Près de 400 membres répartis sur le territoire français qui s'entraînent à la baston et au maniement des armes. Enquête dans l’arrière-cuisine de Vengeance Patriote, le groupuscule d’extrême droite qui rêve de l'effondrement de la République.
Montpellier, le 16 mai 2020 – Il fait beau. Jules, 28 ans, flâne sur le boulevard Victor Hugo. Il tombe sur une bande de jeunes à la mine patibulaire qui l’interpelle de manière virulente. K-Ways et polos noirs… « Des fascistes », déduit-il de leur look. Il ne les connaît pas mais eux l’appellent par son prénom. Journaliste pour le média engagé le Poing et militant, Jules a sa petite notoriété. « Il y a eu une bagarre à 12 contre un », raconte-t-il sobrement. « Puis, ils ont pris la fuite. » Il prend quelques coups mais s’en sort sans rien de trop grave. La petite bande ne s’arrête pas là. Quelques minutes plus tard, ils détruisent les vitrines du bar associatif Le Barricade, prisé par la gauche radicale du coin. En début d’après-midi, on les retrouve au pied de la statue de Jeanne d’Arc, où ils participent avec une quinzaine de personnes à un rassemblement à l’initiative de la Ligue du Midi, interdit par les autorités locales. À la sortie de la manif, c’est encore ce groupe qui bouscule une journaliste de l’AFP .
Sur ces clichés se trouvent les membres de Vengeance Patriote qui ont agressé Jules, journaliste pour le média engagé le Poing et militant. / Crédits : DR
Au lendemain de cette journée musclée, deux photos sont postées sur le compte Instagram de Vengeance Patriote avant d’être effacées quelques jours plus tard. La légende indique « Reprise des rencontres avec l’équipe Languedoc-Roussillon. L’équipe de Nîmes a ainsi pu rencontrer l’équipe de Montpellier ». Le journaliste agressé identifiera formellement, sur le cliché que StreetPress lui présente, les hommes présents comme étant ses agresseurs. Un mois plus tard – les 20 et 28 juins – à Paris, d’autres militants de Vengeance Patriote jouent les gros bras devant les statues d’Étienne Marcel et Winston Churchill à l’occasion de manifestations antiracistes, pour disent-ils empêcher des « potentielles dégradations ».
Vengeance Patriote est une organisation des plus discrètes. À l’exception de Libération qui mentionne brièvement son existence au détour d’un article sur les velléités sécessionnistes de l’extrême droite, l’organisation n’a jamais été mentionnée dans la presse. Ses membres, environ 400 et répartis en une trentaine de sections sur tout le territoire, ne cherchent pas la lumière. Mais dans l’ombre, ils se structurent. Sur Internet d’abord où grâce à plusieurs forums Discord, pour certains privés, ils recrutent et discutent. Sur le terrain, ensuite, où des petites cellules locales se réunissent chaque semaine et s’entraînent à la baston. StreetPress a retracé son histoire depuis sa création (sous un autre nom) en 2018, interrogé ses militants et infiltré ses forums secrets. Enquête sur un groupuscule violent persuadé de l’effondrement prochain de la République.
Infiltration et salut fasciste
La structure s’appelle encore Monte une équipe quand StreetPress découvre son existence en novembre 2019. Leur logo est déjà un masque à la croisée des styles entre Punisher et Transformers. Un lien en bio de son compte Instagram renvoie vers un forum hébergé par Discord, une plate-forme surtout utilisée par les gamers. Pour commencer, il faut remplir un petit questionnaire : âge, sexe, région, sport pratiqué et intérêt pour le groupe. Une fois validées par les modérateurs, les recrues sont placées dans leur section régionale respective. Chacune d’elle possède son propre chef et bras droit, sa version du logo et un salut spécifique. Par exemple, la section des Hauts-de-France est baptisée la Garde du Nord. Elle utilise le salut romain : bras tendu et doigts serrés. Un geste surtout connu comme… Un salut fasciste.
Les cadres du mouvement nient pourtant être raciste. « Je n’ai jamais vu de propos infériorisant telle ou telle catégorie de groupes. De par le fait que nous sommes assimilationnistes, les quelques racistes qui arrivent repartent aussitôt de leur propre initiative », commente le modérateur du Discord surnommé « Verraf’ », interrogé par StreetPress. Tout en précisant que « cependant l’humour noir y est autorisé ». Le chef d’équipe est chargé de questionner les idées politiques des nouveaux membres. Pour réussir le test, il nous a suffi d’évoquer trois choses : les ouvrages du penseur antisémite Charles Maurras, une islamophobie décomplexée et un anti-gauchisme primaire. À partir de là, nous avons accès aux différents serveurs. Débute près d’un an d’observation discrète.
Fight club
Le serveur Discord regroupe plusieurs rubriques. Dans celle baptisée « rapports de terrain », les différentes sections locales publient photos et compte-rendus d’activité. Le plus souvent, il est question des entraînements au combat qui visent à former des « équipes » pour « nettoyer les rues de la racaille ». La section Île-de-France, et sa trentaine de membres, a mis au point un programme aux faux airs de camp militaire. Une à deux fois par semaine, ils s’entraînent au parc de Bercy, dans le 12e arrondissement. En plus de ces sessions « boxes », ils organisent des séances consacrées à l’usage du couteau et de la matraque. Certains membres expliquent aussi se rendre régulièrement à l’USM Malakoff pour s’exercer au tir. À Lille, on s’entraîne à la boxe au parc de la Citadelle. À Bordeaux, « VP » joue régulièrement du pistolet au club Girondins-Tir de Mérignac.
Une à deux fois par semaine, ils s'entraînent au parc de Bercy, dans le 12e arrondissement de Paris. / Crédits : DR
Sur le Discord, ils se vantent de leurs entraînements. / Crédits : DR
En plus de ces petits fight club, Vengeance Patriote propose des sorties culturelles. En septembre dernier, une petite délégation s’est rendue en Espagne pour un pèlerinage. Plus tôt dans le mois, d’autres militants se sont donnés rendez-vous pour visiter la cathédrale d’Amiens. Certains se passionnent pour l’urbex, d’autres (nombreux) proposent des apéros en terrasse. On retrouve aussi des équipes de Vengeance Patriote, brassard barré du logo au bras, dans les manifestations d’extrême droite. Ainsi, le 19 janvier, une trentaine de ses membres défile contre la GPA et la PMA, qu’ils considèrent comme l’un des symboles de l’écroulement idéologique de la société contemporaine. Rebelote le 10 octobre dernier, où une dizaine de Parisiens ont défilé à la manifestation Marchons Enfants.
Les équipes de Vengeance Patriote se retrouvent dans les manifestations d’extrême droite. Comme le 19 janvier, où une trentaine de ses membres défile contre la GPA et la PMA à Paris. / Crédits : DR
À l’image du collectif Nemesis dont StreetPress parlait ici, les militants de Vengeance Patriote revendiquent un « féminisme » à la sauce réac’. Un message de Colyne résume bien le point de vu du groupe :
« Il faut bien dire que c’est que 75% des bougnoules et des étrangers qui violent. »
Un sujet qui revient souvent sur le serveur Discord qui est avant tout une plate-forme de discussion pour ces jeunes nationalistes. On y cause « grand remplacement », « gauchistes » et « racaille » entre deux blagounettes racistes. Un forum baptisé « perles » est même dédié à cet humour douteux.
Sur le Discord, on cause « grand remplacement », « gauchistes » et « racaille » entre deux blagounettes racistes. / Crédits : DR
Les saillies racistes sont quotidiennes sur le Discord. Certains de ses habitués ne cachent même pas leur passion pour le fascisme et partagent des photos de leur collection d’artefacts du 3ème Reich. Le serveur Discord contient tant de propos et d’images qui tombent sous le coup de la loi qu’en février 2020, la plate-forme impose sa fermeture pour apologie de la haine. Ses membres crient à la censure et se déportent finalement sur Riot, un logiciel de messagerie crypté. Ils recréent tout de même un forum sur la plateforme Discord afin d’accueillir les nouvelles recrues.
Certains de ses habitués ne cachent pas leur passion pour le fascisme et partagent leurs photos d’artefacts du 3ème Reich ou de signes néonazi, comme la croix celtique. / Crédits : DR
Qui sont-ils ?
Vengeance Patriote n’est pas véritablement un mouvement politique dans la mesure où il n’a pas de corpus idéologique précis. « Il n’y a pas de dogme ni de doctrine à suivre », confirme à StreetPress Zodiac, un membre de la section Centre-Val-de-Loire. Tant qu’on est à l’extrême droite. Un adepte du groupe le résume ainsi :
« Chez nous, il y a du Rassemblement national, des Lesquenistes, de l’Action française, de la Dissidence française etc… On se sert de l’outil technologique pour discuter collectivement et se rencontrer. »
À sa tête aujourd’hui : Lucas S., sobrement appelé « Maître De Saint-Juste ». Cet ancien de l’Action française chapote la section parisienne et le réseau national. En parallèle, il dirige une petite maison d’édition nationaliste baptisée la « Bibliothèque dissidente » qui revendique la publication d’ouvrages interdits. On y trouve notamment Combat pour Berlin de Goebbels, La doctrine du fascisme de Benito Mussolini ou une traduction du manifeste du terroriste de Christchurch, responsable de la mort de 51 personnes. La « division féminine » de Vengeance Patriote est dirigée par sa femme, Elisabeth S., une catholique traditionaliste.
Les vrais créateurs
Si les époux S. sont à la tête de Vengeance Patriote, ils n’en sont pas les créateurs. Le projet débute en 2018 à l’initiative de stars de la fachosphère : les youtubeurs Le Raptor Dissident et Papacito. Le premier compte quasiment 700.000 abonnés sur sa chaîne principale où il alterne ses commentaires autour de sujets d’actualité et ses entretiens avec des personnalités d’extrême droite. Le second, Papacito – Ugo Gil Jimenez de son vrai nom –, s’est d’abord fait connaître pour sa collaboration avec le dessinateur Marsault pour le premier tome de la bande-dessinée Les FDP de la mode. Un bouquin publié chez Ring, maison d’édition d’extrême droite à succès.
À partir d’avril 2018, tous deux se servent de l’émission Les RDV dissidents sur la chaîne du Raptor pour diffuser et populariser le hashtag #MonteUneEquipe. Chaque dimanche soir, ils appellent en direct un jeune qui a monté la sienne dans sa ville. Sur YouTube, ça parle virilité et déclin de l’Occident. Ils développent aussi le site web MonteUneEquipe.com (depuis supprimé) qui, bizarrement, joue sur les codes esthétique… Du bien-être et des salons de massage. Le projet a la cote dans les milieux natios. Des centaines de jeunes nationalistes se regroupent un peu partout en France et les mentions Twitter de Monte une équipe explosent. Mais les deux initiateurs du projet se montrent incapables de structurer le mouvement. Dépassés à l’été 2018, les deux youtubeurs quittent l’aventure. Ils tentent aujourd’hui de faire oublier leur implication. Lucas S., l’actuel boss de Vengeance Patriote, regrette leur retrait. « Eux qui sont désormais pères de famille, en situation économique aisée, totalement intégrés au système, ils ont maintenant peur d’assumer leur dissidence et surtout : ils ont peur de tout perdre » et notamment « leur business », tacle le militant.
Dès 2018, ils commencent à recruter et diffuser le #MonteUneEquipe. / Crédits : DR
Après le départ du Raptor Dissident et de Papacito, en octobre 2018, le militant suprémaciste Daniel Conversano tente de récupérer les troupes. Le créateur de Suavelos (un site internet qui fédère des militants d’extrême droite, défenseur d’un séparatisme blanc) assume une ligne encore plus radicale :
« On est des européens ethniques, on en a plein le cul de l’immigration et de l’islam. Donc si vous êtes dans le même cas que nous, vous venez et puis c’est tout. »
En surfant sur le hashtag #MonteUneEquipe, il renforce les rangs de l’Équipe Paris, l’antenne de Suavelos dans la capitale. Ce groupe existe toujours sous le nom d’Équipe Communautaire Paris (E.C.P).
Un soutien au RN !
Au printemps 2019, le soufflet est un peu retombé. C’est à ce moment-là qu’une nouvelle équipe décide de relancer l’initiative. Tout d’abord sur le site JeuxVidéos.com, puis sur Instagram, Twitter et Facebook. Lucas S., désormais aux manettes, et sa bande impulsent une nouvelle vague de recrutement. Une division féminine et de nouvelles sections classées par région voient le jour. L’appellation Monte une équipe disparaît des réseaux sociaux au profit de Vengeance Patriote. Les divisions régionales deviennent des « gardes » qui se préparent à lutter, par la force s’il le faut, contre le « grand remplacement ». Elisabeth, membre du « premier cercle » fanfaronne :
« Nous avons des équipes dans toutes les régions françaises, parfois plusieurs dans la même région lorsque les membres sont trop éloignés les uns des autres. »
Sur le site JeuxVideos.com, puis sur Instagram, Twitter et Facebook. une nouvelle vague de recrutement commence. / Crédits : DR
Leur fantasme ultime : être prêt à prendre le pouvoir après l’effondrement programmé de la République. En prévision de ce grand collapse, ces militants d’extrême droite se passionnent pour le survivalisme. L’été, certains membres de VP se retrouvent dans une bicoque dans le sud pour s’entraîner.
Des membres de la section parisienne en sortie dans la capitale. Sur leurs photos, les membres de Vengeance Patriote aiment montrer les muscles. / Crédits : DR
Mais en attendant ce grand soir, certaines sections mettent leurs muscles mais aussi leur maîtrise des réseaux sociaux au service du Rassemblement national (RN). Un membre de la Garde du Nord détaille :
« On organise des collages et des contre-collages. On assure aussi la sécurité dans certaines manifestations. »
Contacté par StreetPress, Raptor Dissident déclare n’avoir « aucune idée de ce dont vous parlez ». Daniel Conversano, n’a pas répondu à nos question mais a fait allusion à notre demande sur Twitter Papacito, contacté par l’intermédiaire de sa maison d’édition, Ring, nous a fait savoir qu’il ne pouvait répondre à nos questions en raison d’une « retraite spirituelle ».
Vengeance Patriote a accepté de répondre par écrit aux questions de StreetPress. Nous avons inclus certaines réponses dans l’article. Ajoutons qu’ils revendiquent « plusieurs milliers de membres » . Ils expliquent avoir mis en place une « équipe de modération » pour éviter les débordements racistes et se déclarent « assimilationnistes »._
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