02/07/2018

On l'appelle le « tonton des drag-queens »

Fabien Lesage, le prince des soirées drag-queen à Paris

Par Nina Guérineau de Lamérie ,
Par Yann Castanier

Fabien Lesage est l’organisateur des JeudiBarrés, le show drag-queens le plus en vogue de la capitale. Depuis 2016, il participe à l’essor de cette culture. La « tata des drags » l’assure : « On vit l’âge d’or de la scène drag-queens à Paris ».

Bastille, 11e arrondissement – Deux mecs se déhanchent perchés sur des talons de 15 centimètres, apprêtés de chevelures flamboyantes blondes et rousses. Hommes le jour, Cookie Kunty et Helvetica Font, leurs noms de scène, deviennent drag-queens la nuit. « Elles sont magnifiques. Elles ressemblent à des poupées », commente Fabien Lesage, 34 ans et précurseur des shows drag parisiens, en terminant sa clope rue de Lappe. Ce soir, c’est lui qui les invite dans le bar le Street Art pour sa soirée JeudiBarré :

« Depuis un mois on fait un sans faute, c’est toujours plein. Il y a un vrai public queer qui s’assume et a envie de faire la fête. »

Fabien fait partie des grandes personnalités de la petite scène drag à Paris. Depuis 2016 et ses premières soirées, il a lancé des dizaines de nouvelles drag-queens, dont la plus connue est Cookie Kunty. Souvent peu connue du grand public, cette sous-culture fait pourtant son grand retour dans la capitale depuis à peu près cinq ans. « Il y a eu un essoufflement de la fête à Paris pendant une quinzaine d’années. L’ambiance était morose. Ce qui a également touché la scène drag et gay. » Quand Fabien se lance dans l’organisation de show drag en 2016, tout est à faire. Si les drag-queens sont loin d’avoir disparu de la capitale, elles sont souvent reléguées à de petites apparitions dans de gros clubs. Mais en cette chaude nuit de mai, la centaine de spectateurs n’a d’yeux que pour Cookie Kunty et Helvetica Font, qui enchaînent les selfies. Pour Môôôsieur Jérémy, une des drags les plus vieilles et respectées de Paname, Fabien a une place essentielle :

« On a besoin de gens comme lui, qui nous soutiennent et qui créent des opportunités. Moi je préfère l’appeler la tata des drag-queens. Il est moelleux, ça lui va bien. »

Après un œil à sa montre, le bienfaiteur des drags enlève calmement Cookie et Helvetica à leur public. Il est temps de lancer le show.

Le Filip et Fabien se font des bisous. / Crédits : Yann Castanier

Encore des bisous avec Le Filip et Juno Dijkshorn. / Crédits : Yann Castanier

Les drag-queens ont un incroyable talent

Vêtu d’une chemise bleue à carreaux, Fabien est au fond du bar, penché sur son ordinateur. Il lance les musiques sur lesquelles ses stars vont performer. Il est l’homme de l’ombre, celui qui donne à ces créatures de la nuit l’espace pour s’exprimer. Cookie entre en scène pour un playback de Wannabe des Spice Girls, devant un public en liesse. La foule crie et danse avec la performeuse. « On est accro à ton clit ma chériiiie ! », s’époumone un de ses jeunes fans, entassé sur les autres. Tenues moulantes, paillettes, corsets, talons hauts, rien n’est trop extravagant pour les reines de la nuit. Quant à leurs visages, ils sont couverts de maquillage : fard bleu aux yeux, poudre rose aux joues et rouge aux lèvres. Une préparation longue et laborieuse, parfois même douloureuse, confie Cookie en aparté :

« Mais Fabien m’a toujours traitée en diva. »

Cookie la Diva. / Crédits : Yann Castanier

Cookie enchaîne les selfies. / Crédits : Yann Castanier

Fabien fait partie des premiers à avoir relancé la culture des shows drag-queens sur Paris. « Pendant la Manif pour tous, on s’est pris des vagues de haine et de rejet. Quand tu vis ça en civil la journée, le soir t’as envie d’oublier, de te déguiser, de te maquiller et de danser », explique le journaliste Jérémy Patinier, 35 ans. Il est la fameuse Môôôôsieur Jérémy. « Elle a été une de mes premières résidentes », confie Fabien tendrement. Ensemble, ils ont surfé sur le succès de la série de télé-réalité RuPaul Drag Race, énorme succès aux Etats-Unis. Ce remake d’Un Incroyable Talent version drag-queens a également acquis ses lettres de noblesse en France autour de 2016 via Netflix. Lorsqu’il en parle, Fabien s’emballe :

« J’ai regardé toutes les saisons. Ça me fascinait. J’ai même diffusé l’émission dans les afterworks gays que j’organisais à l’époque. C’était au fond du bar le Mastroquet, dans le 12e arrondissement. J’ai organisé ça comme un ciné avec un écran géant et des chaises. On était les seuls à faire ça à Paris alors que tous les bars des États-Unis les diffusaient en direct ! »

Fabien Lesage et sa grande barbe. / Crédits : Yann Castanier

Le succès est toutefois immédiat et ramène près de 150 personnes chaque jeudi. Ce qui plaît : une nouvelle génération de drags, caractérisée par sa désinvolture. Dans les années 80, les drag-queens portent un message politique et veulent casser les codes du genre. Aujourd’hui, la fascination pour ces personnages dépasse l’engagement, comme le résume Fabien :

« La culture drag-queen n’est plus tant une histoire de militantisme. C’est juste un art qui s’exprime. »

Licorne

Fabien a découvert la culture drag sur le tard. Jusqu’en 2015, il ne connaît personne du milieu. C’est son copain de l’époque qui lui met le pied à l’étrier. « Il y en a qui font du cheval, moi je fais des soirées », ironise l’homme à la barbe brune fournie :

« Mon ex était patron du Mastroquet, où j’ai organisé les afterworks gays, mais aussi mes premiers shows drag. »

Ça rigole avant la prestation. / Crédits : Yann Castanier

Fabien est toujours dans le cadre. / Crédits : Yann Castanier

Ses soirées séduisent la communauté queer. Sous l’impulsion des habitués, Fabien engage sa première résidente, Texia, drag old school des années 80. « Elle était là avec ses plumes et ses paillettes et accueillait les gens dans ses robes sequins. Ça faisait le jeu, c’était marrant. » Arrive ensuite Môôôsieur Jérémy. Celle qui est appelée « la grand-mère des drag-queens » assoit la réputation de Fabien. Et le public, conquis, s’agrandit. Il en profite pour inviter des nouvelles drags, cette fois novices, et tente de nouvelles scénographies :

« Pour la soirée Hollywood, on avait mis de la lumière et de la fumée dans la cave. Les drags sont arrivées par le monte-charge. J’avais un serveur qui montait le monte-charge à la manivelle. C’était incroyable. »

Dans le tranquille 12ème arrondissement, ses soirées ne passent pas inaperçues :

« Je voyais souvent de jeunes parents se décrocher la mâchoire en passant devant le bar ! »

De nature humble et réservé, avec toujours un mot gentil ou une attention pour son entourage, Fabien semble bien loin de l’extravagance des drag-queens. Même s’il a toujours détonné dans sa famille. Vêtements colorés, piercings, tatouages… Son dernier en date est une licorne gravée sur sa cuisse droite. « Ma mère trouve ça moche », rit doucement le graphiste. Mais rien qui arrive à la cheville de l’excentricité de ses performeuses. Sans parler de son côté rangé : il travaille pour la même entreprise depuis des années, il a des relations amoureuses longues et n’a jamais bougé de son quartier. « J’ai un côté assez casanier », conclut-il sans se départir de son sourire enfantin. Il ne s’est même jamais essayé à la drag :

« Je préfère les regarder. Je les trouve magiques. Quand une drag arrive, tu te dis : “C’est comme une licorne. Ça fait rêver, c’est beau et c’est plein de paillettes”. »

Le duo gagnant ! / Crédits : Yann Castanier

Nuée de bébés drag

Retour aux JeudiBarré. Cookie est à nouveau submergée par les demandes de selfies une fois sortie de scène. « Elle est la star de la soirée, les gens veulent tous la rencontrer ! », assure Fabien, fier comme un tonton. C’est lui qui l’a programmée en premier. Aujourd’hui, Cookie Kunty, alias Romain en civil, est l’une des drag qui travaille le plus sur Paris. Elle parle de Fabien avec énormément d’affection :

« C’est lui qui est venu me chercher. Il a senti mon potentiel et m’a donné ma chance. Fabien est un bichon. Il a toujours été adorable. »

Pour les bébés drag-queens, la JeudiBarré fait office de tremplin. Fabien et Cookie les encouragent souvent à monter sur scène. « L’ambiance est super bienveillante, familiale, ça donne confiance en soi », raconte Cookie en se remémorant ses débuts. Depuis 5 ans, des maisons et des dynasties de drags se sont formées. Les plus connues sont les dynasties Von Lear et Maison Chérie. Cookie fait, elle, partie de la House of Morue. Fabien explique :

« La dynastie c’est comme un parrainage. Y’a une espèce d’entraide. Si Calypso vient performer chez nous, Môôôsieur Jérémy vient la soutenir parce que c’est sa grand-mère. Si une drag de la maison Von Lear fait un show, toutes les Von Lear débarquent. » ]

Le show est psyché. / Crédits : Yann Castanier

Dernière danse de Evalyn, Cookie, Rose Bucket et Juno Dijkshorn. / Crédits : Yann Castanier

Et petit à petit, de nouvelles têtes ont fait leur entrée dans ce monde. Toujours grâce à la fameuse série RuPaul Drag Race diffusée sur Netflix, selon Fabien, ému :

« Les jeunes voient des drags super talentueuses et ils ont envie de faire des choses. En une année, j’ai vu l’âge de mon public diminuer de 10 ans ! J’ai toujours organisé des soirées pour des personnes qui pouvaient être moi. Aujourd’hui je me dis “ah mais ils sont tout petits !”. C’est un énorme essor de petits qui se cherchent. C’est mignon de les voir. »

Les créatures de la nuit sont sorties du Marais, dansent toutes les nuits et se font progressivement connaître dans le reste de Paris. Fabien l’assure : « On vit l’âge d’or de la scène drag-queen ». Il promet une explosion de soirées à la prochaine rentrée, enthousiaste :

« Ça n’arrête plus, c’est la phase ascendante et il y a de la place pour tout le monde. »

Lui continuera ses shows JeudiBarré. La tata des drag-queens a senti le vent venir, et il se tient prêt pour accueillir de nouvelles recrues.