Duport est partie prenante de cette histoire. Contacté par nos soins, il se montre d’abord affable et nous explique ne pas avoir de liens avec Les Corsaires, bien qu’il « partage leur combat ». S’il a retweeté des messages et diffusé leurs visuels sur son compte Twitter, c’est parce que leur démarche « l’intéresse et il y est sensible ».
Des associés bien proches
Les choses se tendent un peu quand nous évoquons le fait que la sandbox (bac à sable, pré-copie d’un site destiné à la mise au point par le développeur. Bref, un truc technique qui remonte jusqu’à eux) du site « Les Corsaires de France » est hébergée à l’adresse « reputation.progm.fr » qui appartient à l’agence de communication Progressif Media. « Rien à voir c’est une autre entreprise », botte en touche Duport. Pourtant, les deux sociétés partagent la même adresse courrier, une bonne partie de leurs employés et même « de nombreux projets » de l’aveu même de l’intéressé… Que penser enfin de ce message posté sur Facebook par Emile Duport ? « La vidéo de mes associés de Progressif Media, une équipe remarquable dévouée pour ceux qui veulent changer la donne ! », s’enthousiasmait-il ainsi en mai dernier.
« Les Corsaires de France » est hébergée à l’adresse « reputation.progm.fr » qui appartient à l’agence de communication Progressif Media. / Crédits : DR
Lors de notre appel, questionné sur ses liens avec Progressif Media, Émile Duport s’emporte. Accusant par exemple les auteurs de ces lignes de travailler pour « les journaux les plus militants de France ». Certes, « comme Valeurs actuelles » mais pas comme Cnews, chaîne à laquelle il reconnaît tout de même du bout des lèvres une ligne « conservatrice »…
Jusqu’à ce moment lunaire où, alors qu’il semble se déplacer dans ses bureaux, on l’entend s’adresser discrètement à une tierce personne. On a « une urgence vitale », lance-t-il deux fois. L’instant d’après, il semble nous mettre sur haut-parleur et nous demande de « répéter ce que vous m’avez dit sur la sandbox ». Nous lui demandons pourquoi nous avoir mis sur haut-parleur. Émile Duport se fâche alors, expliquant que tout cela « commence à le faire chier » et raccroche.
On a aussi appelé Geoffroy Lejeune, qui dirige la rédaction de Valeurs actuelles. « Je connais Emile depuis 15 ans, je sais qu’il fait de l’agit-prop pro-vie mais sur tout un tas d’autres sujets également. J’ai pensé à lui quand j’ai découvert les Corsaires », déballe-t-il. « Alors il m’a expliqué le concept », confirmant au passage l’implication de Duport dans l’action. Son journal aurait-il commandé cette action? « Si il me l’avait proposé j’aurais peut-être dit oui, mais on l’aurait dit, on l’aurait affiché », affirme Geoffroy Lejeune.
Quant à Émile Duport, il ne répondra plus à nos sollicitations laissant nos questions sans réponse. Que ce soit sur ce mail l’invitant à rejoindre les Corsaires qu’a reçu jeudi dernier Christophe-Cécil Garnier, auteur de l’article de StreetPress sur Émile Duport. Une adresse mail qu’il n’utilise que très rarement de manière professionnelle mais qu’il avait donnée à ce dernier en 2016, à l’occasion de son article. Nous n’en saurons pas plus non plus sur l’implication de la société de l’entrepreneur pro-vie dans Les Corsaires. Ni sur un commanditaire éventuel. Quoi qu’il en soit, hasard ou coïncidence, dans la foulée de notre appel la sandbox « reputation.progm.fr » disparaît du répertoire de Progressif Média.