Elodie est maquilleuse de profession mais sa passion c'est la cuisine. Et grâce à une appli elle propose de vendre ses petits plats aux parisiens. StreetPress t'emmène dans les cuisines de ces cuistots semi-pro.
Sur la grande table du salon, quatre sacs en papier kraft sur lesquels ont été inscrits des noms au marqueur blanc. À l’intérieur un délicieux risotto à base de champignons, une part de moelleux au chocolat et un morceau de pain. Ce menu plat-dessert n’a pas été concocté par un chef professionnel, mais par Élodie, maquilleuse de profession et accessoirement fada de cuisine. À 19h45, la sonnette de son appartement retentit. Un livreur de l’entreprise Stuart. « Bonjour, je viens chercher la commande de Jean-Baptiste », lui lance le jeune homme, smartphone à la main et oreillette vissée à l’oreille. Élodie lui remet l’un des sacs. Le commis redescend les escaliers quatre à quatre, direction l’autre bout de la capitale. Le petit plat terminera sa route au fond de l’estomac de son client du soir :
« C’est la première fois que Jean-Baptiste me passe commande, commente la cheffe amateur. J’espère que ça lui plaira. »
Marre de manger dans des restos hors de prix, peu respectueux des conditions de travail de leurs employés? Ras-le-bol des fruits et légumes chargés d’OGM récoltés à l’autre bout de la planète? StreetPress publie son mini-mag’ papier consacré à la Food collaborative à Paris, histoire de réconcilier vos papilles avec votre éthique.
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Les slashers de la cuisine
Transformer la cuisine de son appartement en fourneaux capables de débiter des repas pour des clients ? C’est aujourd’hui possible en trois clics. Des applications permettent aux cuistots en herbe de vendre leurs meilleurs plats en les mettant en relation avec des fins gourmets. C’est ce que fait Élodie plusieurs fois par mois via l’application ComunEat. « J’ai découvert le concept en lisant un article dans Le Bonbon et je me suis dit que c’était génial », rembobine-t-elle. La jeune femme de 33 ans est fille de boulangers-pâtissiers. Si bien qu’elle est tombée dans la marmite quand elle était petite. « J’ai toujours aimé cuisiner. Mais depuis quatre ans, c’est devenu mon hobby principal. Je passe mon temps sur Pinterest ou dans les bouquins pour dégoter de nouvelles recettes. » Raviolis ricotta-épinards-noisettes cuits dans un bouillon de sauge, mayonnaise avocat-wasabi ou bar pané avec purée de gingembre : la jeune femme blonde à la silhouette élancée a plus d’un plat dans sa toque. Elle précise :
« Hier, j’étais dans une épicerie japonaise pour trouver du panko, une chapelure qu’on ne trouve que là-bas. »
Économie collaborative
Si Élodie s’est transformée en cheffe à ses heures perdues, ce n’est pas vraiment pour gagner de l’argent. La maquilleuse pratique seulement quelques soirs par mois, quand elle ne bosse pas sur un tournage ou une pièce de théâtre. À chaque fois elle cuisine entre 4 et 6 parts qu’elle vend 7,5 euros, le prix fixé par le site. Pas de quoi s’offrir un Thermomix. D’autant plus que la cordon-bleu veille à acheter des produits de qualité comme de la viande de boucher et des légumes bios. « La somme gagnée me permet surtout de rentrer dans mes frais », confie-t-elle. Elodie s’est mise à vendre ses plats surtout par passion et aussi un peu parce qu’elle a une idée derrière la tête. « J’envisage de me reconvertir dans le secteur de la restauration. Cuisiner pour des clients est un défi qui me permet de voir si cela me plairait vraiment en tant que métier », développe-t-elle. Des profils comme le sien forment la majorité des cuistots amateurs qui proposent leurs plats sur ComunEat. « Les trois quarts de nos chefs sont des passionnées, assure Mickaël Ittah, responsable marketing de la start-up. Le moteur n’est pas l’argent, mais de pouvoir partager leur amour de la cuisine. »
FoodChéri /
Crédits : Pierre Gautheron
De son quartier à tout Paris
Depuis qu’elle s’est mise à cuisiner pour des clients il y a six mois, Élodie a vu évoluer le réseau social de vente de petits plats. Au départ, ses clients ne pouvaient pas se situer à plus de 3 kilomètres de chez elle, favorisant ainsi les interactions au sein du voisinage. La cheffe amateur a aussi reçu une formation de la part des animateurs de la start-up afin de l’inciter à recevoir ses gourmets autour d’un verre de vin. Mais en réalité, seulement deux clients sur la quarantaine de personnes pour qui elle a déjà cuisiné sont venus chercher leur menu en main propre, l’immense majorité faisant appel à des livreurs. « Et encore, c’était en coup de vent. Nous n’avions presque pas échangé. Après une journée de boulot, faut dire que les clients n’ont peut-être pas envie d’aller chez quelqu’un chercher à manger », analyse-t-elle. Le modèle de la cuisine entre voisins semble avoir du plomb dans l’aile. D’ailleurs ComunEat permet à ses chefs de vendre désormais partout dans Paris et en proche banlieue. Plus que la proximité et la sociabilité, la start-up met l’accent sur la qualité en sélectionnant drastiquement les cuistots amateurs qui la fournissent en plats. Le prix aussi est attractif, car l’entreprise n’a pas de frais de cuisine. Ils sont 150 cuistots amateurs à la faire fonctionner. Elle ne prend pas non plus de commission sur les commandes. « À court terme, la rentabilité est impossible. Notre objectif est d’abord de créer une communauté », décrypte Mickaël Ittah.
Big Money
La plateforme préférée des chefs amateurs doit faire face à la concurrence d’un autre type de start-up. Comme ComunEat, Food Chéri propose sur son site des petits plats concoctés par des chefs. Mais ici, tout est préparé dans une grande cuisine collective à l’image de ce qui se fait en cantine. Caroline Vignaud, cheffe cuisine et responsable recherche et développement pour la start-up, nous emmène dans le centre névralgique de l’entreprise : la salle de « barquettage ». Une demi-dizaine d’employés originaires du sous-continent indien s’affairent à dresser des plats dans des Tupperware. Les repas ont été préparés dans une pièce adjacente de ce grand entrepôt de Montreuil (93) avant d’être envoyés dans l’un des huit hubs de l’entreprise disséminés un peu partout dans Paris. Des livreurs se chargent ensuite d’apporter les barquettes au client final.
Comme ses concurrents, Food Chéri joue la carte du homemade et de la proximité en mettant en avant ses cuistots, photos et prénoms à l’appui, au-dessus de chacune des recettes. Il s’agit en réalité des cuisiniers et des seconds de la start-up, tous employés en CDI dans le grand bâtiment. L’entreprise produit pour autant des plats de qualité, garantissant que ses viandes sont produites sans OGM ou que ses salades viennent de Picardie en circuit court. La responsable de la cuisine, Caroline Vignaud, 40 ans, est diplômée de HEC, mais surtout ancienne cheffe du restaurant Le goût sauvage à Saint-Lô (50). Elle se définit comme une militante contre la malbouffe :
« On a vingt ans pour changer le monde. C’est bien d’avoir son petit bout de jardin avec son potager, mais ce n’est pas suffisant face à l’urgence écologique. Si tout le monde faisait ce qu’on fait, ce serait déjà bien. Chez nous, si tu demandes : “Il y a quoi dans mon assiette ?”, tu peux répondre »
Qui des chefs amateurs ou de la cantine new-look révolutionnera l’heure de la pause-déj ? Aujourd’hui, Food Chérie sert 1 500 menus par jour. De son côté ComunEat préfère ne pas communiquer sur ses chiffres.