Dans les prisons françaises, un détenu sur quatre est sans ressources. Derrière les murs, ils ont faim et souffrent de problèmes d’hygiène. Certains subissent même chantage et violence. D’autres vont jusqu’à se prostituer. Témoignages.
« Il a perdu plus de 10 kilos en un an de prison. » Lucie (1) raconte à quel point le visage de son copain s’est amaigri, parloir après parloir : « Il y a des jours où il ne mange pas du tout. » Étudiante à Lyon, elle ne perçoit que 150 euros de bourse par mois. Lui n’a pas de famille pour le soutenir. Alors, quand elle le peut, la jeune femme lui verse une cinquantaine d’euros sur son compte interne en prison. Pas assez pour vivre dignement derrière les murs.
En France, selon l’Observatoire international des prisons (OIP), plus d’un détenu sur quatre est considéré comme étant en « pauvreté carcérale ». C’est-à-dire qu’ils disposent de moins de 50 euros par mois pour vivre. En interne, ils sont appelés les indigents. « Ils ne reçoivent rien. Ils n’ont rien », raconte le rappeur Mehdi YZ, dans une de nos interviews GAV. Il a passé huit mois à la prison des Baumettes, à Marseille (13). Il raconte sa colocation avec les cafards, les rats et les pigeons. Mais aussi la nécessité d’avoir des revenus :
« Faut faire son argent en prison. Si tu n’en as pas, tu ne manges pas, tu ne bois pas. Et surtout, les gens ne te respectent pas. »
Le confinement en prison
« Suite au reconfinement, la seule différence en prison, c’est le port du masque obligatoire lorsque l’on sort de la cellule » écrit Patrice (1) dans une lettre adressée à son ami et ancien codétenu sorti en juin. Pour les personnes actuellement incarcérées interrogées par StreetPress, le confinement c’est déjà leur quotidien. Ce qui les inquiète le plus, c’est de voir arriver un nouveau codétenu : le Covid-19.
À ce jour, trois prisons françaises ont été identifiées comme foyer de contagion. Le nombre de personnes incarcérées positives au Covid-19 a plus que triplé en quatre semaines, passant de 47 cas positifs le 5 octobre 2020 à 182 le 3 novembre. Le ministre de la Justice et garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, a cependant annoncé ce jeudi 29 octobre dans une allocution le maintien des parloirs et du travail durant le confinement (sauf cas de cluster). Un soulagement pour les détenus et leurs familles.
« La prison, ce n’est pas le Club Med »
Corentin (1) a 25 ans. Il a passé un an et demi dans une cellule de 9m2, qu’il partageait avec deux autres détenus, à la maison d’arrêt de Saint-Malo (35). Il a souvent tourné en rond, la faim au ventre :
« Il y en a qui ont de quoi s’acheter la Xbox 360 et qui ont les placards remplis de bouffe. Moi, j’étais indigent. Je mangeais la gamelle et j’avais faim. »
« La gamelle, c’est du pâté pour chien. Tu peux tomber malade en la mangeant ! », assure Mehdi YZ. S’ils le peuvent, les détenus évitent de manger les plateaux-repas fournis par l’administration pénitentiaire. Comme StreetPress le révélait dans une précédente enquête à la Santé, ils ne permettent pas toujours de manger à leur faim. Alors pour ne pas s’endormir le ventre vide, il faut « cantiner », c’est-à-dire acheter des denrées via le magasin interne à la prison. La monnaie n’existe pas en prison. Tout achat est prélevé sur un compte nominatif interne. Et, à l’intérieur, « tout est plus cher » racontent les détenus. Ils prennent l’exemple du forfait téléphonique : 70 euros par mois pour 20 minutes par jour. Et jusqu’à 160 euros si les appels sont passés vers des portables. Télé, frigo, plaque électrique, lessive, tout est payant. Le coût de la vie en prison est estimé à 200 euros par mois, selon un rapport sénatorial, publié il y a une quinzaine d’années. « La prison, ce n’est pas le Club Med », comme le répètent plusieurs détenus interrogés par StreetPress.
Deux options s’offrent à eux. Avoir l’aide de proches à l’extérieur, qui peuvent envoyer de l’argent par virement. Ce que les indigents n’ont souvent pas. Ou travailler. C’est ce que faisait le compagnon de Lucie, quand il était incarcéré au centre pénitentiaire de La Farlède, à Toulon (83). Couper des savons, faire des sachets de thé, des échantillons de produits de beauté dans l’atelier situé à l’étage de la prison, lui permettait de gagner entre « 200 et 250 euros par mois », explique l’étudiante de 23 ans. Mais depuis son arrivée à la maison d’arrêt de Nice (06), il y a un an, il est sur liste d’attente. Comme tous les indigents interrogés par StreetPress pour cet article. En France, seul un détenu sur quatre travaille en prison. François Bès, coordinateur au pôle enquête de l’OIP commente :
« Il y a une offre de travail très insuffisante, et son accès se fait de manière très arbitraire. »
Les indigents sont censés être prioritaires pour travailler. Mais dans la réalité, ce serait surtout la manière dont est apprécié le détenu qui compte.
Sans revenus, pas d’hygiène non plus
« Il manque de tout. Par exemple de papier toilette : il est parfois obligé de se rincer à la bouteille d’eau. » Fabienne témoigne des tracas de son conjoint d’une voix frêle, au téléphone. Pour laver ses vêtements, il les frotte à la main dans le lavabo de sa cellule « avec du gel-douche ou du produit vaisselle ». « Il manque aussi de dentifrice », ajoute-t-elle. Alors, il a des problèmes de dents. Fabienne poursuit :
« Une fois, pendant un parloir, j’ai essayé de faire rentrer une fiole de parfum, parce qu’il en avait marre de puer. »
À son arrivée à la prison de Toulon, l’administration pénitentiaire a fourni à son compagnon le traditionnel kit d’hygiène et quelques produits pour le nettoyage de la cellule. Des denrées prévues pour les premiers jours de détention et vite épuisées.
Pour les femmes incarcérées – qui représentent 3,8% de la population détenue – être sans ressources, c’est aussi renoncer à son hygiène intime. Les prix des protections menstruelles peuvent être multipliés par deux, selon l’association féministe Georgette Sand. « Quand j’animais des ateliers en taule, certaines me confiaient être obligées de mettre du papier toilette dans leurs culottes », se souvient Louise. L’étudiante en droit de 23 ans est une ancienne de l’association Genepi. Elle tient aussi le compte Instagram « Dis leur pour nous », où elle publie des témoignages de personnes incarcérées. Marie-Paule Noël, de l’association féministe Georgette Sand, ajoute :
« Certaines font des cups avec des bouts de bouteilles en plastique. »
La militante raconte que des détenues indigentes utilisent des goulots de bouteilles d’eau comme coupe menstruelle. Elles liment les contours sur le rebord de la fenêtre en espérant ne pas se blesser au vagin. « Ces femmes se retrouvent dans une position où elles ne sortent plus de leur cellule, car elles ont honte. C’est une abomination, elles perdent toute leur dignité », insiste Marie-Paule Noël.
Prêts à tout pour un paquet de pâtes
« Quand je n’avais plus rien, je m’arrangeais avec les collègues. Dedans, on est solidaire », explique Corentin. Un bout de pain contre du café, du gel douche en échange d’un paquet de pâtes. Certains racontent qu’ils s’arrangent régulièrement, y compris pour laver leur linge. Ce sont souvent les familles qui récupèrent les vêtements sales et les ramènent propres au parloir suivant. Tom (1), 32 ans et ancien détenu à Nancy (54), a plusieurs fois ajouté le linge de son co-détenu indigent au sien, pour que ses proches fassent ses lessives. Et lorsqu’ils sont libérés, certains offrent leurs affaires en partant.
Mais la bienveillance n’est pas toujours de mise. Les indigents sont vite repérés. En promenade, il y a ceux qui fument leur cigarette, et ceux qui se jettent sur les mégots écrasés sur le béton. Selon plusieurs détenus, le paquet de cigarettes peut se vendre entre 20 et 50 euros en détention. « Quand j’en ai vu un faire ça, je lui ai donné un paquet de tabac tout de suite », se remémore Karim (1), sorti il y a un mois de Mont-de-Marsan (40). Mais parfois, ces arrangements vont plus loin. Comme le raconte Chris (1) :
« Moi, je me suis vu rentrer des stups pour certains détenus, juste pour avoir des cigarettes ou un paquet de pâtes. Je rendais toutes sortes de services. »
Lui ne perçoit que quelques « mandats » de 50 euros, envoyés par sa mère de temps en temps. « Quand j’ai voulu arrêter [de rendre ces services], ils me sont tombés à cinq dessus à la promenade. » À 30 ans, il a connu quatre fois la détention, entre Épinal (88) et Nancy. Il se souvient aussi de la fois où il gardait huit téléphones dans sa cellule. Là encore, il a voulu arrêter par peur de se faire prendre :
« Le gars m’a dit : “Tu es mon commis, donc tu fermes ta gueule. Sinon demain à la promenade, je t’accroche dans les barbelés, je te tue et tu ressors les pieds devant”. »
Chris a compris qu’être indigent en prison, c’est être « à la merci des autres ». Ce rapport de force pousse parfois les proches à participer à ce chantage. C’est ce qu’a vécu récemment Stéphanie (1). Son conjoint est incarcéré à plus de 800km de son domicile. Pour lui envoyer 200 euros par mois, elle ne mange plus qu’un repas par jour et a arrêté sa mutuelle :
« On m’a dit que si je ne rentrais pas de stupéfiants et un téléphone, on allait s’en prendre à lui. »
Alors elle s’exécute. Après 13h de train, la peur au ventre, elle arrive au parloir avec du shit. Mais elle se fait vite repérer par un surveillant. Convoquée au commissariat, Stéphanie finit en garde à vue. Son mari, lui, a eu droit à 14 jours au mitard [cellule disciplinaire].
Cercle vicieux
Ce système de domination pourrait aller jusqu’à pousser les détenus à la prostitution, explique François Bès, de l’OIP. « En échange de produits cantinés, on rend un service sexuel. » Les personnes détenues sans ressources se retrouvent complètement « soumises » et dans une « dévalorisation extrême » ajoute François Bès.
À cause de ce trafic, Chris a vu sa réinsertion mise à mal :
« Quand on sort avec seulement 200 euros, on retombe vite… »
Il est tombé une première fois à 25 ans. En détention, il rencontre une bande qui le protège et s’occupe de lui. En échange, il fait entrer des stupéfiants. « Quand je suis sorti, je n’avais rien. Le “grand-père” [le doyen de cette bande] m’a récupéré. Je me suis mis à voler. Quatre mois après, j’étais de retour en prison. » Et ainsi de suite, jusqu’à se retrouver quatre fois derrière les murs, entre ses 25 et ses 30 ans.
Éric, lui, est sorti du centre pénitentiaire de Lille-Annœullin (59) en juin, quasiment sans un sou. Une fois dehors, il n’avait nulle part où aller, à part la rue. « Depuis que je suis sorti, je ne fais que le 115 [numéro de l’urgence sociale], c’est ma seule façon de m’en sortir ». À 45 ans, il est en attente de logement pour la fin du mois. Il espère reprendre rapidement un travail, et les 20 kilos qu’il a perdus en détention.
(1) Les prénoms ont été changés.
Photo d’illustration : Capture d’écran du film Un prophète.
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