En 2012, 3 parisiens ouvrent leur premier bar autour d’un concept simple : mélanger jeu vidéo et fête. 4 ans après, les fondateurs ont créé un petit empire avec plus de 15 spots en Europe et une team de gamers. StreetPress rejoue la partie.
Passage Thiéré, Paris 11e – Comme chaque samedi, le Meltdown est noir de monde. Derrière le zinc, un brun en t-shirt noir barré d’une inscription « staff » enchaîne les cocktails. Pour passer commande, il faut se faufiler entre les groupes de danseurs agglutinés sur la piste centrale et les spectateurs des parties de jeux vidéo. « C’est sûr qu’on est mieux chez soi pour se concentrer », lâche Maxime absorbé par sa partie de League of Legends sur PC. Il complète tout sourire :
« Mais c’est plus fun de se retrouver avec plein de monde pour faire ce qu’on aime. »
C’est là toute l’originalité du concept : regrouper dans un même lieu gamers et fêtards. On vient au Melt’ pour boire et faire la teuf, mais aussi et surtout quelques parties. Tous les hits du moment sont là, gratuitement mis à la disposition du client : League of Legend, Heroes of the Storm, Street Fighter V… Ici, le gaming est un sport comme un autre. Les clients sont à la fois pratiquants et spectateurs. Le bar a même ses peoples : les stars du e-sport y passent régulièrement. Ce samedi soir, Kayane, une championne de Street Fighter, serait dans les locaux nous assurent quelques-uns de ses fans.
Tu peux danser ou jouer ! / Crédits : Denis Meyer
Du côté gamers, ça ne rigole pas / Crédits : Denis Meyer
Le Meltdown a su proposer aux geeks un spot ultime pour faire la fête, ce qui a fait son succès. En quatre ans seulement, ses trois fondateurs ont ouvert plus d’une quinzaine de bars disséminés dans plusieurs pays d’Europe, un magazine et même une équipe de joueurs sponsorisés. Un véritable empire.
Le premier bar
Situés dans un immeuble discret près de Château d’Eau, les bureaux de Meltdown ont tout de la start-up. Les murs blancs sont encore neufs et impersonnels. En guise de déco, des présentoirs en carton aux couleurs des jeux du moment. Dans l’open space studieux, un employé teste un jeu de tirs récemment sorti. C’est dans l’une des deux salles de réunion que Sophia Metz et Manolack Sana Nikone, les dirigeants de l’entreprise, nous reçoivent entre deux rendez-vous. Ces parisiens quasi-trentenaires ont fondé la société avec leur associé Yann-Cédric Mainguy.
Au quartier général / Crédits : Denis Meyer
C’est en 2011 que germe l’idée d’un bar centré autour du sport électronique, raconte Sophia. La grande brune au débit posé bosse alors dans la com’. A l’époque, le gaming n’en est qu’à ses balbutiements, mais un phénomène est en train de prendre son essor aux États-Unis : les barcrafts. Des soirées événementielles organisées autour de Starcraft, l’un des jeux en ligne les plus populaires au monde. Sophia se lance dans l’aventure :
« Avec Yann-Cédric, j’avais commencé à organiser des barcrafts dans des endroits qui ne sont pas dédiés à ça. J’ai eu envie d’avoir un lieu un peu plus permanent. »
L’année suivante, ils passent à la vitesse supérieure. Sophia et Yann-Cédric mettent la main au portefeuille. Chacun sort un tiers des 150.000 euros nécessaires au démarrage. Un proche allonge le reste. Ils sont vite rejoints par Manolack, ami d’enfance de Sophia. Les 3 forment une petite dream-team aux rôles bien définis. Manolack, qui a bossé dans le secteur, gère la restauration. Yann-Cédric, ex-CM dans le jeu vidéo, et Sophia s’occupent de la communication, de l’administratif et de l’identité visuelle. Courant 2012, le tout premier Meltdown ouvre du côté de République, dans 42 tout petits mètres carrés. Dans le monde de la nuit, on ne donne pas cher de leur peau.
La suite donne très vite tort aux haters. Manolack, plus cadre dynamique que geek, avec sa petite chemise portée sans cravate, rembobine l’aventure, smile aux lèvres :
« On a été rentables dès le premier mois. Un trimestre plus tard, on avait doublé le chiffre d’affaires. »
Il veut faire croire qu'il bosse / Crédits : Denis Meyer
La naissance d’un petit empire
L’ascension est fulgurante. Un an et demi plus tard, le bar déménage pour de plus grands locaux à Bastille. Dans le petit milieu du gaming, tout le monde parle de ce nouveau spot. Les 3 entrepreneurs reçoivent des demandes d’un peu partout : les gens réclament un Meltdown dans leur ville. « Quand on a vu le succès du premier bar, on s’est dit “on fait quoi maintenant ?” » Manolack poursuit :
« Est-ce qu’on ouvre en France ou dans d’autres capitales ? »
Ils choisiront de s’étendre à l’international. Début 2013, ils ouvrent 2 autres bars, l’un à Berlin et l’autre à Londres.
Pour accélérer encore sa croissance, Meltdown fait évoluer son concept. En 2014, un nouveau bar ouvre à Montpellier, cette fois sous franchise. Les mois suivants, ils poursuivent les ouvertures : Lille, Strasbourg, Toulouse, Aix-en-Provence, mais aussi Lisbonne, Cologne, Valence… De septembre à décembre de cette année, ils ouvrent « un ou deux bars par mois. Un moment, on a ouvert six franchises en trois mois », énumère Yann-Cédric, joint par Skype.
Et la petite bande ne compte pas s’arrêter. Le siège parisien affirme recevoir « entre cinq et dix demandes de franchises par jour ». Elles sont scrupuleusement étudiées et drivées par une dizaine de salariés. Sophia détaille :
« On regarde la capacité de la personne à réaliser le projet, ses capitaux disponibles, ses expériences, le potentiel de la ville… [Si le projet est validé], on va les aider à chercher un local, leur fournir le site Internet, les sponsors, tout ce qui est com’… Tout un programme pour les accompagner. »Et bien-sûr une partie des bénefs atterrie dans la poche de la maison-mère.
Meltdown, une cash-machine
Meltdown, c’est aujourd’hui 3 bars gérés en propre (Paris, Berlin et Londres) et 13 autres franchisés un peu partout en Europe. En 2014, le chiffre d’affaires de la holding parisienne dépassait déjà les 300.000 euros. Ses fondateurs se refusent à entrer dans le détail. On saura seulement que « la moitié vient des bars en propres, un quart des franchises et un quart des évènements corporate et du sponsoring ».
Il enchaîne les cocktails tous le weekend / Crédits : Denis Meyer
Focus / Crédits : Denis Meyer
La stratégie marketing est bien huilée : les équipements de jeu (claviers, sticks arcade, écrans…) sont fournis par des sponsors. L’identité visuelle des bars est harmonisée. Récemment, ils ont même lancé la Gazette du Meltdown, un journal papier avec des articles rédigés par des joueurs pro… Les bars servent aussi de lieu de réception pour des lancements de jeux ou des événements presse, comme la venue de la ministre du Numérique Axelle Lemaire en mars dernier. Au menu : présentation du rapport du gouvernement sur l’évolution de l’e-sport et séance de photos avec Kayane, la gameuse vedette.
Une communauté de fans
Au Melt’ de Paname, tout le monde ou presque se connait. Le gaming social est totalement rentré dans les mœurs. « Boire et jouer, les deux vont ensemble ! », lance Jacob, étudiant suédois de 18 ans. Sofiane, 21 ans s’apprête à démarrer une partie Street Fighter 5 :
« C’est bien cette ambiance. C’est une forme de soirée qui nous correspond plus. C’est comme si j’allais en boîte, sauf qu’au lieu de danser, je joue. »
Ça joue en sirotant son cocktail /
La franchise a réussi à fédérer un milieu de geeks et de gamers déjà très soudé. Pour animer cette communauté, les Meltdowns organisent de nombreuses soirées thématiques. Tous les bars de la marque fonctionnent de la même manière : chaque soir de la semaine, un événement est organisé autour d’un jeu différent. Des tournois ont lieu entre les bars de différentes villes. Plus de 800 joueurs ont participé à la dernière saison de ce grand championnat maison, retransmis uniquement dans les bars Meltdown. Et le samedi, c’est ambiance teuf avec un DJ pour animer le dancefloor, exactement comme dans un bar « normal »… Seul différence : les ordinateurs et les consoles restent allumés.
Des joueurs sponsorisés
« En 2013, on faisait beaucoup de Street Fighter dans notre bar de Paris. On a rencontré ce garçon qui n’était pas super connu. Mais on a vu qu’il se débrouillait bien », raconte Manolack. Il poursuit :
« Alors on a décidé de le sponsoriser, sans savoir ce que ça allait donner. »
Les fondateurs ont du flair ! Le garçon en question, c’est Olivier Hay, alias Louffy. L’année d’après, il remporte l’EVO, le plus grand tournoi mondial de jeux vidéo, à la surprise générale, sous les yeux de plus de 130.000 téléspectateurs. Il devient ainsi le premier Européen à s’illustrer dans cette compétition. Exposition mondiale instantanée pour le jeune champion et pour Meltdown, dont il portait les couleurs.
Alien versus gamers / Crédits : Denis Meyer
Depuis, Louffy est passé chez Redbull. Mais le Melt compte toujours des joueurs de renom comme Spontexx, vétéran de League of Legends, ou Stephano, champion du monde de Starcraft 2 en 2011. La plupart sont rémunérés à la prestation, en plus d’être défrayés pour leurs déplacements.
Dans un café non loin des Halles, on retrouve Florent Lecoanet, l’un des joueurs de la team. Le brun en t-shirt à manches longues blanc est sextuple champion du monde de Super Mario Kart. Après avoir commandé un Coca, le Rennais détaille son rôle au sein de la team Meltdown, dont il fait partie depuis un an et demi :
« Généralement, on me contacte pour un événement. Je suis prévu sur un espace avec une télé et une console. Je fais des démos, et ensuite des parties avec le public, avec éventuellement quelqu’un au micro derrière qui fait un peu le show. »
L’an dernier, il a participé à une dizaine d’events et tournois. Son contrat inclus également un quota « flexible » de streamings, retransmis sur Hitbox, chaîne concurrente du géant Twitch et partenaire de Meltdown.
Pour Florent, qui a un emploi à plein temps au rectorat de Rennes à côté du gaming, ce sponsoring c’est du win-win :
« Ça m’apporte de la visibilité et ça me permet de participer à des tournois auxquels je n’aurais pas assisté autrement. »
Ainsi, c’est Meltdown qui a intégralement pris en charge les frais de participation à l’Awesome Games Done Quick, un événement caritatif qui se tient à Washington tous les ans pendant une semaine, suivi par plus de 200.000 viewers sur Twitch :
« Tout seul, je n’aurais pas eu les moyens financiers. »
Comme à la maison / Crédits : Denis Meyer
Au calme / Crédits : Denis Meyer
A la conquête de l’Ouest
« Le but maintenant, c’est d’aller encore plus loin », lance Sophia. Avec Manolack, ils savourent leur succès :
« C’était un projet risqué. A l’époque, personne ne pouvait prédire que l’e-sport allait progresser aussi rapidement. Beaucoup de gens nous ont dit que ça ne marcherait pas, que les gamers et les geeks n’aimaient pas sortir. »
Le troisième larron a pourtant quitté le navire. Yann-Cedric est toujours copropriétaire de l’entreprise, mais s’est retiré de la gérance, courant 2015. « On n’avait plus la même vision », se contente-t-on de commenter de part et d’autre. Pas de quoi entraver l’ascension du petit empire. L’entreprise lève actuellement des fonds et rêve de conquérir le continent américain. De nouveaux bars ouvrent prochainement en Hongrie, en Autriche, en Suède, en Italie, et surtout au Canada, où 3 bars sont prévus.
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