Des trainées chimiques larguées dans le sillage des avions pour asservir l'humanité ? La théorie des chemtrails fait un tabac dans la complosphère. Mais aussi conspirationniste soit-elle, elle s'invite dans les cercles écolos plus traditionnel
C’est une théorie en vogue dans les milieux écolos-conspirationnistes : certaines trainées de condensation que vous voyez dans le sillage des avions ne seraient pas de la vapeur d’eau mais… des produits chimiques volontairement répandus !
Au départ, ce ne sont que quelques hurluberlus persuadés que des armes climatiques sont testées ou que Monsanto a lancé un programme secret pour imposer ses semences aux agriculteurs.
Mais aussi parano soit-elle, la théorie des « chemtrails » a trouvé un écho dans des formations de gauche plus classiques et s’est même invitée plusieurs fois au Parlement européen. Terreau de cette comploïte aiguë : les inquiétudes des écologistes de voir se développer la géo-ingénierie, une science encore à ses prémices mais bel-et-bien réelle.
Tête dans les nuages
Boulevard Saint-Germain à Paris, sous un cagnard à tuer un cycliste du tour de France. Ce jeudi 18 juillet, il suffit à Daniel Hofnung d’un rapide coup d’œil au ciel pour repérer « un chemtrail »:
« Ah oui, ça, ça en est un ! On le remarque tout de suite par son aspect. »
La main en visière, le quinquagénaire aux petites lunettes cerclées désigne une traînée de condensation laissée par le sillage d’un avion. Aucun doute pour lui, il ne s’agit pas de vapeur d’eau mais bien de produits chimiques :
« On le remarque parce que la traînée est persistance et qu’elle s’étale dans le ciel pour former un voile. Si c’était de la condensation classique, elle aurait disparu avant de pouvoir s’étaler. »
Des produits chimiques largués tous les jours par avion au-dessus de nos têtes ? C’est ce qu’affirment les partisans de « la théorie des chemtrails ». « Chemtrail », un néologisme US, contraction des mots « chemical » et « trails » qu’on peut traduire en VF par « traînées chimiques ». Il s’utilise par opposition au mot « contrail » – « condensation trails » – qui désigne les traînées de vapeur d’eau laissées dans le sillage des avions.
Loser baby
Aux Etats-Unis, « la théorie des chemtrails » est un trend topic sur la complosphère. Sur le site d’Alex Jones , gourou en chef des opposants au Nouvel Ordre Mondial, vous pouvez même télécharger une application qui indique – photos à l’appui via crowdsourcing – les « chemtrails » en temps réel dans le ciel. Plus pop, en 2008, le chanteur Beck sortait un excellent single, « chemtrails » , tiré de l’album Modern Guilt.
Clip -Beck, Chemtrails
Mais ce qui a véritablement popularisé « la théorie des chemtrails », c’est la diffusion sur Internet du film documentaire « What in the world are they spraying ? » en 2010. Comme Dylan Avery démontrait dans « Loose Change » que les attentats du 11 septembre étaient un « inside job », le film de Michaël Murphy assène que des particules d’aluminium sont pulvérisées à échelle planétaire par des avions. Au premier rang des accusés : Monsanto. Le grand méchant des biotechnologies végétales pratiquerait des épandages massifs de métaux lourds depuis le ciel pour détruire les agricultures bio et forcer les agriculteurs à acheter ses semences OGM.
C’est d’ailleurs ce film qui a convaincu Daniel d’adhérer à « la théorie des chemtrails » :
« Au départ j’étais assez sceptique. Mais quand mon amie m’a montré ce film, je n’ai plus eu de doutes. »
Daniel Hofnung montre une de ses cinquante photos de chemtrails / Crédits : Robin d'Angelo
Fail
Les « debunkers » américains n’ont eu aucun mal à démontrer la vacuité du film « What in the world are they spraying ? » Un des arguments phare de « l’enquête » : L’eau de pluie serait de plus en plus concentrée en aluminium, la principale particule soupçonnée d’être injectée dans la stratosphère via « les chemtrails ». Le site « Contrail Science » a récupéré le rapport d’expertise des auteurs du film. Ils n’ont pas analysé de l’eau de pluie comme ils le prétendent mais… de l’eau stagnante où il est naturel de trouver de l’aluminium.
Joint par StreetPress, le chercheur au CNRS et géo ingénieur Olivier Boucher, explique, lui, pourquoi certaines traînées de condensations restent plus longtemps que d’autres dans le ciel :
« Dans l’atmosphère, des régions sont sursaturées en vapeur d’eau. Le passage de l’avion agi comme un déclencheur, la vapeur d’eau va pouvoir se condenser dans son sillage. La traînée peut ensuite grossir à partir de la vapeur d’eau ambiante et devenir indifférentiable d’un nuage de haute altitude. »
Olivier Boucher d’ajouter que « la concentration de vapeur d’eau varie extrêmement rapidement dans l’atmosphère : »
« A un endroit ça peut être très humide, et juste à côté ça ne l’est pas. »
Voilà qui explique pourquoi certains jours le ciel va être surchargé de trainées de condensation et d’autres non.
Militants
Mais il en faut plus pour démonter un partisan de « la théorie des chemtrails ». « Olivier Boucher est sans doute de bonne foi mais il n’est peut-être pas au courant. Tout ce qui relève des militaires ne relève que des militaires. Et comme on dit, l’armée, c’est la grande muette ! » s’amuse Daniel Hofnung. Ingénieur en bâtiment à la retraite, il fait partie de l’association loi 1901 l‘« Acseipica » qui milite contre « les chemtrails ». Crée en 2008 par Claire Henrion, une maman de 53 ans qui vit dans l’Aveyron, elle revendique regrouper « 250 militants » anti-chemtrails.
Daniel Hofnung, petite barbe grise et tongs de randonneur, en dit un peu plus sur leurs activités :
« On s’envoie des photos entre nous pour constituer des documents. On fait des tracts qu’on diffuse dans nos réseaux. »
Daniel Hofnung est aussi “un militant historique de l’ONG altermondialiste Attac. Il siège à son Conseil d’Administration et exerce les fonctions de président de la section Val-de-Marne.”:http://blogs.attac.org/assemblee-generale-2012-d-attac/candidat-e-s-au-conseil-d/daniel-hofnung/
Sinon, il y a aussi un Ovni en haut à gauche / Crédits : Flick'r CC
Palme d’Or
Sur le site « Les blogs d’Attac » , Daniel Hofnung a publié un long texte à propos des « chemtrails ». Car aussi fou que cela puisse paraître, la théorie, comme quoi des avions civils et militaires balanceraient en permanence des traînées chimiques dans le ciel pour nous asservir, trouve des relais ailleurs que dans les cercles conspirationnistes.
Trailer -Why in the world are they spraying ?
Autre exemple, le 27 juin dernier, le cinéma Rex à Pontivy organisait une séance spéciale à 20h30 pour diffuser sur grand écran le faux « Why in the world are they spraying ? » , la suite de « What… » sorti en 2010. Joint par StreetPress, le responsable du cinéma explique qu’il propose « régulièrement des projections pour sensibiliser le public à certaines causes comme l’écologie ». D’habitude des événements consensuels en partenariat avec Amnesty International. Là, c’est une membre de l‘« Asceipica » qui l’a convaincu de projeter le film. Le directeur se justifie :
« Le point de vue du film est peut-être extrémiste. Mais comme pour beaucoup de choses concernant l’écologie, c’est une obligation pour faire bouger les choses. »
Institutions
Et les climato-complotistes peuvent aussi compter sur des relais politiques. Joint par StreetPress, Yvan Garcia, candidat Front de gauche aux dernières législatives, confirme avoir signé la pétition de l’ « Asceipica » qui demande « la fin des épandages aériens clandestins ». Ce cadre du Parti Communiste dans l’Hérault se défend :
« Ce qui m’interpelle, c’est qu’il y a un phénomène qui est assez bizarre et quand on interpelle les pouvoirs publics, aucun ne nous donne de réponse.»
Le 3 juillet 2012, c’est le député bulgare Vladko Panayotov qui s’alarmait au Parlement européen de la multiplication des « chemtrails », « un fait mis en évidence par la communauté scientifique » . En moins d’un an, trois députés au total ont interpellé l’assemblée sur « les chemtrails » . Point d’orgue de cet activisme : la tenue d’une conférence dans l’enceinte du Parlement européen, les 8 et 9 avril 2013 . A l’initiative de la députée européenne lettone Tatiana Zdenenka, les principales associations de chasseurs de nuages – l’ « Asceipica » en tête – étaient invitées à exposer leur théorie conspirationniste à la tribune devant plusieurs élus. Le film « Why in the world are they spraying ? » y a été diffusé.
FlightRadar géolocalise en temps réel le traffic aérien et permettrait d’identifier les avions qui pulvérisent des « traînées chimiques » et leur trajectoire. Si vous voulez vous aussi vous y mettre, le site de « résistance » aux chemtrails « Ciel voilé » explique ici comment utiliser l’appli.