19/05/2017

Ratatouille et lien social

A la Goutte d’Or, une asso rêve de créer un café-restau participatif

Par Rodrigue Jamin

Dans le quartier parisien de la Goutte d’Or, un collectif se bat pour ouvrir une cuisine participative. En attendant ce lieu ouvert à tous, le 4C organise soupes populaires ou ateliers culinaires pour les vieux migrants.

« On sort tout du frigo et on démarre ! » Hélène distribue les ordres à sa brigade. Dans une petite cuisine prêtée par l’Institut des cultures de l’Islam, les quatre cuisiniers improvisés s’affairent sans broncher. Les fourneaux, ils n’y connaissent rien. Ces vieux migrants participent à un atelier pour apprendre les bases de la cuisine. Pour des raisons de santé, ils sont contraints de changer radicalement leurs habitudes alimentaires : diabète, excès de cholestérol…

Bouffer sain, c’est le créneau d’Hélène Tavera, origines malgaches, nom venu de Corse et passion pour la cuisine. Elle milite au sein du collectif 4C (collectif, café, cuisine, culture). Ils sont une vingtaine à se retrouver autour d’un constat : il manque un endroit « de retrouvailles dans le quartier. Sans être obligés de consommer ». L’asso créée en mai 2015 aimerait avoir son propre local. Le projet : un café resto participatif, quelque part entre le boulevard Barbès et les chemins de fer derrière la rue Stephenson.

Tablier de rigueur / Crédits : Rodrigue Jamin

En cuisine, Malak, Robert, Rachid et monsieur Karamouko écoutent attentivement les conseils de la militante de la graille. Peu de sel dans la préparation. Beurre banni de la cuisson. L’huile d’olive, elle tolère à peine. La sociale-cuisinière, tablier à carreaux serré sur les hanches et boucles noires en bataille, veille au grain. Le quatuor d’apprentis cuisiniers attaque chaque étape avec prudence. Ils confessent n’avoir pratiquement jamais mis un pied dans une cuisine.

Tout s’apprend

À leurs côtés, Camille, une jeune infirmière à l’air sévère. Spécialiste de l’éducation thérapeutique, elle participe au programme Asalee. Son rôle : servir de passerelle entre les médecins traitants et les ateliers où l’on soigne en apprenant.

« Tout le monde reconnaît ça ? », interroge Hélène. Monsieur Karamouko, chemise turquoise boutonnée jusqu’au col et crâne rasé de près, n’en a jamais vu. La cheffe de brigade prend le temps de l’explication :

« C’est un kiwi. C’est un fruit qui vient d’Australie. Mais, maintenant on en cultive chez nous aussi. On va en utiliser pour concocter notre salade de fruits »

On écoute les conseils de la cheffe / Crédits : Rodrigue Jamin

Le menu du jour : poulet et ratatouille de légumes. Avec quelques bouts de pain pour apporter la dose de féculents. Manger léger, c’est le leitmotiv de l’atelier culinaire. Tout en ciselant les oignons, Rachid, vêtu d’un tablier ramené par Hélène du Burkina Faso, explique les raisons qui l’amènent ici :

« L’hygiène, c’est super difficile. Il faut faire attention à sa santé. »

C’est la troisième fois qu’il vient écouter les conseils d’Hélène. Depuis, il essaye de les appliquer au quotidien. Seul chez lui, il est obligé de se prendre en main. Alors, pour éviter de se planter, les questions fusent : temps de cuisson, nourriture autorisée. Tout y passe. Le quinqua’ veut tout comprendre.

Bouillon de culture

Un matin de mars, nous retrouvons Hélène autour d’un café. Sans minuterie à gérer, l’activiste de la bouffe prend le temps d’expliquer son combat pour la Goutte d’Or. Comme pendant le cours de cuisine, son débit de parole impressionne :

« Ce quartier, j’ai l’impression d’y être née. Il a toujours été dans mon sillage. Ça fait mal quand on dit que c’est une no-go zone ! »

Ça sent bon par ici / Crédits : Rodrigue Jamin

Elle détaille son projet :

« Une cuisine associative, ça a toute son importance. On veut créer une cuisine à partager pour ceux qui n’ont pas les moyens et pour les associations qui font des événements. Le but, c’est de manger mieux et de créer du lien social. »

En attendant le local que les autorités tardent à fournir, le collectif investit la rue. En décembre dernier, ils avaient organisé une “soupe aux cailloux” puis, le 25 mars, ils ont remis le couvert avec, cette fois, une “soupe à la grimace” à deux pas du marché de Barbès. Le concept, simple et convivial, laissait le choix aux passants : apporter un légume, en peler un à coups d’économe ou poser pour une photo, le temps d’une grimace. Ensuite, direction le comptoir improvisé en pleine rue pour profiter d’un bol de soupe.

« Tout ce qu’on fait, c’est essayer de rapprocher les gens et de faire rencontrer les cultures. Y a du social derrière. Et notre vecteur, c’est la bouffe. »

Distribution de soupe pour tout le monde ! / Crédits : Rodrigue Jamin

« Allez, on se sert. On est comme à la maison »

Retour aux fourneaux, le poulet mijote encore. Pour la première fois, Malak peut s’asseoir. Après un accident qui l’a brûlé, il ne travaille plus depuis un an et demi. L’ancien peintre en bâtiment a pris du poids. Sa santé s’est dégradée. « Je suis déjà venu deux fois, explique-t-il. C’est très utile. J’essaie de l’appliquer au quotidien. Quand je peux. » Le grand gaillard, casquette vissée sur la tête, repart même avec un cuiseur-vapeur prêté par Hélène. « Mais ce soir, je ne vais même pas manger », glisse-t-il en riant.

Poulet cuit, Hélène sert la brigade de cuistots devenus goûteurs. Chacun dose la quantité qu’il avale. Tous mettent un point d’honneur à finir ce qu’ils ont fièrement concocté. Au moment de partir, Malak propose le thème du prochain atelier :

« On pourrait peut-être apprendre à faire les courses ? »

Validé ! Ca sera au programme du prochain atelier. La troupe partie, Hélène est rejointe par une autre militante du 4C venue faire la plonge. À six dans un si petit local, on se marche vite dessus :

« Ça ira mieux quand on aura notre cuisine à nous ! »

Pas convaincu convaincu par la cuisson / Crédits : Rodrigue Jamin