12/02/2020

Le bâtiment doit être détruit

« Ils laissent les locataires à l’abandon pour les forcer à partir »

Par Christophe-Cécil Garnier

Au bâtiment 4 de la cité Franc-Moisin, les habitants galèrent entre les pannes d’ascenseurs, les inondations et les coupures d’eau chaude. Ils accusent leur bailleur de laisser le bâtiment se dégrader avant sa destruction programmée.

Saint-Denis (93) – La tempête Ciara souffle fort sur le bâtiment 4 de la cité Franc-Moisin. Une trentaine de personnes se sont confinées dans le hall d’entrée du n°45. La grisaille plonge dans la pénombre le petit couloir et la lumière ne marche pas. À environ un kilomètre, l’équipe de France de rugby est en train de l’emporter face à l’Italie au Stade de France. Mais les habitants du bâtiment 4, eux, sont pris dans un autre genre de mêlée avec leur bailleur, Logirep. Alors ce dimanche 9 février, ils se sont donnés rendez-vous pour parler des problèmes qu’ils rencontrent et des futures actions pour se faire entendre.

Depuis 2016, la cité du Franc-Moisin est visée par un projet qui doit désenclaver le quartier, qui a vu le tournage de films comme La vie scolaire de Grand Corps Malade ou L’Esquive d’Abdellatif Kechiche. Le projet prévoit la destruction de 477 logements sociaux sur les 1.800 du quartier et la construction d’appartements privés. C’est surtout le bâtiment 4 qui est concerné par ce plan de rénovation. Haut de 13 étages, il accueille 291 logements répartis sur plusieurs cages d’escaliers qui vont du n°25 au 45. Les habitants l’ont rebaptisé « la Muraille de Chine ».

Au n°45, les habitants se sont rassemblés pour protester contre les manquements de leur bailleur, Logirep. / Crédits : CCG

Destruction programmée en 2025, alors entre 2020 et 2023 l’essentiel des habitants seront priés d’aller voir ailleurs. Tous devraient être relogés, même s’ils ne savent pas encore où. Mais surtout, selon les riverains, le bailleurs n’entretient plus vraiment l’immeuble promis à la destruction. « Ils laissent le bâtiment se dégrader et les locataires à l’abandon, pour les forcer à partir et ne pas s’occuper de leur relogement », estime un Franc-Moisin. « Logirep n’en est pas à son coup d’essai. Ils veulent la gentrification et chasser les classes populaires. Il faut qu’on se batte », lance de sa voix forte Nelly Angele, représentante du conseil citoyen du nord-est de Saint-Denis.

Des ascenseurs en panne

« Vous notez les problèmes ? Il va vous en falloir des pages ! », lance en rigolant un homme au grand manteau vert, qui domine tout le monde d’au moins deux têtes. Ici, tout le monde a déjà eu des problèmes d’ascenseurs. Parfois jusqu’à trois semaines. Un des habitants raconte l’histoire de sa voisine asthmatique :

« Avec les pannes, elle ne descend jamais, c’est trop dur pour elle ».

La femme d’Abdulhamid, elle, est enceinte. Son mari a appelé l’entreprise de réparation pour qu’elle intervienne rapidement. Cette dernière lui a dit qu’elle avait fait un devis « mais que Logirep ne répond[ait] pas ». Il a fallu attendre une dizaine de jours par la suite que le bailleur valide le devis et que les réparateurs interviennent. « Et encore, quand l’ascenseur a été réparé, le technicien a dit qu’il faudrait tout changer pour que ça ne retombe pas en panne. Mais Logirep ne veut pas investir plus », précise un militant de Saint-Denis, qui soutient les habitants du bâtiment 4. À certains endroits, c’est encore pire. Comme au numéro 25 où il n’y a pas d’ascenseur depuis le 3 janvier.

Au n°25, il n’y a pas d’ascenseur depuis plus d'un mois et demi. Logirep invoque un « acte de vandalisme ». « C'est assez pénible, c'est vrai », concède Eddy Bordereau, directeur du patrimoine, et promet qu'il fonctionnera bientôt. / Crédits : CCG

Cinq jours sans lumière et eau chaude coupée

Là-bas, l’appartement d’une des habitantes a été inondé et l’électricité a dû être coupée. Elle n’a jamais eu d’interlocuteur chez Logirep. Elle a passé cinq jours sans lumière avant de se résoudre à quitter son appartement car elle ne pouvait pas cuisiner sans électricité. Elle a fini par déménager pour quelques jours chez sa fille le temps que l’inondation soit terminée. À l’écoute de ce récit, une femme s’exclame :

« On vit et on est traité comme des animaux ! »

Les histoires se poursuivent. À certains endroits, c’est parfois l’eau chaude qui est coupée durant plusieurs semaines. Comme au n°45 au début de l’hiver, selon des Franc-Moisins. Pareil pour le chauffage, régulièrement en panne selon Abdulhamid. Après les pannes, il faut relancer les radiateurs, « ça fait qu’on en consomme plus et donc on paie plus cher ! », détaille le bonhomme.

Pendant trois semaines, l'ascenseur d'Abdulhamid a été en panne. « Quand on est avec les courses ou les bébés… Ce n’est pas facile », déplore-t-il, alors que sa femme est enceinte. / Crédits : CCG

Mohammed prend la parole et parle des boxs inondés dans le parking. « Ils sont inutilisables sauf pour l’élevage des poissons ! Il faut mettre des bottes pour prendre la voiture », tonne cet homme à la veste indigo et aux cheveux poivre et sel. Le problème date du mois de juin selon les habitants.

En plus de payer les boxs inondés, les habitants comme Mohammed paient 5 à 6€ de caméras, que Logirep a ajouté dans les parking : « Je vous mets au défi d’en trouver une qui marche ! » / Crédits : CCG

Un dialogue de sourds

Ces situations alimentent la colère des habitants face à ce bailleur qui ne leur « répond même pas, c’est du mépris ». « Tout marche au harcèlement. On est à bout », témoigne une résidente du « B4 » qui multiplie les appels téléphoniques. « Il faut qu’on soit traité sérieusement, parce qu’on paie notre loyer. Si on laissait autant de temps d’attente qu’eux, on serait expulsés ! », estime Abdulhamid.

Face aux critiques, Logirep assure que tout est fait dans les règles. « Aujourd’hui, on est dans l’ère de l’instantané. Et quand il n’y a pas de résolution instantané, ce n’est pas apprécié », lance Eddy Bordereau, directeur du patrimoine de la société, qui accuse les habitants d’exagérer. Et si les ascenseurs tardent à être réparés, ça serait même de la faute de certains habitants qui refusent de laisser les réparateurs faire leur travail, soutient le directeur de Logirep :

« Ce n’est pas toujours facile d’intervenir quand on est une entreprise sur le site de Franc-Moisin. C’est un problème pour nous de trouver des entreprises qui acceptent de travailler régulièrement sur ce quartier. »

Les boxs sont inondés et inutilisables pour certains habitants. Logirep assure qu'elle cherche l'origine de l'inondation, qui ne date pas de juin selon elle. « Tout le monde peut exagérer ». / Crédits : CCG