Jean-Fabien Leclanche a été adopté par Montreuil. Dans son dernier livre, le photographe tire le portrait de cette ville de Seine-Saint-Denis en transition.
Montreuil (93) – Comme à son habitude Jean-Fabien Leclanche sirote son Perrier à la terrasse de l’Escale, en face de la Place du Marché. Les derniers effluves de poisson, d’olives et d’épices des stands presque remballés s’en échappent. Casquette Kulte sur la tête, cigarette électronique à la main, le photographe raconte la genèse de son dernier livre sorti fin 2019, « Les chroniques de Montreuil ». « Plutôt que de dire qu’il y a des problèmes de mixité sociale à Montreuil, je préfère montrer cette mixité pour dire qu’elle existe quand même. »
L’habitué salue tout le monde. C’est son deuxième livre sur une ville qui l’a adoptée en 1999. Avec son IPhone et son appareil Fuji, Jean-Fabien Leclanche a arpenté toute la ville, de 2014 à 2019. « Tu as 10 % de la population qui vit avec moins de 7.500 euros par an ; 30% est considérée comme “classe ouvrière” avec moins de 22.000 euros par an. Et 40 % est “classe moyenne” et vit avec plus de 22.000 par an », explique-t-il. Alors il a voulu tirer le portrait de cette banlieue en transition :
« La gentrification a changé le visage de la ville. »
Pour StreetPress, Jean-Fabien Leclanche revient sur sept de ses images, entre le Haut-Montreuil de la précarité et le Bas-Montreuil plus aisé.
Rue de Paris. / Crédits : Jean-Fabien Leclanche
La rue de Paris
« La première fois que je suis rentré dans cette rue en scoot, je suis tombé sur ce mec qui cavalait avec les menottes et les mains dans le dos, les flics au cul. La rue de Paris a conservé ce côté chaos, jungle urbaine… »
Le marché du dimanche à Croix de Chavaux / Crédits : Jean-Fabien Leclanche
Le marché du dimanche à Croix de Chavaux
« C’est Montreuil dans son jus le plus concentré. Après le marché du dimanche, tout le monde venait au café l’Escale avec son bout de sauciflard, son poulet, ses crevettes ou son taboulé. Quelque chose s’était créé entre les Montreuillois, les vieux anars, les rockeurs, les Kabyles, les Tunisiens où tout le monde partageait un moment.
Jusqu’au jour où est arrivé un gentrificateur à la con. Il a fait descendre un huissier avec un sonomètre pour mesurer les décibels à l’entrée du bar. Lui qui est venu acheter à 8.000 euros son mètre carré, qui voulait la banlieue authentique, il a détruit un bout d’histoire de la ville juste pour avoir la paix. »
Happy milf party. / Crédits : Jean-Fabien Leclanche
Happy Milf Party
« Les soirées Happy Milf sont organisées par des jeunes du coin à la Marbrerie. Ils représentent la funk à Montreuil et ils ont un label éponyme, ainsi que leur shop Beers and Records. Ça tabasse à mort. Leurs soirées font partie des rares qui m’ont émerveillé. Tout à coup, tu as tous des jeunes de cité, des vieux bobos comme moi, des mecs de cinquante piges, des petites meufs, tout le monde réuni là, en osmose. C’est extrêmement précieux et rare. »
Coupe du monde 2018. / Crédits : Jean-Fabien Leclanche
Coupe du monde 2018
« Sur la place du marché, le mec du bar a installé un écran géant et a sorti des tireuses à bière. En l’espace de quatre heures, 5.000 personnes ont déboulé de nulle part. Des jeunes, des vieux… Tous les statuts sociaux étaient réunis pour regarder les matchs et faire la fête. »
Une cohabitation à l'épreuve. / Crédits : Jean-Fabien Leclanche
Une cohabitation à l’épreuve
« Ces deux photos vont de pair. Ce tag – “Bobos colons à 500 mètres” – annonce une guerre qui n’a pas vraiment lieu. Mais c’est l’expression d’une période de frictions, au moment où Montreuil se tourne ouvertement vers Paris. Il devient difficile de pouvoir y vivre correctement lorsque l’on est précaire. À droite, le marché des Biffins [ces vendeurs de rue d’objets de recup’]. C’est chaque mois, sur la place du marché. Grâce au travail de l’association Amelior, les biffins qui se sont fait refouler de la porte de Clignancourt et du marché aux puces de Saint-Ouen ont été accueillis afin de pouvoir proposer leurs objets récupérés dans la rue sans être pénalisés ni interdits. Pauvres parmi les pauvres, les biffins sont considérés par certains comme de véritables précurseurs en matière de recyclage éthique. »
L'alimentation générale. / Crédits : Jean-Fabien Leclanche
Alimentation Générale et CityMarket
« Icônes de la banlieue éternelle, les épiceries de nuit brillent comme un phare dans la nuit. Celle-ci était tenue par un petit vieux. Évidemment, il s’est barré ! Il n’a pas tenu face au CityMarket qui a débarqué. L’épicerie a été remplacée par une alimentation de produits bios, avec la cagette en bois certifiée vintage et des légumes qui coûtent une blinde. Ce petit épicier de 80 ans a été remplacé par un jeune épicier de 30 ans, qui a multiplié les prix par quatre. Et lui, il tient. »
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