Après 3 ans d'absence, M.I.A revient avec son nouvel album A.I.M. A StreetPress elle raconte ses voyages dans les camps de réfugiés en Inde et en Grèce, son interdiction de séjour aux Etats-Unis et ses virées incognito dans le quartier Tamoul de Paris.
A deux pas des Champs-Elysées, Paris 8e – De ses ongles impeccablement vernis, M.I.A tapote sur une table basse en verre fumé. Installée dans une chambre d’hôtel grande comme la rédac de StreetPress, elle trône au milieu d’un essaim d’assistants, de maquilleurs et de coiffeurs prêts à tout pour la satisfaire. A sa gauche, une petite assiette de crevettes tempura. Pendant la demi-heure d’interview, la jeune femme, chignon en bataille et chemisier gris taupe, en croquera plusieurs, sans jamais se départir de son air si bright.
M.I.A, de retour avec un nouvel album (intitulé A.I.M) après 3 ans d’absence, n’a pas changé. De la lutte contre la NSA, en passant par la défense des réfugiés jusqu’à ses prises de position en faveur des tamouls (son père est l’une des figures du combat pour l’indépendance de cette ethnie au Sri Lanka), elle est sur tous les fronts. Résultat ? Des polémiques à la pelle et une “interdiction de séjour aux USA”:http://pitchfork.com/thepitch/1165-mia-vs-the-system-a-complete-timeline-of-her-controversies/ qui dure et entrave la bonne marche de sa carrière. « J’ai payé le prix pour certaines positions », finit-elle par lâcher.
On a parlé politique avec la pop-star britannique : son clip “Borders” tourné dans des camps de réfugiés en Inde, sa rencontre avec Julien Assange et son admiration pour Jeremy Corbyn, le leader du parti travailliste anglais.
Cela fait 3 ans que l’on ne t’a pas vu. Qu’est ce que tu as fait pendant tout ce temps ?
Je me suis occupée de mon fils. J’ai veillé à ce qu’il ne grandisse pas mal. On a quitté les États-Unis pour la Grande-Bretagne. Il a fallu lui trouver une école à Londres. Tous les deux, on est passés dans tellement de turbulences. Pendant ces 3 ans, j’ai dû faire face à deux procès, dont l’un intenté par la NFL [suite à son doigt d’honneur en direct lors de la mi-temps du Superbowl en 2012, ndlr]. C’était difficile, je me suis battue toute seule. Aujourd’hui, beaucoup d’artistes se vantent d’être engagés, c’est même devenu cool. On verra ce qu’ils diront quand ils traverseront les mêmes épreuves.
Tu as annoncé que c’était ton dernier album en tant que M.I.A. Peux-tu nous expliquer cette décision ?
J’ai appris beaucoup de choses grâce à la musique : à propos des gens, du monde, de la culture, de la jeunesse, des systèmes, des corporations, des riches, des pauvres, des noirs, des blancs… Aujourd’hui, je ne vois plus ce que je pourrais découvrir de plus. Je dois faire autre chose. Pour le moment, je ressens surtout le besoin de m’en aller, de penser différemment. Ce qui ne veut pas dire que j’arrête la musique pour toujours. Je continuerai peut-être à donner de la musique à mes fans mais sous une autre forme.
C’est pour ça que je voulais appeler mon album Matahdahta. C’est un concept que j’ai inventé : c’est une version religieuse des métadonnées. En fait, tout mon travail, je le vois comme une partie de mon journal. De ce que je laisserai au monde.
On a beaucoup parlé de toi récemment pour le clip de Borders. Peux-tu revenir sur l’histoire de cette vidéo ?
En 2015, je suis partie en Inde pour rencontrer des réfugiés tamouls qui vivent dans des camps à travers le pays. Il y a presque 120 camps en Inde. Chacun d’eux abrite entre 4.000 et 5.000 personnes. Deux générations de tamouls se sont succédées dans ces camps. Certains ont vécu là tout leur vie. Une grande partie d’entre eux sont apatrides.
Pendant que j’étais sur place un bateau a coulé en pleine Méditerranée avec 1.000 réfugiés à son bord. Je me suis dit qu’il fallait que je connecte cette actualité avec ce que je voyais en Inde. C’est comme ça que l’idée de Borders m’est venue. Je devais faire un film.
Tu as visité d’autres camps de réfugiés depuis ?
Oui. Je reviens de Grèce. Je voulais aller à Calais mais je me suis dit que beaucoup de gens se rendaient déjà là-bas. Quand on est arrivés à Athènes, on a réalisé que les frontières [avec l’Europe, ndlr] étaient fermées, que les réfugiés étaient coincés et que la situation était difficile.
On est allés dans plusieurs camps, notamment celui installé dans l’aéroport d’Athènes. Là-bas, 500 personnes vivent dans l’attente de leur expulsion. Puis, on est allés dans un autre camp, au milieu de nulle part. Là-bas, des enfants naissent en plein champ, sous une température de 35 degrés. Sans ombre, sans arbres, sans rien. On a rencontré un Syrien qui nous a expliqué que la nuit, il n’arrivait pas à dormir parce que des serpents et des scorpions rôdaient autour du berceau de son bébé. Dans ces camps, les gens réfugiés n’attendent qu’une chose : la fin de la guerre. Personne ne veut vivre dans ces conditions.
Tu as voté au Brexit ?
Pourquoi tout le monde me pose cette question ! Je ne veux pas parler du Brexit. M.I.A…XIT. Je ne me suis pas investie dans la campagne. Tout le monde me déconseillait de parler de politique et me disait de me taire. Je n’ai pas voté parce que ce jour-là mon fils avait une intoxication alimentaire, je ne pouvais pas aller au bureau de vote. C’était frustrant mais j’ai du choisir d’être une maman. Mais bien sûr que j’aurais voté pour le Remain.
Certains politiques trouvent grâce à tes yeux ?
J’aime beaucoup Jeremy Corbyn [le leader du parti travailliste anglais, ndlr]. D’une perspective asiatique, je le vois comme un yogi. Tous les jours, il est dans l’œil du cyclone : les gens ne cessent de le critiquer. Et il est si calme. Tu vois qu’il a traversé des épreuves et qu’il n’a pas été soutenu depuis le début. J’espère qu’il tiendra. Pour moi, ce qui fait la différence entre deux hommes politiques, c’est l’expérience. De ce point de vue là, Corbyn ressemble à Julian Assange. Comme lui, il représente quelque chose parce qu’il a assumé les conséquences de ses actes.
Comment as-tu rencontré Julian Assange ?
C’était en 2012. J’ai composé la musique de son émission [The World Tomorrow, diffusée en 2012 sur Russia Today, ndlr]. C’est comme ça qu’on s’est rencontrés. Il est venu dans mon studio me dire ce qu’il pensait de la musique. Et il avait vraiment des opinions tranchées sur le sujet. Récemment, il m’a demandé s’il pouvait utiliser ma chanson pour la préface de son livre.
Que penses-tu de la situation en France ?
En France, on essaie de nourrir la haine, la peur, d’instiguer le trouble quand les gens marchent dans la rue. Il faut briser le cercle de la haine et ne pas répéter les actions qui vous ont mis dans la situation dans laquelle vous êtes. Et c’est ce sens que je donne à l’expression Fly Pirates : il faut être au-dessus de tout ça. Il y a tant de choses à faire. Tant de fréquences sur lesquelles on peut se brancher.
Il y a un quartier tamoul à Paris. Tu y es déjà allée ?
Ouais, j’y vais tout le temps, c’est à côté de la gare. J’adore, je vais manger là-bas à chaque fois que je prends le train. Les gens ne me reconnaissent pas, j’y vais incognito. Parfois j’y achète des bijoux. J’engage la conversation avec des inconnus. Certains doivent se dire que je suis bizarre !
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