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    13/02/2017

    Psychotropes, mystique et science

    Trip reports : des récits de voyage sous drogues

    Par Julien Moschetti , Pablo Vasquez

    « J’ai sniffé puis avalé à nouveau une dose standard », écrit Alexandre dans son trip report, avant d'en détailler les effets. Les psychonautes expérimentent les drogues pour « explorer leur conscience » et prévenir les risques. Ils racontent.

    De retour de chez lui après une soirée « haute en couleurs » enjolivée par « la MDMA la plus pure de sa vie », Alexandre (1) vient de sniffer pour la première fois de la 4-AcO-DMT. Cet hallucinogène de synthèse est connu pour ses montées fulgurantes qui scotchent au fauteuil, ses effets visuels et synesthésiques.

    Mais le décollage annoncé tarde à venir, si bien qu’il décide de charger la mule : « J’ai sniffé puis avalé à nouveau une dose standard, écrit le commercial toulousain de 28 ans dans son trip report (TR) posté sur le forum de Reddit :

    « Mais ce n’est toujours pas assez, j’ai donc avalé une nouvelle dose. Puis j’ai repris une grosse trace, puis une nouvelle dose dans un verre de jus de fruit, puis une 2ème et une 3ème… »

    Quelques minutes plus tard, le tsunami chimique déferle. Effets visuels, euphorie puissance dix :

    « J’avais le sentiment d’être un gamin qui découvre le monde ! Je voyais des étoiles partout ! Je ne suis pas croyant mais je me prenais pour Dieu. Je pensais à Bouddha ou Allah et je faisais leurs prières. J’avais l’impression d’être le centre de l’univers, de tout contrôler, d’être une encyclopédie humaine sur le point de comprendre tous les secrets du monde. »

    Passion psychonautisme

    Comme Alexandre, de nombreux psychonautes – « navigateurs de l’âme » au sens littéral – consomment des drogues pour « modifier sciemment leurs sens, soit dans un but d’introspection, soit pour le simple fait d’expérimenter ces modifications », explique l’Observatoire Français des drogues et des toxicomanies (OFDT). Pour ces trips, ils gobent des Nouveaux produits de synthèse (NPS), achetés sur internet à moindre coût. Les NPS s’inspirent de la structure moléculaire de stupéfiants plus connus. Des différences qui suffisent – en théorie – à contourner l’interdiction légale.

    De ces voyages sous drogues, les psychonautes tirent des Trip Reports (TR), récits postés en ligne où sont décrits minutieusement les effets à court et long terme et les dosages de chaque produit consommé.

    « Les TR sont le point de départ de l’information sur les Nouveaux produits de synthèse », explique Pierre Chappard, président de Psychoactif, l’un des deux forums francophones – avec Psychonaut.com – où sont postés ces récits :

    « Ils permettent de se faire une idée du dosage à respecter, des effets secondaires éventuels, de la nature de la descente… »

    Signe de l’intérêt pour la question en 2016, le site tournerait autour des 450.000 vues par mois, deux fois plus que l’année précédente.

    Une pratique à risques

    « Il ne faut pas confondre les trips psychédéliques avec les « paras » de MDMA, ce sont des expériences que l’on ne contrôle pas », avertit Alexandre qui a préféré nous raconter la suite de son trip sous 4-AcO-DMT sur une plateforme de chat cryptée :

    « C’est un peu comme des montagnes russes dont on ne verrait pas le parcours. Mais il faut accepter le parcours, car si tu luttes c’est le bad assuré. »

    « On ne peut pas se fier totalement aux indications tirées des TR car les produits ne sont pas contrôlés », met en garde Pierre Chappard :

    « Un dosage peut aller de 10 à 90 % de pureté. »

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    La tête ailleurs / Crédits : Pablo Vasquez

    Alexandre a d’ailleurs appris à ses dépends qu’on ne joue pas impunément avec les NPS, le jour où il a pris 140 mg de 4-AcO-DMT quand d’autres avouent avoir pris « une raclée monumentale » avec 20 mg. Conséquence, le rêve éveillé se transforme en cauchemar :

    « J’étais parti tellement loin que le concept du temps n’existait plus. Je n’avais plus d’identité non plus. J’avais l’impression d’être un fantôme. J’ai cru que j’allais mourir avant de partir pour l’éternité dans les abysses de l’Enfer. Comme si j’étais prisonnier à vie d’un crime que je n’avais pas commis. »

    De retour à la réalité, Alexandre a le sentiment de sortir d’une guerre intérieure :

    « J’ai fondu en larmes et me suis senti libéré, comme si j’étais une éponge depuis 26 ans qui venait de se vider entièrement. »

    Un brin traumatisé, il décide néanmoins de poursuivre ses expériences psychédéliques pour comprendre le fonctionnement de son cerveau et de son corps, explique-t-il. Deux ans et demi plus tard, le Toulousain a considérablement réduit sa consommation à 3 à 4 trips par an. Du LSD de préférence, voire du DMT à petite dose :

    « J’ai suffisamment exploré. Les bad trips m’ont fait réduire la fréquence. Et puis, ça m’a fichu une gifle de voir les gens défoncés sous LSD. J’avais l’impression de voir des personnes tristes qui se droguent pour oublier leur quotidien. »

    Pour réduire les risques et se faire une idée plus précise du produit, Pierre Chappard recommande de faire un test d’allergie en « testant 1 mg pour voir les effets ». Deuxième étape importante :

    « Essayer les dosages minimums indiqués sur les sites comme Erowid. »

    Enfin, le boss de Psychoactif préconise d’analyser soi-même les produits en achetant sur internet des tests colorimétriques ou en utilisant la technique de chromatographie sur couches minces.

    S’ouvrir l’esprit

    Jonathan, cheveux longs, châtains, a lui aussi connu les bad-trips, ce qui ne l’a pas empêché d’ériger le psychonautisme en philosophie de vie. Rencontré dans un café parisien, cet étudiant en médiation culturelle de 25 ans consomme des psychédéliques pour « améliorer sa vie ». Il utilise également les trips comme un outil pour s’auto-analyser :

    « Cela a été une thérapie pour moi. Je me suis rendu compte du chemin parcouru, du chemin qui restait à accomplir. J’ai pris conscience de mes défauts et qualités. »

    Jonathan s’interrompt avant de compléter d’une voix douce :

    « Cette découverte m’a offert une grande paix intérieure. J’ai longtemps été renfermé sur moi-même, mal dans ma peau. Les psychédéliques m’ont aidé à m’ouvrir aux autres, à me débarrasser du poids et des barrières des conventions. C’était un peu comme une deuxième naissance. J’ai parfois l’impression d’avoir été reprogrammé. »

    Il n’est pas le seul. Alexandre assure qu’il est devenu plus sociable grâce aux drogues :

    « J’étais assez dépressif, assez réservé. Aujourd’hui, c’est tout l’inverse. Je suis nettement plus ouvert aux autres, beaucoup mieux dans ma peau… »

    Cette métamorphose accélérée, Alexandre l’attribue à ses expériences sous psychotropes. Ils lui auraient permis de découvrir une facette insoupçonnée de lui-même :

    « J’étais plus enjoué, plus extraverti sous acid. Je parlais avec aisance, je n’hésitais plus à faire des blagues en groupe, ce qui faisait rire mes amis. Cela m’a permis de sortir à grand pas de l’introversion . »

    De nombreuses études scientifiques vont dans ce sens. Elles étudient les vertus thérapeutiques de certains psychotropes, notamment dans le traitement des inhibitions, du stress ou des dépressions, rappelle Libération.

    Explorer son cerveau

    Les psychédéliques permettraient aussi de mieux comprendre le fonctionnement de son cerveau. « Ton esprit est tellement inondé de pensées quand tu es sous LSD que les préjugés disparaissent », analyse Alexandre :

    « J’ai pris conscience à quel point nos humeurs influaient notre vision du monde. Notre perception est filtrée par nos expériences ou notre éducation. Aujourd’hui, je relativise avant de réagir quand je suis de mauvaise humeur, je sais qu’il s’agit d’un filtre sur le monde. »

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    A table / Crédits : Pablo Vasquez

    Une théorie répandue chez les psychonautes et qui concorde avec une hypothèse émise par certains scientifiques : le LSD affaiblirait les filtres qui forcent normalement notre pensée à « coller » à la réalité, ce qui ouvrirait d’autres horizons de conscience.

    Pour Jonathan, le LSD serait un « formidable outil d’introspection ». Il aurait contribué à révéler sa nature profonde :

    « J’ai découvert que j’étais quelqu’un de paisible et d’empathique qui fait du bien autour de lui. Cette prise de conscience m’a offert une grande paix intérieure. Aujourd’hui, je suis moins stressé, plus à l’aise avec les gens. »

    L’étudiant s’arrête pour me regarder avec la bienveillance d’un bouddha :

    « Quand je prends un trip, ce n’est pas uniquement « la défonce pour la défonce », c’est pour vivre des sensations qui n’arrivent pas dans la vie de tous les jours. Triper à intervalles réguliers me permet d’accéder à de nouveaux niveaux de conscience et m’aide à me remettre en question. »

    12 heures de trip

    Et qu’importe si parfois le trip est hardcore, comme le jour où il s’est mis en tête de « prendre une forte dose pour vivre une grande expérience ». Dosage ? Un buvard et demi, entre 280 et 320 microgrammes, selon lui :

    « Je savais que je prenais des risques. Mais, en tant que psychonaute, je voulais explorer les trips pour voir dans quel état de conscience cela me mettrait. »

    Les pupilles de Jonathan roulent vers les parties inférieures de ses prunelles comme s’il cherchait à loucher :

    « J’ai connu la montée la plus monstrueuse de ma vie. Vision kaléidoscopique, couleurs qui explosent, tapis orientaux de ma chambre qui bougent comme dans Las Vegas Parano. J’étais capable de scinder ma vision en deux, de modifier la forme de l’espace autour de moi, de zoomer pour les voir en plus grand ou plus petit. »

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    Nouvelles sensations / Crédits : Pablo Vasquez

    Mais le sentiment de toute puissance retombe vite et le trip tourne mal :

    « J’ai eu la sensation fugace de n’être jamais venu au monde, de ne pas avoir réellement existé. Je me suis vu dans une position fœtale, comme si j’étais un embryon. J’avais peur de rester perché. »

    La défonce dure 12 heures et fera office de sérieuse mise en garde :

    « C’était un peu comme si on m’avait dit : “ne joue pas avec ta psyché”. J’ai compris qu’il y avait des états de conscience qu’il ne fallait pas explorer quand on n’est pas très expérimenté. »

    Encore plus loin

    D’autres psychonautes poussent leurs « expérimentations » un peu plus loin. Samuel prend des psychédéliques pour « remettre en cause la réalité physique et palpable, voyager dans les parties de mon esprit habituellement inaccessibles, des dimensions “subtiles” dites “réalités non ordinaires” ». Grâce aux psychédéliques, cet hypnothérapeute de 24 ans a le sentiment de se connecter avec son inconscient :

    « Je communique avec des choses dont on n’a pas conscience en général, des réalités qu’on n’a pas l’habitude de voir. »

    Cheveux bruns en bataille, barbe de trois jours, Samuel se dit « fatigué » par la soirée de la veille où il a notamment tourné à la méphédrone et à la kétamine. Bourré de tics, il cligne des yeux en permanence, se touche régulièrement les cheveux, le visage, renifle. Le péché mignon de Samuel ? La DMT, un puissant hallucinogène qui lui permet de « rentrer en connexion avec le cosmos en fibre optique, de parler à des espèces de fourmis mécaniques qui te donnent des conseils et t’expliquent le sens de la vie ».

    Il apprécie aussi le « côté hyper orgasmique de la DMT, ce côté « je me suis fait baiser par Dieu » » qui lui plaisait tellement qu’il en prenait jusqu’à deux fois par jour. Jusqu’à ce trip fatidique où l’ange Gabriel himself lui a glissé :

    « On ne veut plus te voir ici. »

    Un avertissement pris au sérieux par Samuel qui a réduit sa consommation de DMT à… une fois toutes les deux semaines.

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    Bad Trip / Crédits : Pablo Vasquez

    Toujours plus loin

    Samuel fait le plus souvent ses petites expériences en solo. Mais il lui arrive aussi de passer des week-ends avec la communauté des psychonautes :

    « En règle générale, chacun ramène plein de drogues et tu finis par prendre 15 drogues différentes… »

    Samuel marque une pause. Regard tourné vers le bas, il poursuit quelques décibels en dessous :

    « Sur le papier, les psychonautes utilisent les drogues pour explorer. Mais, dans les faits, la plupart se contentent uniquement de consommer des drogues. Au final, ce sont plutôt des drogués savants, et non pas des adeptes de la méditation qui prennent des drogues pour explorer leur psyché. »

    C’est justement parce que de nombreux psychonautes ont perdu de vue leurs objectifs initiaux – prévention des risques et exploration de la psyché – qu’Alexandre a pris ses distances avec le milieu :

    « Le psychonautisme est devenu un prétexte pour se défoncer. Beaucoup tombent dans une certaine addiction à la défonce. Non pas aux psychédéliques, mais à la drogue en général, d’où l’idée de mélanger les produits. »

    Suite à l’instauration de l’état d’urgence et plusieurs perquisitions dans le milieu, certains membres de la communauté seraient devenus très méfiants, raconte Samuel. Si bien qu’il reçoit parfois des TR en message privé qui ne sont donc plus diffusés sur le forum.

    Une situation qui fait enrager Pierre Chappard. Ce dernier pense que le partage de connaissances est la base de la prévention de risques :

    « Il ne faut surtout pas rester dans l’entre-soi, chacun doit pouvoir apporter sa pierre à l’édifice. L’information n’a jamais tué personne. Au contraire, il faut débattre au maximum pour minimiser les risques. »

    Pour lui, la censure a un effet contre-productif. Il préfère conseiller aux usagers « d’utiliser avec parcimonie ces drogues, les réserver pour les bonnes occasions et non pas pour échapper au quotidien ».

    Et de conclure avec un argument qui contraste avec les campagnes du ministère de la santé :

    « Quand on consomme tous les jours, l’effet n’est pas extraordinaire, on n’atteint plus les mêmes états de conscience modifiée. Et quand on consomme pour fuir la réalité, l’état d’addiction n’est pas loin… »

    (1) Tous les prénoms des psychonautes ont été modifiés

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