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    14/06/2013

    Et il y a même des bac +4

    Les derniers pompistes de Paris

    Par Antoine Massot

    Ils mettent les mains dans le cambouis depuis 35 ans ou manient la pompe pour un job étudiant. A Paris, il y a autant de pompistes que de type d'essences. Mais ces petites stations indépendantes pourraient bientôt fermer boutique…

    Si vous avez une caisse et que vous circulez à Paris intra-muros, vous êtes forcément tombés sur ces petites stations-services à l’allure décrépie. Vous savez, celles où un pompiste viendra remplir votre Nissan Micra avec du Sans Plomb 95 ou vous dépanner en cas de pneu crevé…

    Mais aujourd’hui, c’est la dèche pour les stations indépendantes. Hausse du carburant, moins d’autos à Paris… les pompistes pourraient aussi être achevés par les nouvelles mises aux normes environnementales imposées par l’État. Des stations-services qui emploient des titis parigots… mais aussi des anciens banquiers ou des étudiants en eco-énergétique.

    Lirio a bossé plus de la moitié de sa vie au « Garage du 12e »

    Ça va faire 35 ans que Lirio est employé à la station, il a vu la vente du carburant diminuer en même temps que les voitures parisiennes : « Les pouvoirs publics ne veulent plus de voitures dans Paris et privilégient les transports en commun…Alors, on vend de moins en moins de carburant. Après on est un garage donc la vente de carburant ce n’est pas ce qui nous fait vivre. » Spécialisé dans la vente de véhicules sans permis, la carrosserie, la mécanique, le « garage du 12e » assure des réparations 7 jours sur 7. « Le carburant, on prend ça comme un service à la clientèle et aux habitants du quartier qui sont toujours contents de trouver de l’essence pas trop loin. » Mais l’employé de 52 ans ne se voit plus vendre du Sans Plomb 95 après 2014. « Les aménagements comme le déplacement des zones de dépotages (où les pompistes remplissent des cuves en carburant), vont poser problème à la vente d’essence en plein centre-ville ». Lirio parle de Paris comme d’une « ville musée » où les prestations de services deviennent de plus en plus rare : « Les législations empêchent les industries de se développer dans les villes. Aujourd’hui, tout se fait en périphérie. »

    « Ils veulent remettre les calèches à Paris ! » s’inquiète Mohammed

    On l’appelle « Chef » ou « Ahmed ». Mohammed a toujours l’oreillette du téléphone collée à l’oreille gauche et ne compte plus ses heures depuis 1983. Pour lui,  les « petits » métiers comme le sien ne sont plus considérés. « On ne sait pas à quelle sauce on va être mangé. On apprend tout par les médias mais la préfecture ne nous prévient pas, on n’a jamais reçu de courrier… » Pour Mohammed, c’est la disparition d’un métier à petit feu. « Si on n’est pas là, ce sera la jungle à l’intérieur de Paris ! ». Un pneu à remplacer, une ampoule cassée, les vidanges…Les petites stations-service indépendantes comme celles de Mohammed permettent aux Parisiens d’avoir de l’essence à proximité et d’être dépanné sans faire appel à un service en périphérie.

    Selon lui, aucune petite station ne peut véritablement être aux normes. « Le récupérateur de gaz, la double enveloppe pour les cuves, le détecteur de fuite… Certaines norme sont possibles, d’autres non. ». « Ils veulent remettre les calèches à Paris ! » s’exclame Mohammed qui voit la capitale supprimer les automobiles du centre-ville. « C’est facile de prendre des décisions depuis un bureau mais encore faut-il aller sur le terrain voir les automobilistes qui ont besoin d’aide et de service. »

    Adil, jeune passionné de photo et ancien étudiant en finance

    A 34 ans, Adil sert les automobilistes parisiens depuis maintenant sept ans. « J’ai commencé par un job d’étudiant le week-end, puis j’ai fait mon petit bonhomme de chemin. Je faisais des études de finance mais Dieu merci j’ai arrêté. A cette époque mes parents n’étaient pas au courant que je bossais dans une station-service. ». Le sourire aux lèvres, les punchlines en rafales, le jeune gérant prône la proximité avec ses clients. « J’aime bien faire la comparaison entre un Mc Do et le petit resto familial du coin de la rue. L’ambiance et l’accueil ne sont pas les mêmes. Au Mc Do tu connais le produit, tu payes et tu te casses. Alors qu’au petit resto, tu vas connaître le patron, le cuistot, la clientèle…et à l’assiette ça va se voir ! ».

    Pour Adil, le cœur de l’affaire réside dans cette notion de service que les grosses stations-services ont délaissé. « On est là pour fidéliser le client, rester près de lui et le satisfaire le temps qu’il reparte. » L’avenir des stations indépendantes reste compromis même s’il avoue s’adapter même dans les périodes difficiles. « Tant qu’il y a des voitures, il y aura des commerces comme nous. Pour qu’une voiture roule, il faut du carburant et un service. »

    De l’expérience pour Julien, étudiant en éco-énergétique

    Julien a 22 ans et bosse à la station depuis maintenant 6 mois. Un job étudiant qui lui permet de se faire un peu de thunes mais aussi pour trouver l’inspiration dans le domaine énergétique. « Je fais des études d’éco-énergétique et ce boulot me permet de travailler sur un projet concernant la location de véhicules électriques. L’idée serait d’avoir accès à un véhicule électrique plus rapidement via une station-service. »

    Julien compte travailler sur des projets de production électrique ou de réduction d’énergie. Pour lui, les mises aux normes environnementales imposées par l’État constituent une nouvelle étape.  « Ces nouvelles normes vont permettre de mieux gérer les stations et ainsi garantir une sécurité plus forte qu’auparavant. Dans certaines stations, il arrivait que les cuves fuient…Ça va considérablement limiter les risques de pollution. Le problème c’est que les petites stations comme nous ont du mal à payer ces mises aux normes, elles coûtent très cher ! ». Il reste six mois à Julien avant de reprendre ses études. « Je suis en contrat pour l’année étudiante jusqu’en septembre. Après, peut-être que je vais rester en dépannage le week-end, je ne sais pas encore… »

    Balthazar va au théâtre quand il n’est pas au garage


    Impossible de chopper Balthazar pour une photo, c’est son collègue Nicolas qui s’y colle.

    « Je ne suis pas très bavard ni photogénique », avoue Balthazar. Ancien directeur de banque, il passe des billets au cambouis en rachetant « le garage Sully », avec son frère, en 2000. Vente de carburant, mécanique et parking 150 places, les services ne manquent pas et pourtant il a connu de meilleures années. Selon lui, la dégradation aurait débuté en 2010. « Les gens réparent de moins en moins leur véhicule. Ils laissent aller les choses jusqu’au bout. Avant on avait des personnes qui entretenaient régulièrement leur véhicule mais aujourd’hui on voit beaucoup de voitures avec des dates de révisions dépassées. Certains clients nous demandent même d’installer des pièces d’occasions. Bien sûr on refuse. »

    Les pompes disposées devant le garage-parking permettent de combler mais la vente reste faible. « Il y a quelques années, on vendait plus de 1.000 litres de carburant par jour, aujourd’hui on ne dépasse pas les 500 L. ». Pour Baltazar, la vente de carburant représente un service mais sans plus, le parking et la mécanique permettent à lui et ses employés – dont ses deux neveux – de gagner de quoi vivre. « J’ai la chance d’avoir toujours aimé travailler que ça soit le contact avec la clientèle ou en gestion. »

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