Les cuisiniers tamouls « sont des photocopieurs » vantent les patrons, bien contents de cette main d’œuvre pas chère. Les postes se refilent par la « connexion tamoule ». Enquête derrière les fourneaux.
La tarte tatin sort du four et son auteur en est fier. « Il y a vingt-deux pommes dedans », nous dit-il en vérifiant qu’elle est nickel – et elle l’est. Sans doute qu’il n’en est pas à sa première. Le chef de cuisine du café Le Paris, boulevard Richard-Lenoir, vient de loin. Regan, 32 ans, un petit diamant dans l’oreille gauche, est sri-lankais, plus précisément Tamoul, comme des centaines de plongeurs et cuisiniers dans les restos de Paris.
Difficile de leur faire évoquer leur vie. L’un d’eux a refusé car « ça pourrait faire parler dans la communauté », très soudée autour du quartier de la Chapelle. Ces quelques rues à deux pas de la gare du Nord sont l’épicentre culturel et économique de la diaspora. Mais prix de l’immobilier oblige, beaucoup vivent en banlieue.
Le café Le Paris est géré par un Tamoul et ses compatriotes sont aux fournaux / Crédits : Michela Cuccagna
Anushan, second de cuisine dans un restaurant « bistronomique » (tarif du steack tartare : 18 €) du Marais, vit à Saint-Ouen avec sa femme et ses deux enfants. Même chose pour Regan et pour Christy, plongeur/cuisinier au Paris. Toute la journée au boulot, ils cuisinent français, mais chez eux, c’est leur femme qui fait les repas, et plutôt du sri-lankais. Anushan détaille le menu de la semaine :
« En général on mange du curry-poulet avec du riz, et le mardi et le vendredi du curry de légumes, car je suis hindou, et ma religion interdit la viande ces jours-là. »
Photocopieurs
Pourquoi autant de Tamouls dans les cuisines de Paris ? Un gérant, qui veut rester anonyme, répond d’abord que ce sont « essentiellement des Sri-Lankais et des Maliens » qui répondent lorsqu’il poste une offre d’emploi. « Souvent, ce sont eux qui viennent au resto pour proposer leurs services. » Mais le gérant leur trouve aussi des qualités propres :
« Ce sont des photocopieurs. Il suffit de leur montrer ce que l’on veut, et ils le reproduisent avec exactitude. »
Le boss du café Le Paris, lui-même d’origine sri-lankaise, ne dit pas autre chose. Sangarasivam Suthakaran, français depuis 2008, emploie presque exclusivement d’anciens compatriotes. « Beaucoup de restaurateurs cherchent des Sri-Lankais », explique-t-il, vantant leur motivation :
« Ils demandent moins et travaillent mieux. Et une fois qu’ils ont fini leur boulot, ils n’attendent pas sans rien faire, ils aident les autres. »
Ding ! Un bon petit plat comme chez mamie, prêt en 1mn30 au micro-ondes / Crédits : Michela Cuccagna
Lui aussi utilise le terme « photocopieur ». Dans les faits, c’est un type qui sait se servir d’un micro-ondes. Au café Le Paris, on vient de commander un rôti de porc. En deux minutes, Regan reproduit sous nos yeux ces gestes qu’il connaît par cœur : découper trois tranches de porc que l’on disposera dans l’assiette. Ajouter trois grosses cuillères d’un gratin de pommes de terre préalablement préparé et stocké dans un Tupperware orange. Placer l’assiette dans un four micro-ondes. Sous ce micro-ondes, un jumeau se charge de réchauffer la sauce au poivre. Une minute trente passée, c’est chaud. Verser la sauce, ajouter quelques feuilles de salade aspergées d’une vinaigrette en bouteille. Et histoire de donner une touche gastro : disperser de la poudre de paprika sur les contours de l’assiette. Déposer le plat près de l’ouverture donnant sur la salle et faire tinter la clochette.
Tamoule Connexion
Comme les autres, Regan explique avoir appris « sur le tas ». La cuisine est rarement une vocation. A priori, le destin d’Anushan n’était pas de préparer des cochons de lait au romarin et aux olives à 27 € pour les hipsters du Marais :
« Dans ma famille, on est menuisiers. »
Seulement, pour être menuisier en France, il faut des diplômes. Et pour y vivre, il faut tout de suite gagner sa croûte. D’autant que la plupart envoient de l’argent au pays pour « aider la famille qui y est restée », explique Tharshan, de l’Organisation de Réhabilitation Tamoule (ORT), que nous avions déjà rencontré lors de l’organisation des JO tamouls . Et d’ajouter :
« C’est très difficile de trouver un travail, même avec des papiers »
Fuyant la guerre civile et ses suites, les Tamouls demandent l’asile, mais « le statut est souvent refusé », assure Tharshan, évoquant « des gens qui attendent depuis 13 ou 17 ans ».
Entre 1983 et 2009, une guerre civile au Sri Lanka a opposé les séparatistes tamouls des Tigres (LLTE) au gouvernement sri-lankais, soutenu par l’ethnie majoritaire cingalaise. Un conflit qui aurait entraîné la mort de plus de 80.000 personnes et des centaines de milliers de réfugiés.
Les Tigres Tamouls ont reconnu leur défaite en 2009.