Michael et Tad, deux étudiants d’origine arménienne, comparaissaient devant le tribunal de Nanterre, l’un pour avoir jeté de l’eau sur l’ambassadeur turc en 2015, l’autre pour l’avoir filmé. Un procès qui a très vite pris une tournure politique.
Tribunal de Grande Instance de Nanterre (92) – « Je pense que nous sommes davantage des victimes que des coupables. Nous avons agi en hommage à nos ancêtres », lance au tribunal, Tad, grosses lunettes sur le nez, veste beige sur tee-shirt bleu. Le jeune militant termine son allocution la voix tremblante. A ses côtés, sur le banc des accusés ce mardi 17 octobre, Michael ceintré dans son costume gris relis ses notes.
Les deux étudiants, le premier en science politique, le second en droit international, comparaissent devant le tribunal pour des « faits de violence » et de « guet-apens » pour avoir aspergé de l’eau rouge sur l’ambassadeur turc en mars 2015. Pendant les deux heures du procès, la défense va tenter de réfuter le caractère violent de l’action, mettant en avant l’aspect politique de l’affaire : les deux prévenus voulaient dénoncer le silence de l’état Turc sur le génocide arménien.
La story
Le 2 mars 2015, l’ambassadeur de Turquie en France d’alors, Hakki Akil se rend à l’université Paris Descartes, à Malakoff, pour une conférence sur le thème de la laïcité. Ayant eu vent de la présence du représentant turc ce jour là, les deux compères se rendent sur place. Tandis que Michael filme la conférence, Tad débarque quelques minutes après le début du discours, sors de sa poche une petite bouteille d’eau teintée de rouge, asperge l’homme et hurle « Fascistes, justice pour le peuple arménien ! » avant de remonter en vitesse l’escalier.
Il est très vite ceinturé par plusieurs hommes. Resté au premier rang, Michael tente de s’interposer « mais j’ai rien pu faire, ils étaient 6 sur lui ! » raconte le jeune homme, quelques jours avant son procès, dans un café du 15e arrondissement. Son pote est emmené au poste de sécurité de la fac pour attendre l’arrivée des flics qui le garderont 48 heures en garde à vue.
Quelques jours plus tard, Michael est convoqué au comico à son tour, comme bon nombre de ses camarades membres de l’association, Nor Seround : « ils ont retrouvé dans la tablette de Tad des compte-rendu de nos réunions, des messages. » D’abord simple témoin, il est considéré comme complice une fois que les policiers mettent la main sur la vidéo de « l’agression ».
Provocation
Une foule de soutiens se presse devant la porte de la 18e chambre, beaucoup d’arméniens, mais aussi des camarades de classe des deux jeunes gens. « C’est le bordel, c’est clair qu’on ne pourra pas faire rentrer tout le monde ! » souffle un policier.
A la barre, le président interroge Tad sur les raisons de la possession de colorant alimentaire rouge dans ses affaires lors de son arrestation :
« J’en avait acheté pour faire un gâteau pour l’anniversaire de mon oncle ! Et quand j’ai entendu parler de la conférence de l’ambassadeur, je me suis dit qu’il fallait faire quelque chose de marquant pour qu’on puisse parler du génocide arménien. »
L’événement se passe quelques semaines avant le centenaire du massacre de plus d’un million d’arméniens en 1915 que l’Etat turc n’a toujours pas reconnu comme un génocide. « Le jour de la célébration du centenaire, le 24 avril, l’Etat turc a choisi de célébrer une bataille de la Première guerre mondiale. C’est délibéré pour provoquer et ignorer le génocide arménien ! », s’énerve Tad.
Il nie cependant la préméditation, même lorsque le président lui fait remarquer que la veille de l’événement des messages ont été envoyé entre les membres de l’association Nor Seround qui faisaient penser à une préparation :
« Il y a eu une discussion mais sans statuer. J’ai pris la décision seul. »
Quant à la présence de Michael dans la salle, lui-même se défend :
« Je me tenais très attentif aux déclarations des représentants de l’Etat turc. Je pensais filmer toute la conférence pour relever des phrases polémiques. Quand j’ai compris le caractère hautement symbolique, j’ai diffusé la vidéo. Je ne pensais pas que ce serait répréhensible. »
Face à une salle moqueuse, l’avocat de l’ambassadeur démarre sa plaidoirie :
« Je voudrais rappeler qu’il y a une histoire du terrorisme arménien en France dans les années 70. »
Soupires d’exaspération dans la salle, « mais quel rapport ?! » s’énerve un membre du public. L’avocat termine difficilement :
« Voir quelqu’un foncer sur lui comme cela peut rappeler des mauvais souvenirs et provoquer un choc psychologique ! »
Dans une longue tirade, il compare les deux prévenus à « ceux qui n’étaient pas Charlie. On a voulu s’opposer, par la violence, à la liberté d’expression ! ». Nouveaux sourires dans la salle.
Tensions
Engoncé dans sa veste militaire, quand StreetPress le rencontre quelques jours avant le procès, Michael revient sur l’affaire :
« On a eu des soutiens assez inattendu comme la CGT Hôtel Prestige, RATP, des groupes anarchistes à Lyon, les juifs révolutionnaires, pas mal de Kurdes surtout, car on a une lutte commune ».
Mais le geste a provoqué des tensions dans les assocs arménienne :
« On n’a reçu aucun soutien de leur part. Ils ont jugé ça trop violent, ça a causé des dissensions et on est parti depuis. »
Au début, le tribunal propose une reconnaissance préalable de culpabilité. « En gros, on reconnaissait qu’on était coupable, on chopait une amende et c’est tout. »
Les deux jeunes gens refusent, préférant profiter du procès pour s’offrir une tribune politique :
« Et puis on ne s’estime pas coupable de violence et de guet-apens ! Ça va nous donner une parole et ça, ça va faire chier la Turquie. Pendant trois heures on aura le droit de parler, dans un cadre institutionnel. »
Le jour J, maitre Pradel, l’avocat des prévenus, rentre dans le lard :
« J’ai lu dans la plaidoirie de mon confrère une forme de mépris. Un mépris qui est le fil conducteur depuis le début de cette affaire. Et quand il parle d’atteinte à la liberté d’expression, on parle de la situation en Turquie actuellement ? »
Venu en soutien, apporter un point de vue historique à l’affaire, maitre Arapian, lui-même d’origine arménienne, s’insurge :
« Les victimes d’aujourd’hui n’ont toujours pas obtenu réparation, et on estime que jeter de l’eau, c’est de la violence ?! »
La procureure gardera pour autant la préméditation comme circonstance aggravante et requiert 3 mois de prison avec sursis.
Les deux étudiants prennent la pause pour les photographes. / Crédits : Lucas Chedeville
A la sortie du tribunal, Michael tente un sourire :
« Ça fait un choc quand on entend la demande de peine. Mais je suis content, les plaidoiries des avocats étaient super, même si j’aurais voulu qu’ils accentuent plus sur les répressions actuelles. »
Décision rendue le 28 novembre.