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    26/01/2017

    Cette grève au Bangladesh dont vous n’avez pas entendu parler vous concerne

    Par Nayla Ajaltouni , Alice Maruani

    Depuis des semaines, les ouvrières bangladaises du textile luttent pour de meilleures conditions de travail. Et elles ont besoin de votre soutien.

    Depuis plus d’un mois, au Bangladesh, des milliers de personnes se battent pour des conditions de travail dignes. Vous n’en avez peut-être pas entendu parler car peu de médias occidentaux ont repris l’info.

    Pourtant, cette lutte sociale qui a lieu à des milliers de kilomètres vous concerne. Et vous avez un rôle à jouer en tant que consommateur-citoyen.

    Le 12 décembre dernier, plusieurs milliers d’ouvrières et d’ouvriers du textile de la province d’Aschulia, grande région industrielle du Bangladesh s’arrêtent de travailler. Ces femmes (85% des travailleurs du textile dans le monde et dans ce pays sont des femmes) se battent pour un salaire décent, en l’occurrence le triple de leur salaire actuel, de 5300 takas.


    « Au Bangladesh, revendiquer de meilleures conditions de travail est dangereux. Le pouvoir est l’ami des industriels du secteur. »

    Nayla Ajaltouni, coordinatrice d’Ethique sur l’étiquette

    Ce dernier les oblige à travailler des dizaines d’heures supplémentaires pour simplement survivre. Ces grèves ont lieu car leur salaire ne leur permet pas de vivre décemment! Car au Bangladesh, l’Etat de droit est pas garanti, et revendiquer de meilleures conditions de travail est dangereux. Là-bas, le pouvoir est l’ami des industriels du secteur, et la corruption est très répandue.

    La répression ne s’est d’ailleurs pas fait attendre. 60 usines ont été fermées par leurs propriétaires, 1500 à 2000 travailleurs en grève ont été immédiatement licenciés, avec des plaintes portées contre 1000 d’entre eux. A ce jour, 14 leaders syndicaux sont toujours emprisonnés, sans motif valable. Nous craignons pour leur sécurité, la répression est violente et les maltraitance fréquentes dans les prisons.

    Nos grandes enseignes sont présentes sur place

    Ici, en France et en Europe en général, on est tous liés à ces ouvrières. D’abord, parce que ce sont elles qui fabriquent les vêtements que l’on achète et que l’on porte tous les jours. Des marques comme Benetton, H&M, Primark ou Auchan, et des dizaines d’autres sous-traitent la fabrication de leurs vêtements sur place.

    C’est d’autant plus important que si on ne se montre pas solidaire, leur combat n’avancera pas. Parce que ces travailleurs sont loin d’être passifs, ils luttent tous les jours pour défendre leurs droits, depuis 2010, de nombreuses manifestations ont lieu pour réclamer des conditions de travail dignes, mais au Bangladesh, qui ne reconnaît pas le droit de s’organiser en syndicat, défendre ses droits est dangereux.

    La répression contre les ONG et les mouvements sociaux est forte, elle s’accompagne de menaces, de mauvais traitements, d’emprisonnements sans motif voire de tortures. Un militant, Aminul Islam, a été retrouvé assassiné en 2012, probablement avec la complicité de la police, sans que des poursuites n’aient été engagées. Ces ouvrières ont donc besoin de nous pour les appuyer dans leur combat.

    En tant qu’ONG, on peut faire pression sur le gouvernement, mais ce lobbying doit s’accompagner d’une pression des grandes marques. Car les multinationales qui fabriquent au Bangladesh ont un tel pouvoir économique qu’il leur donne aussi un poids politique sur l’Etat! (on peut le regretter, mais c’est ainsi).

    Si elles exigent du gouvernement bangladais l’arrêt de la répression — notamment pour une raison cynique, la désorganisation de la chaîne de production — ce dernier ne sera pas insensible, en raison du poids de leurs investissements. C’est aussi la responsabilité des multinationales d’agir en ce sens, et au-delà, d’adopter des pratiques respectueuses des droits humains au travail

    Elles profitent d’une main-d’oeuvre corvéable à merci

    Le problème est que les multinationales sous-traitent justement dans ces ces pays pour profiter d’une main-d’oeuvre à bas prix, qu’on peut facilement faire taire, car elle dépend fortement du secteur textile pour survivre, et augmenter leurs profits. Or, cela se fait en notre nom, au nom! Le principal argument de ces marques est : « Nos consommateurs veulent des prix bas »!

    D’abord, aucun prix bas ne saurait justifier que l’on exploite une main d’oeuvre à l’autre bout du monde. Nous sommes de de plus en plus nombreux à refuser que nos vêtements se fassent au prix du sang et de la sueur des travailleurs du monde. Ensuite, c’est aux marques, qui profitent le plus de ce système extrêmement rentable pour elles, d’assurer un salaire décent.

    Surtout, dans le prix d’un vêtement, la part du marketing et de la publicité est considérable. Rêvons un peu : et si H&M payait moins Beyoncé pour faire sa promo et construisait ses prix sur la base d’un salaire vital, qui permettrait au travailleur de vivre décemment ?


    « Nous sommes de de plus en plus nombreux à refuser que nos vêtements se fassent au prix du sang et de la sueur des travailleurs du monde. »

    Nayla Ajaltouni, coordinatrice d’Ethique sur l’étiquette

    Le drame du Rana Plaza a provoqué une prise de conscience

    Le drame du Rana Plaza du 23 avril 2013, quand 1138 personnes sont mortes dans l’effondrement de cet immeuble qui abritait 8 usines textiles, a alerté le monde occidental sur le sort de ces ouvrières qui nous permettent de remplir nos placards de vêtements à bas prix et à durée de vie limitée – la mode jetable. Et sur la responsabilité de ces grandes multinationales de l’habillement.

    Il y a cinq ans seulement, en tant qu’ONG, il fallait encore souvent expliquer pourquoi nous devions agir en tant que consommateur des pays du Nord pour des travailleurs situés à des milliers de kilomètres, dans des pays du Sud. Aujourd’hui, il y a eu une prise de conscience et les citoyens se posent des questions sur les pratiques des grandes marques de fast-fashion dans les pays en développement.

    Depuis le drame, quelques améliorations ont vu le jour : les blessés et les familles ont été indemnisés par les marques, une inspection indépendante des usines a été financée et de nombreux ateliers insalubres ont été fermés ou rénovés. Et ça, c’est grâce notamment à la pression que les ONG comme le Collectif Ethique sur l’Etiquette, mais aussi les consommateurs ont mis sur les grandes marques, via les réseaux sociaux, en signant nos pétitions, en questionnant le marques, en diffusant l’information.

    Mais c’est insuffisant

    Mais il ne faut pas être dupe, même si les choses avancent, c’est surtout le discours marketing qui a évolué, avec la multiplication des chartes éthiques et même des collections dédiées. La marque « conscious » d’H&M s’inscrit dans cette nouvelle communication sur l’éthique et la transparence des marques de vêtements. Mais il faut plus y voir du social et du green washing qu’autre chose. De la poudre aux yeux, finalement.

    Ainsi, maintenir la pression est essentiel : interpeller ces grandes marques sur les réseaux sociaux, poser des questions dans les magasins, envoyer des mails sur le décalage entre leurs pratiques et la réalité. ce sont de outils que nous proposons.


    « Il ne faut pas être dupe, même si les choses avancent, c’est surtout le discours marketing qui a évolué. »

    Nayla Ajaltouni, coordinatrice d’Ethique sur l’étiquette

    Si l’on n’exprime pas notre refus de ces pratiques, si l’on ne soutient pas ces travailleurs, on est forcément complices de leur exploitation. Il faut refuser fermement que nos vêtements soient fait au prix de leur sang, de leur mauvaise santé et de leurs salaires de misères.

    Il n’y a pas qu’au Bangladesh que les grandes marques imposent leur modèle de pression sur les salaires et les conditions de travail, pour générer plus de profit. Auchan nous donne un très mauvais exemple, en ce moment, en France, sur la façon dont il traite ses propres salariés dans ses magasins, ici encore, majoritairement des femmes, en contrat précaires.

    En fait, les mauvaises conditions de travail à 10 000 kms ont un impact direct sur les conditions de travail ici-même. Les grandes enseignes font jouer la concurrence entre les travailleurs du monde. Ne les laissons pas faire.

    Photo : Khaleda, une des survivantes de l’effondrement du Rana Plaza par Narayan Debnath/DFID

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